Par Benoît Le Bars et Raphaël Kaminsky, avocats associés. Lazareff Le Bars
A l’heure où l’on s’apprête à introduire en droit français une action collective dont le projet de loi a été transmis le 18?décembre 2013 pour sa deuxième lecture au Sénat et que les critiques proviennent des entreprises et des avocats (1), on peut s’interroger sur un autre mécanisme de règlement des litiges collectifs moins connu mais très débattu outre-Atlantique : l’arbitrage collectif ou la class arbitration.

La class arbitration est une procédure arbitrale inspirée de la class action dans laquelle un ou plusieurs requérants ayant subi de la part du même défendeur un préjudice dont l’origine est commune exerce(nt), au nom d’une catégorie de personnes, un arbitrage. Bien que ces deux notions d’arbitrage et d’action collective puissent paraître, a priori, contradictoires (l’arbitrage se caractérise généralement par sa confidentialité, sa flexibilité, sa rapidité et son absence de formalisme, alors que l’action collective se caractérise par sa publicité, son formalisme et son caractère judiciaire), le débat sur la possibilité d’intenter une class arbitration est né, aux États-Unis, de la volonté des entreprises de limiter l’impact des class actions en insérant, dans leurs contrats avec les consommateurs, des clauses compromissoires.

L’évolution et l’hétérogénéité de la jurisprudence américaine relative à la class arbitration
Si la jurisprudence américaine a, pendant un temps, jugé que cette pratique permettait aux entreprises d’écarter les class actions sans pour autant permettre un arbitrage collectif – grâce à l’effet relatif de la clause compromissoire (2) – les tribunaux américains ont progressivement considéré que des arbitrages collectifs pouvaient être intentés, sous réserve de l’accord explicite des parties à un tel recours. Dans un arrêt de 2003, la Cour suprême des États-Unis est allée plus loin en jugeant, dans l’hypothèse d’une clause compromissoire taisante sur la possibilité de recourir à l’arbitrage collectif, que la loi fédérale sur l’arbitrage (le Federal Arbitration Act (FAA)) n’interdisait pas de soumettre un recours collectif à l’arbitrage et que seuls les arbitres avaient compétence pour déterminer si un tel recours entrait ou non dans le champ d’application de la clause compromissoire (3). Dans le prolongement de cette décision, de très nombreux arbitrages collectifs ont été engagés aux États-Unis, lorsque les clauses compromissoires le permettaient, lorsque les clauses étaient silencieuses mais également dans les hypothèses où les clauses l’interdisaient et l’American Arbitration Association (AAA), puis le Judicial Arbitration and Mediation Services (JAMS) ont adopté, respectivement en 2003 et en 2009, des règles applicables spécifiquement à la class arbitration. Néanmoins, en 2010, la Cour suprême a adopté une position beaucoup plus conservatrice à l’égard des arbitrages collectifs et a jugé que le fait pour un tribunal arbitral d’imposer un arbitrage collectif à des parties qui n’y avaient pas expressément consenti constituait une violation du FAA (4). Par la suite, en 2011 (5), puis en 2013 (6), la Cour suprême a infirmé des décisions de juridictions inférieures qui avaient écarté la clause de renonciation à une procédure de class arbitration comme contraire au FAA. Malgré cette évolution de la jurisprudence, le nombre d’arbitrages collectifs n’a cessé d’augmenter aux États-Unis (d’une centaine administrés par l’AAA en 2006 à près à plus de 350 aujourd’hui).

Sur l’intérêt et la possibilité d’une transposition de la class arbitration en droit français
À l’heure où le débat fait rage sur le bien-fondé de la mise en place d’une action collective à la française, il est permis de s’interroger sur l’opportunité et la possibilité d’adapter, en France, un système de class arbitration inspiré du modèle américain. Il existe en effet une tendance, depuis quelques années, en France, comme en Europe, de développer des mécanismes de règlement des conflits alternatifs collectifs. C’est ainsi que l’institut allemand d’arbitrage (DIS) a adopté, en 2009, des règles permettant le recours à l’arbitrage collectif pour les litiges entre actionnaires et entités financières. De la même façon, le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP) a adopté un règlement de médiation collective en matière de consommation. Néanmoins, il nous semble difficile, en l’état de notre législation, de transposer la class arbitration en droit français pour les raisons suivantes (7). En premier lieu, il convient de rappeler que les litiges en matière de consommation ou de travail, qui sont les deux principaux domaines dans lesquels les class arbitration fleurissent aux États-Unis, ne sont, en principe, pas arbitrables en droit français (article?2061 du Code civil, confirmé par Cour de cassation (8) concernant les consommateurs et article L. 1411-4 du Code du travail concernant les salariés). En second lieu, et pour les autres types de litiges arbitrables qui pourraient donner lieu à des arbitrages collectifs (on pense notamment aux litiges entre actionnaires et émetteurs), de nombreuses autres questions procédurales se posent et peuvent faire obstacle à la mise en place d’un arbitrage collectif (et notamment le problème de la régularité de la constitution d’un tribunal arbitral, le problème du respect du principe de la contradiction en présence d’une classe de demandeurs, le risque de violation de l’ordre public international). Afin d’y remédier, il pourrait être envisagé (i) que toutes les parties consentent à l’arbitrage par l’insertion d’une clause d’arbitrage prévoyant la possibilité d’un recours collectif, (ii) que les parties participent effectivement à l’arbitrage (à toutes ses étapes) pour pouvoir bénéficier du résultat (système de l’opt in) et (iii) que des dispositions spécifiques (dispositions législatives ou un règlement d’arbitrage) organisent les modalités d’un tel recours collectif. Ceci étant, la réforme des class actions en France arrive peut-être déjà trop tard. Des initiatives privées peuvent prendre le relais des juges et faire peser sur les entreprises une pression bien plus grande. Des sites internet existent déjà et proposent aux consommateurs, via des réseaux sociaux, de consolider leurs plaintes afin de faire pression sur les sociétés craignant d’être inscrites sur une liste grise ou noire et boycottées par les consommateurs. Il ne sera alors plus question d’avocats, d’associations de consommateurs, d’arbitres ou de juges, ni même de dire le droit, mais de négociations privées et de rapports de forces financiers. Un droit sans juge.


1-Voir notamment Gazette du Palais, 15-16 mai 2013, n°135 et 136.
2-« A class action cannot be used to subvert an otherwise enforceable agreement to arbitrate contained in a valid contract merely because other individuals, who might qualify as members of a class, were subject to the same provision » (Cour d’appel de Californie, 2 octobre 1975, Vernon v. Drexel Burnham & Company, 52 Cal. App. 3rd 706).
3-Cour Suprême des États-Unis, 23 juin 2003, 539 U.S. 444 (2003) Green Tree Financial Corp. V. Bazzle et al.
4-Cour Suprême des Etats-Unis, 27 avril 2010, 130 S. Ct. 1758 (2010) Stolt Nielsen S.A et al. v. Animalfeeds International Corp.
5-Cour Suprême des Etats-Unis, 27 avril 2011, 131 S. Ct. 1740 (2011) AT&T Mobility LLC v. Concepcion.
6-Cour Suprême des États-Unis, 20 juin 2013, 133 S. Ct. 2304 (2013) American Express Co. et al. v. Italian Colors Restaurant.
7-Voir l’article très complet sur ce sujet de Y. Derains et A. Descombes Class actions and arbitration in the European Union – France p. 29 et suivantes, Class Arbitration in the European Union, Maklu.
8-Cass. Civ. 1, 29 février 2012, n° 11-12782.




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