Par Étienne Mathey, avocat associé, Sébastien Crepy, avocat, et Claire Mahieu. Paul Hastings
Les écueils à éviter en matière de gouvernance de sociétés holdings de LBO
Au sein d’un groupe sous LBO, la désignation dans une SAS d’une personne morale comme dirigeant permet d’éviter certains écueils et d’optimiser la gouvernance. Confier la présidence de la société cible à la société holding de reprise renforce son caractère animateur au plan fiscal et permet par ailleurs la désignation de directeurs généraux personnes physiques.
La notion de gouvernance renvoie spontanément à une notion de «?bien gouverner?» et aux règles applicables au sein des sociétés cotées. La gouvernance, c’est aussi «?piloter la performance?». Face à la créativité poussée à son paroxysme, certaines règles juridiques fondamentales - bonne foi ou loyauté - refont surfaces pour prévenir les conflits d’intérêts dans les groupes sous LBO. Chacun recherchera le subtil équilibre permettant de considérer le suivi précis de l’activité comme une supervision diligente et non une gestion de fait pour réduire les risques de responsabilité qui peut l’accompagner. Voici quelques réflexions, à la lumière de la jurisprudence récente, pour transformer les contraintes de gouvernance en opportunités.
Éviter la remise en cause des conventions de management fees
Les conventions de management fees permettent à une société d’externaliser une partie des fonctions de direction, qui seront fournies par une structure ad hoc, souvent constituée par le dirigeant. Ce schéma apporte plus de souplesse aux modalités de rémunération des dirigeants. Le dirigeant peut alors être rémunéré, alternativement ou de manière combinée en tant que salarié, travailleur indépendant ou encore associé percevant des dividendes, et ce, en fonction de sa situation.(1)
Cependant, la Cour de cassation est intervenue sur cette pratique pour en limiter l’utilisation. Par deux arrêts récents (2), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que les conventions de management fees portant sur des fonctions de direction étaient nulles du fait de leur absence de cause. Les conséquences de la nullité des conventions de management fees sont lourdes. Outre, un risque pénal de qualification d’abus de biens sociaux, les versements effectués au titre de ces conventions devront être remboursés et peuvent également caractériser un acte anormal de gestion au plan fiscal. (3)
Dans un groupe sous LBO, l’externalisation des fonctions de direction au niveau de la holding de reprise s’avère donc sensible. La convention ne devra pas porter sur les fonctions intrinsèques de direction, telles que définies par la jurisprudence, mais privilégier des fonctions techniques.
Une solution, plus simple et sécurisante, consiste à désigner la holding comme président de la société cible et de la rémunérer au titre de son mandat social. Sauf montants excessifs, les risques de remises en cause de la rémunération de la holding sont ainsi limités. À noter cependant que cette solution n’est envisageable que dans l’hypothèse où la société cible est une société par actions simplifiée qui, seule, permet de désigner une personne morale (française ou étrangère) comme président.
Une convention pourra détailler les prestations effectuées par la holding-présidente et ses modalités de rémunération. D’un point de vue fiscal, cette solution simplifiera la preuve du caractère animateur de la holding, réalité parfois délicate à établir alors que sa portée est très structurante.
Validité de la clause de non-concurrence d’un manager actionnaire
En droit du travail comme en droit commercial, le principe de liberté d’exercice de son activité est fondamental. Par conséquent, toute restriction de concurrence doit répondre à un certain nombre de conditions pour être valable. L’évolution du droit du travail subordonne la licéité des clauses de non-concurrence au respect des exigences de nécessité et de proportionnalité ainsi qu’à l’octroi d’une contrepartie financière.
Par un arrêt du 15 mars 2011(4), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a également posé l’exigence du versement d’une contrepartie pour une clause de non-concurrence stipulée non pas dans le contrat de travail du manager concerné mais dans un pacte d’actionnaires auquel ledit manager était partie.
Sur la base de cette décision portant sur des faits très particuliers, une partie de la doctrine a parfois trop vite affirmé que toute clause de non-concurrence requiert le versement d’une contrepartie financière dédiée. Or, certaines décisions récentes (5) montrent que cette solution doit être étendue aux dirigeants qui ont la qualité de salarié (6), et ceci que l’engagement de non-concurrence soit formalisé dans un pacte ou dans un contrat de travail.
Mais aucune décision n’a à ce jour imposé une telle contrainte aux associés ou aux mandataires sociaux qui n’ont pas la qualité de salarié.
En vertu de la jurisprudence récente, dès lors qu’un manager ou un associé d’une société bénéficie par ailleurs d’un contrat de travail, il convient d’être très vigilant sur la contrepartie applicable à sa restriction de concurrence, laquelle devra a minima être évaluable financièrement.
En pratique, il conviendra d’identifier les managers de la holding de reprise également salariés de l’une des sociétés du groupe sous LBO. S’ils ont la qualité de salarié à un ou plusieurs de ces niveaux, il faudra prendre en compte cet élément dans la détermination de la contrepartie à leur obligation de non-concurrence.
La désignation d’une personne morale comme président de la société cible et des autres sociétés du groupe sous LBO est également une des solutions envisageables pour réduire ce risque.
Permettre un changement plus rapide et plus efficace du management
Dans le cadre d’un groupe sous LBO, une personne peut avoir la qualité de dirigeant au sein de plusieurs sociétés. La révocation d’un dirigeant qui exercerait ses fonctions au sein d’une cascade de sociétés, prévoyant chacune un processus long et différent de révocation peut être une source de déstabilisation pour le groupe.7 Il est dans l’intérêt d’un groupe sous LBO de pouvoir révoquer rapidement et efficacement un dirigeant dans les filiales et les sous-filiales, dès lors qu’il a été révoqué dans la société de tête du groupe.(7)
La première solution consiste à prévoir une bonne articulation des statuts des sociétés du groupe sous LBO, notamment en facilitant la convocation des organes sociaux. Cette solution n’écarte pas la nécessité de respecter des procédures distinctes pour chacune des sociétés du groupe. Les procédures de révocation entraînent toujours un certain degré de complexité, confirmé par des rappels jurisprudentiels récents de l’exigence du respect rigoureux des procédures de révocation et de leurs conséquences.(8)
Une deuxième solution consiste, à nommer chaque société mère comme président personne morale de sa filiale, et ce, jusqu’au niveau le plus élevé du groupe, où une personne physique préside la société holding de reprise. Alternativement, une seule société peut aussi être désignée comme dirigeant de plusieurs ou toutes les sociétés du groupe.
Dès lors, la révocation du dirigeant personne physique au niveau de la société-présidente entraîne le changement de dirigeant simultanément dans toutes les sociétés. Cette solution est simple et efficace.
1-B. Donderro, «?Coup d’arrêt à la pratique des management fees?», Gazette du Palais, 22?décembre 2012,
n°?357, p.?21
2-Samo Gestion Com., 14?septembre 2010, n°?09-16.084 et Mecasonic Com., 23?octobre 2012, n°?11-23.376
3-Y. Sexer et M. Laval, «?Attention danger : la pratique des management fees remise en cause par la Cour de cassation?», Le Monde du Droit.fr, 8?mai 2013
4-Com., 15?mars 2011, n°?10-13.824
5-Cass. soc. 9?janvier 2013 n°?11-26.418 et Cass. soc. 13?mars 2013 n°?11-21.150
6-A. Constantin, RTD Com. 2011, p.?361
7-CA Douai, Ch. 02 Sect. 02, 25?novembre 2010, n°?09/01798
8-Cass. com. 14?mai 2013 n°?12-15.119 et CA Paris, 19?mars 2013, n°RG 12/03448
La notion de gouvernance renvoie spontanément à une notion de «?bien gouverner?» et aux règles applicables au sein des sociétés cotées. La gouvernance, c’est aussi «?piloter la performance?». Face à la créativité poussée à son paroxysme, certaines règles juridiques fondamentales - bonne foi ou loyauté - refont surfaces pour prévenir les conflits d’intérêts dans les groupes sous LBO. Chacun recherchera le subtil équilibre permettant de considérer le suivi précis de l’activité comme une supervision diligente et non une gestion de fait pour réduire les risques de responsabilité qui peut l’accompagner. Voici quelques réflexions, à la lumière de la jurisprudence récente, pour transformer les contraintes de gouvernance en opportunités.
Éviter la remise en cause des conventions de management fees
Les conventions de management fees permettent à une société d’externaliser une partie des fonctions de direction, qui seront fournies par une structure ad hoc, souvent constituée par le dirigeant. Ce schéma apporte plus de souplesse aux modalités de rémunération des dirigeants. Le dirigeant peut alors être rémunéré, alternativement ou de manière combinée en tant que salarié, travailleur indépendant ou encore associé percevant des dividendes, et ce, en fonction de sa situation.(1)
Cependant, la Cour de cassation est intervenue sur cette pratique pour en limiter l’utilisation. Par deux arrêts récents (2), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que les conventions de management fees portant sur des fonctions de direction étaient nulles du fait de leur absence de cause. Les conséquences de la nullité des conventions de management fees sont lourdes. Outre, un risque pénal de qualification d’abus de biens sociaux, les versements effectués au titre de ces conventions devront être remboursés et peuvent également caractériser un acte anormal de gestion au plan fiscal. (3)
Dans un groupe sous LBO, l’externalisation des fonctions de direction au niveau de la holding de reprise s’avère donc sensible. La convention ne devra pas porter sur les fonctions intrinsèques de direction, telles que définies par la jurisprudence, mais privilégier des fonctions techniques.
Une solution, plus simple et sécurisante, consiste à désigner la holding comme président de la société cible et de la rémunérer au titre de son mandat social. Sauf montants excessifs, les risques de remises en cause de la rémunération de la holding sont ainsi limités. À noter cependant que cette solution n’est envisageable que dans l’hypothèse où la société cible est une société par actions simplifiée qui, seule, permet de désigner une personne morale (française ou étrangère) comme président.
Une convention pourra détailler les prestations effectuées par la holding-présidente et ses modalités de rémunération. D’un point de vue fiscal, cette solution simplifiera la preuve du caractère animateur de la holding, réalité parfois délicate à établir alors que sa portée est très structurante.
Validité de la clause de non-concurrence d’un manager actionnaire
En droit du travail comme en droit commercial, le principe de liberté d’exercice de son activité est fondamental. Par conséquent, toute restriction de concurrence doit répondre à un certain nombre de conditions pour être valable. L’évolution du droit du travail subordonne la licéité des clauses de non-concurrence au respect des exigences de nécessité et de proportionnalité ainsi qu’à l’octroi d’une contrepartie financière.
Par un arrêt du 15 mars 2011(4), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a également posé l’exigence du versement d’une contrepartie pour une clause de non-concurrence stipulée non pas dans le contrat de travail du manager concerné mais dans un pacte d’actionnaires auquel ledit manager était partie.
Sur la base de cette décision portant sur des faits très particuliers, une partie de la doctrine a parfois trop vite affirmé que toute clause de non-concurrence requiert le versement d’une contrepartie financière dédiée. Or, certaines décisions récentes (5) montrent que cette solution doit être étendue aux dirigeants qui ont la qualité de salarié (6), et ceci que l’engagement de non-concurrence soit formalisé dans un pacte ou dans un contrat de travail.
Mais aucune décision n’a à ce jour imposé une telle contrainte aux associés ou aux mandataires sociaux qui n’ont pas la qualité de salarié.
En vertu de la jurisprudence récente, dès lors qu’un manager ou un associé d’une société bénéficie par ailleurs d’un contrat de travail, il convient d’être très vigilant sur la contrepartie applicable à sa restriction de concurrence, laquelle devra a minima être évaluable financièrement.
En pratique, il conviendra d’identifier les managers de la holding de reprise également salariés de l’une des sociétés du groupe sous LBO. S’ils ont la qualité de salarié à un ou plusieurs de ces niveaux, il faudra prendre en compte cet élément dans la détermination de la contrepartie à leur obligation de non-concurrence.
La désignation d’une personne morale comme président de la société cible et des autres sociétés du groupe sous LBO est également une des solutions envisageables pour réduire ce risque.
Permettre un changement plus rapide et plus efficace du management
Dans le cadre d’un groupe sous LBO, une personne peut avoir la qualité de dirigeant au sein de plusieurs sociétés. La révocation d’un dirigeant qui exercerait ses fonctions au sein d’une cascade de sociétés, prévoyant chacune un processus long et différent de révocation peut être une source de déstabilisation pour le groupe.7 Il est dans l’intérêt d’un groupe sous LBO de pouvoir révoquer rapidement et efficacement un dirigeant dans les filiales et les sous-filiales, dès lors qu’il a été révoqué dans la société de tête du groupe.(7)
La première solution consiste à prévoir une bonne articulation des statuts des sociétés du groupe sous LBO, notamment en facilitant la convocation des organes sociaux. Cette solution n’écarte pas la nécessité de respecter des procédures distinctes pour chacune des sociétés du groupe. Les procédures de révocation entraînent toujours un certain degré de complexité, confirmé par des rappels jurisprudentiels récents de l’exigence du respect rigoureux des procédures de révocation et de leurs conséquences.(8)
Une deuxième solution consiste, à nommer chaque société mère comme président personne morale de sa filiale, et ce, jusqu’au niveau le plus élevé du groupe, où une personne physique préside la société holding de reprise. Alternativement, une seule société peut aussi être désignée comme dirigeant de plusieurs ou toutes les sociétés du groupe.
Dès lors, la révocation du dirigeant personne physique au niveau de la société-présidente entraîne le changement de dirigeant simultanément dans toutes les sociétés. Cette solution est simple et efficace.
1-B. Donderro, «?Coup d’arrêt à la pratique des management fees?», Gazette du Palais, 22?décembre 2012,
n°?357, p.?21
2-Samo Gestion Com., 14?septembre 2010, n°?09-16.084 et Mecasonic Com., 23?octobre 2012, n°?11-23.376
3-Y. Sexer et M. Laval, «?Attention danger : la pratique des management fees remise en cause par la Cour de cassation?», Le Monde du Droit.fr, 8?mai 2013
4-Com., 15?mars 2011, n°?10-13.824
5-Cass. soc. 9?janvier 2013 n°?11-26.418 et Cass. soc. 13?mars 2013 n°?11-21.150
6-A. Constantin, RTD Com. 2011, p.?361
7-CA Douai, Ch. 02 Sect. 02, 25?novembre 2010, n°?09/01798
8-Cass. com. 14?mai 2013 n°?12-15.119 et CA Paris, 19?mars 2013, n°RG 12/03448