Par Jean Gérard, avocat associé. Chassany Watrelot & Associés
La loi du 17 juin 2008 avait profondément modifié le droit des prescriptions applicables en droit privé. Réforme dans la réforme, la loi du 14 juin 2013 (la Loi) institue désormais un véritable droit de la prescription propre aux rapports de travail.

La Loi institue une prescription de deux ans qui constitue désormais, en quelque sorte, la prescription de droit commun applicable aux relations de travail. Néanmoins elle maintient explicitement certaines prescriptions figurant déjà dans le code du travail sans porter atteinte aux textes qui figurent dans le Code civil. De la situation simple qui résultait de la réforme de 2008, on aboutit ainsi à une situation quelque peu complexe résultant de la multiplication de régimes différents. Il est donc nécessaire de tracer une synthèse des dispositions nouvelles tant du point de vue de délai que du point de départ de ces prescriptions.

Rupture, exécution du contrat : un nouveau délai de deux ans

L’article L 1471-1 nouveau du code du travail, dans sa rédaction issue de la Loi, prévoit désormais que :
«?Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.?» Soulignons immédiatement que cette nouvelle prescription s’applique explicitement aux seuls rapports contractuels de travail. à l’évidence, rentrent dans cette catégorie, les actions «?classiques?» en contestation du licenciement, en requalification d’un contrat à durée déterminée ou d’un contrat de travail temporaire, etc. Par contre, le contentieux dit «?collectif?» qui se déroule devant le tribunal de grande instance, le contentieux des élections professionnelles qui appartient au tribunal d’instance, etc. ne sont pas visés par l’article L 1471-1, et continuent à relever, au regard de la prescription, des dispositions qui leur sont naturellement applicables.

Discrimination : maintien du délai de cinq ans
À ce délai nouveau, qui constitue désormais de droit commun, le code du travail lui-même prévoit diverses exceptions de façon explicite, en réservant des délais plus longs ou plus brefs. Déjà, l’article L 1471-1 indique qu’il n’est pas applicable aux actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail, qui continuent à relever de l’article 2226 du Code civil qui fixe à dix ans la prescription dans ce cas-là. Cette formulation soulève une difficulté, si on la rapproche de celle de l’article L 431-2 du code de la sécurité sociale qui fixe à deux ans la durée de la prescription de l’action en déclaration de faute inexcusable. Cette action est dirigée contre l’employeur et tend à le faire condamner à indemniser un préjudice corporel. Duquel de ces deux textes spéciaux relève-t-elle dorénavant ?
De même, la Loi précise que les actions exercées sur le fondement des textes qui prohibent la discrimination illicite (article L 1132-1 du code du travail) le harcèlement moral (article L 1152-1) ou sexuel (article L 1153-1) continuent à se prescrire par le délai de cinq ans prévu à l’article L 1134-5 alinéa 1er du code du travail. Mais si un dommage corporel en résulte, revient-on à la prescription décennale ? Enfin, l’article L 3245-1, lui aussi dans sa rédaction issue de la Loi, indique que l’action en paiement ou en répétition du salaire (et du salaire seulement) se prescrit par trois ans.
D’autre part, sont maintenus les délais de prescription plus courts institués par des textes spéciaux du droit du travail. Insistons ici sur le fait qu’il s’agit bien d’actions portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail. Mais, en raison de leur cause ou de leur objet, elles relèvent d’un texte particulier qui prévoit un bref délai.

Un point de départ variable selon les prescriptions
Le point de départ du délai varie selon le type de prescription. Les courtes prescriptions (deux mois, trois mois, six mois, douze mois) prennent cours le jour où se produit l’événement que nomme le législateur (par exemple signature du solde de tout compte). C’est le cas le plus simple. Par contre, la loi ne définit pas la date du point de départ des autres délais. Ainsi, la prescription applicable en matière de discrimination, prend cours à compter de la «?révélation?» de la discrimination. L’article 1134-5 al. 3 précise que le juge doit réparer l’entier préjudice en résultant, tel qu’il a été subi pendant toute la durée de la discrimination. Autrement dit, pendant cinq ans suivant la découverte, par le salarié, de la discrimination, est recevable l’action en réparation du préjudice qui en découle et ce préjudice, lui-même, peut s’être manifesté pendant plus que cinq ans avant la découverte de la discrimination. Ainsi, par exemple, un préjudice peut avoir duré pendant dix ans au moment de la découverte de la discrimination. L’action en justice sera recevable dans les cinq ans suivant la révélation. Ainsi tout le préjudice, qui au total aura duré pendant quinze ans (dix ans avant puis cinq ans suivant la révélation) sera indemnisable. Mais passé le délai de cinq ans suivant la révélation de la discrimination, plus aucune action ne sera recevable, même si le préjudice perdure encore à cette date !
Les autres prescriptions démarrent «?le jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer?». Notons à ce propos une particularité propre à la prescription des salaires. En cas de rupture du contrat, il est possible de remonter jusqu’à trois ans avant cette rupture. Ainsi, à l’occasion de la contestation d’un licenciement, dans les deux ans qui en suivent la notification, pourront être réclamés les salaires échus dans les trois ans précédant. On revient ainsi au délai de cinq ans de l’ancienne législation.
Pour terminer, on soulignera que la Loi est applicable aux prescriptions en cours au moment de sa promulgation (17?juin 2013), sans que la durée de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Par contre, la Loi n’est pas applicable aux instances en cours, qui restent régies par les anciens textes. Ainsi par exemple, une contestation contre un licenciement notifié avant le 17?juin 2008 n’est plus possible car dans ce cas, l’ancienne prescription de cinq ans a couru jusqu’au 17?juin 2013, date à laquelle a démarré le nouveau délai de deux ans qui n’a pu allonger l’ancien.

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