Les investisseurs devront composer avec le nouveau cadre du carried interest
Si le régime fiscal du carried interest semble désormais inscrit dans le marbre, son régime social a provoqué quelques sueurs froides aux professionnels du capital investissement français. La navette parlementaire a finalement été relayée par une position ferme du gouvernement.
Le carried interest est-il un bonus versé aux gérants de fonds d’investissement ? Une forme de stock-option pour investisseurs ? Parle-t-on de plus-value ? De salaire ? D’un savant mélange des deux ? D’une question à l’autre, au fil des déclarations oscillant parfois entre raison et démagogie, le débat autour du cadre fiscal et désormais social du carried interest a inquiété la profession du capital investissement.
Qu’est-ce que le carried interest ?
Mais finalement, qu’y a-t-il derrière le terme anglais de carried interest ? Tout simplement un mécanisme d’intéressement des équipes à la réussite des fonds qu’elles gèrent.
Ainsi que le rappelle Daniel Schmidt, dans son ouvrage écrit en collaboration avec Florence Moulin, tous deux avocats du cabinet Proskauer Rose, « dans un FCPR, les parts de carried interest sont constituées par des parts particulières émises pour [le] porter spécifiquement ». Les parts A seront ainsi émises pour les investisseurs « ordinaires ». C’est par le biais des parts B, émises au profit de l’équipe de gestion ou des sponsors, que ceux-ci pourront avoir accès au carried interest.
Concrètement, les bénéficiaires du carried interest obtiennent généralement 20 % des plus-values réalisées par le véhicule une fois que les investisseurs institutionnels ont été remboursés et que la rentabilité du fonds atteint un niveau minimum (hurdle rate) fixé en moyenne autour de 7 % à 8 %.
Depuis mars 2002, une circulaire ministérielle encadrait d’ailleurs déjà le régime d’imposition du carried interest. Les gains étaient jusque là considérés comme étant assimilables à des plus-values de valeurs mobilières et, par conséquent, taxables au taux de 18 % (plus les cotisations sociales).
Cependant, en octobre 2008, Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, décidait de revenir sur ce cadre fiscal. Alors que certains sénateurs souhaitaient encadrer le levier des LBO, il annonçait sa volonté de « clarifier les ambiguïtés » de ce texte.
Un nouveau volet fiscal : le dispositif Arthuis
En décembre 2008, à l’occasion de la loi de finances pour 2009, les règles encadrant la fiscalité du carried interest sont ainsi revues :
• La souscription des parts à rendement subordonné (PARS) doit être considérée comme un réel investissement, réalisé à un prix de marché et dans les mêmes conditions pour tous.
• Par ailleurs, l’ensemble des parts B doit correspondre à un minimum de 1 % du montant total des souscriptions.
Bien qu’un décret permette certaines dérogations, la mesure bouscule les pratiques en cours. Lors de la levée de fonds, les équipes de gestion sont déjà habituées à investir à hauteur d’un pourcent du montant des véhicules. Tout du moins lorsqu’il s’agit d’un fonds dédié à des investissements de type LBO. La pratique est en effet plus aléatoire pour les fonds de capital risque ou de capital développement.
Cependant, en imposant que le pourcent investi le soit en parts B, le dispositif augmente le risque d’investissement des équipes. En effet, jusqu’à présent, la plupart d’entre elles partageaient leur mise entre des parts B (à hauteur d’environ 0,25 %) et des parts A (pour 0,75 %). Si elles se mettaient en péril, ce n’était donc que sur une part réduite de leur investissement ; la majeure partie étant pari passu avec les investisseurs institutionnels.
• Enfin, un délai minimum de cinq ans est requis entre la constitution du fonds et le versement du carried interest. Pour les Fcpr, une condition supplémentaire est ajoutée : ces versements ne peuvent avoir lieu qu’après le remboursement des apports des autres porteurs.
Le nouveau cadre clarifie la règle du jeu. Pour ceux qui respectent le dispositif Arthuis, la taxation du carried interest continue de bénéficier du régime des valeurs mobilières. Pour les autres, les gains se transforment désormais en salaire.
Après avis de l’AMF, un décret est cependant paru au Journal officiel (20 octobre 2009) ouvrant la porte à plusieurs dérogations au dispositif Arthuis.
Le segment du capital risque et du capital développement reçoit ainsi une bouffée d’oxygène. En effet, un taux dérogatoire de 0,25 % est accordé aux entités dont l'objet principal est d'investir dans des sociétés innovantes ou dans des PME (au sens du droit communautaire : soit, moins de 250 salariés et un chiffre d'affaires inférieur ou égal à 50 M€, soit un total de bilan inférieur ou égal à 43 M€). Par ailleurs, les Fcpi et les Fip disposent également d’un taux dérogatoire de 0,25%. Enfin, après avis d’un comité du capital investissement, le ministre chargé de l’économie peut également accorder à titre exceptionnel une dérogation sans que celle-ci puisse aller en-deçà de 0,5 %.
Quoi qu’il en soit, ces dérogations sont réputées nulles dès lors que le carried interest dépasse un seuil de 20 % des produits et plus-values du véhicule.
Le volet social du carried interest est enfin abordé
Longtemps attendu par les professionnels du capital investissement, le décret relance pourtant les discussions au Parlement autour du carried interest. Dans la mouvance du G20 et des grandes déclarations des politiques autour de l’encadrement des rémunérations du secteur financier, certains parlementaires tentent de durcir encore le dispositif fiscal, mais aussi social, du carried interest.
Malgré la mise en place il y a moins d’un an du nouveau dispositif Arthuis, le député Charles de Courson dépose en octobre dernier un amendement au projet de loi de finances pour 2010. Pour lui, les sommes perçues au titre de la détention de parts B devraient être considérées comme une rémunération et non pas comme des plus-values.
La différence d’imposition est majeure. Les plus-values ne sont taxées qu’à hauteur de 30,1 %. Transformé en rémunération, le carried interest entre au barème progressif de l’impôt sur le revenu (pouvant atteindre 40 %) auquel s’ajoutent des charges sociales. « Au total, les retenues pourraient atteindre jusqu’à 70 %, voire 80 % du montant du carried », explique Caroline Chabrerie, avocate chez Proskauer Rose. « L’impôt devient alors confiscatoire », en déduit Arielle Halimi, du même cabinet.
Si l’Association française des investisseurs en capital (Afic) désapprouve énergiquement cette initiative dans un communiqué, Florence Moulin, avocate chez Proskauer Rose, rappelle cependant que le débat a permis de « consolider et de préciser le régime du carried interest ». La loi n’avait en effet pris en compte que l’aspect fiscal des PARS, laissant dans le flou le régime social applicable.
La navette parlementaire suscite une série de nouveaux amendements. Chacun entraînant de nouvelles questions autour du régime social, mais aussi de nouvelles critiques sur sa mise en pratique. Après l’amendement de Charles de Courson assimilant le carried interest à des traitements et salaires, l’amendement du député Yves Bur souhaite le soumettre aux cotisations sociales sans cependant préciser qui doit les payer. S’agit-il du bénéficiaire ou bien de la société de gestion ? Soutenu par l’Afic, Dominique Tian, député des Bouches-du-Rhône, dépose également un amendement se voulant de compromis. Dans le cas d’un non-respect du dispositif Arthuis, les porteurs de parts de carried interest seraient alors soumis à une contribution sociale forfaitaire libératoire de 20 %. A leur tour, dans le cadre des discussions de la Chambre haute, les sénateurs du Luart et Adnot proposent de réduire la portée de la contribution sociale à un taux de 18 %.
C’est aussi au Sénat que le gouvernement décide de reprendre la main. En réponse à l’amendement du sénateur Laménie, Roseline Bachelot tranche enfin entre les différentes propositions.
Ainsi que le rappelle alors la ministre de la santé et des sports, « il n’y a application du régime de cotisations sociales de droit commun que si les conditions fiscales ne sont pas respectées, les plus-values réalisées étant alors considérées comme des traitements et des salaires ».
Les équipes respectant les conditions du dispositif Arthuis conservent l’ancien régime en vigueur. Les autres devront composer dés le 1er janvier 2010 avec un carried interest apparenté à une forme de rémunération.
A la question de savoir si les sociétés de gestion devront payer la part patronale des cotisations sociales, le gouvernement répond désormais par la négative afin d’éviter que « l’employeur puisse être pénalisé pour les cas où son salarié n’a pas joué le jeu ».
A la place, le nouvel amendement tend à « substituer aux cotisations et contributions de sécurité sociale sur les salaires le versement d’une contribution libératoire de même niveau, soit 30 %, que le total des cotisations et contributions patronales applicables aux montants en jeu ». La contribution libératoire sera à la charge du seul porteur de parts de carried interest mais celui-ci n’aura plus à craindre de devoir payer 12,1 % de cotisations supplémentaires (au titre des prélèvements sociaux dus sur les revenus du patrimoine).
Le cadre fiscal, mais aussi social, du carried interest semble enfin stabilisé. Les professionnels se demandent cependant pour combien de temps. A moins de vouloir encourager une délocalisation des fonds d’investissement, le gouvernement pourra-t-il remettre en question un carried interest ayant subi en l’espace de deux davantage de réformes qu’en 30 ans de capital investissement hexagonal ?