En choisissant, le 30 août dernier, l’alternance politique pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, les Japonais ont manifesté leur lassitude face au marasme da lequel leur pays est plongé depuis plus d’une décennie. Après 53 a au pouvoir, le PLD (Parti Libéral Démocrate) cède la place au PDJ (Parti Démocrate du Japon). Les Japonais ont voulu tourner la page d’une politique jugée dynastique et bureaucrate. Sa grande conviction toutefois.

En choisissant, le 30 août dernier, l’alternance politique pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, les Japonais ont manifesté leur lassitude face au marasme dans lequel leur pays est plongé depuis plus d’une décennie. Après 53 ans au pouvoir, le PLD (Parti Libéral Démocrate) cède la place au PDJ (Parti Démocrate du Japon). Les Japonais ont voulu tourner la page d’une politique jugée dynastique et bureaucrate. Sans grande conviction toutefois.
La crise que traverse actuellement le Japon est protéiforme. Après avoir cru échapper au krach financier, c’est finalement dans une tourmente à la fois économique, politique et sociale qu’est pris le pays.
Depuis 41 ans pourtant, le Japon était installé à la deuxième place des économies mondiales, derrière les États-Unis. En Asie orientale, c’était donc, et de loin, la première puissance et le centre de gravité de cette partie du continent.

Des béquilles précaires
Les plans de relance se sont succédés. Au nombre de quatre, ils auraient pu prouver une hyperactivité de bon aloi pour contrer la pire situation que le pays ait connue depuis l’après-guerre. À la mi-août, le Japon est enfin sorti de la récession.
Mais paralysé par une dette publique qui dépasse aujourd’hui 180 % du PIB, l’État est resté tiède et n’a pas pris à bras le corps les faiblesses structurelles. Pendant trop longtemps, le montant total de la relance a été limité à 3 % du PIB.
Pour stimuler la consommation, le gouvernement s’est contenté de distribuer des chèques de 120 euros à tous les Japonais : ils vont permettre des dépenses exceptionnelles pendant quelques mois, puis le soufflé retombera.
« On est encore loin d'un rebond durable qui s'accompagnerait d'améliorations en matière d'investissements en capital et d'emplois », souligne Kyohei Morita, économiste chez Barclays Capital à Tokyo. Les investissements des entreprises ont effectivement chuté de 4,3 % en août par rapport au trimestre précédent…

La Chine triomphante
Le Japon accuse d’autant plus le coup que, de l’autre côté de la Mer Jaune, la Chine est en passe de lui ravir la place de deuxième puissance économique mondiale. Fin août, le pays a même dépassé l’Allemagne en montant des exportations, avec 521,7 milliards de dollars contre 521,6. Le pays, après avoir connu une petite baisse de régime dans les années 90, a retrouvé une croissance supérieure à 10 % en 2002. Le ralentissement observé depuis le dernier trimestre de 2008 n’est déjà plus qu’un souvenir et Pékin entend bien renouer avec des taux de croissance records.
Le gouvernement a su relancer puissamment son économie par des mesures ambitieuses. En octobre, alors que la Chine n’était pas encore touchée par la crise, le gouvernement annonçait déjà la mise en place d’un plan de relance sur deux ans, pour lequel 4 000 milliards de yuans, soit plus de 450 milliards d’euros, seraient injectés. Une bagatelle équivalant à 13 % du PIB du pays…
Les uns après les autres, des chantiers publics titanesques sont déjà lancés. Le meilleur exemple est sans doute le réseau ferroviaire à grande vitesse. Décidée avant la crise, sa construction a été largement accélérée afin de dynamiser toute l’économie nationale.
Le succès des Bourses de Shanghai et Hong-Kong souligne cette nouvelle donne. En mai dernier, le Shanghai Stock Exchange s’est payé le luxe de dépasser Londres en valeur de capitalisation, avec 1 949 milliards de dollars. Même si certains ajustements restent nécessaires pour que le SSE poursuive sa croissance, comme l’ouverture aux entreprises étrangères, la dynamique ascendante est lancée.
L’axe Shanghai - Hong Kong est envisagé comme la prochaine place forte boursière mondiale, si les tentatives de rapprochement entre les deux villes sont confirmées. Jeffrey Garten, professeur à la Yale Business School, avançait en mai dernier, dans un article publié dans le Financial Times, le terme de « Shang Kong ».

Une réalité contrastée - les atouts du Japon
Si le Japon semble mal en point, attention à ne pas sous estimer sa capacité de rebond. La culture nippone est toujours pétrie de confucianisme, ce qui implique notamment la recherche de la perfection. Le pays a encore quelques atouts.
Tout d’abord, en consacrant 3,6 % du PIB à la recherche, il dispose d’une avance technologique considérable.

C’est le premier pays au monde en termes de nombre de brevets déposés. Par ailleurs, la chute des exportations est en partie due à la surévaluation du yen. Elle n’est donc pas catastrophique.
Enfin, le Japon dispose toujours des deuxièmes réserves de change au monde, avec près de 700 milliards d’euros. Il a commencé à piocher dans cet atout majeur en mars dernier, en  prêtant 3,5 milliards aux entreprises en difficulté, par le biais de la Banque japonaise de coopération internationale (JBIC).

Des faiblesses latentes
Rien ne semble aujourd’hui en mesure d’empêcher l’Empire du milieu de prendre la place du Japon au deuxième rang de l’économie mondiale. Cependant, la croissance hors norme dont bénéficie le pays ne sera pas éternelle. Son tassement devrait se vérifier dans les prochaines années. Sans compter que la Chine devra procéder à certaines mises au point.
Tout d’abord en ce qui concerne son modèle économique. Même si elle a considérablement développé son budget recherche, qui a augmenté de plus de 15 % par an en moyenne au cours des dix dernières années, la Chine est toujours technologiquement dépendante des entreprises étrangères.
De même, son modèle de croissance est fondé sur les investissements (40 % du PIB !) et les exportations, et non sur la consommation. On l’a encore vu avec le plan de relance. Ce déséquilibre semble difficilement tenable. Déjà, les investissements massifs créent des surcapacités de production, avec tout ce que cela implique : hyper concurrence, faillites…
Un des défis que la Chine devra relever, notamment si elle veut développer son marché intérieur, est celui de la question sociale. De pays le plus égalitaire du monde après des décennies de régime communiste, elle est devenue un des plus inégalitaires. La protection santé y est inexistante, et les indemnités chômage particulièrement faibles. Quant aux salaires, ils sont toujours très bas?: 360 euros par an en moyenne en zone rurale, contre 2 900 dans les villes.
La crise a empiré la condition des campagnes avec les licenciements massifs d’ouvriers faiblement qualifiés qui retournent dans leurs provinces sans perspective d’avenir. Au moins 25 millions seraient déjà dans ce cas.

Le système politique de la République populaire continue de poser problème. Très centralisé et directif, il a la puissance d’élaborer des plans de relance immédiatement appliqués. Mais au détriment du secteur privé. Dans le cas du réseau ferroviaire à grande vitesse, les trois entreprises détenues par l’État gèrent entièrement le chantier et en retirent les bénéfices. Pendant ce temps, des sociétés privées ferment faute de financement.

Vers un équilibre entre la Chine
et le Japon
Malgré l’impressionnante croissance chinoise, il existerait un équilibre entre la Chine et le Japon. Les deux pays co- opèrent d’ailleurs énormément. Le Japon est déjà le deuxième investisseur direct en Chine. Depuis 2007, le premier ministre chinois Wen Jiabao et son homologue japonais de l'époque, Shinzo Abe, ont mis en place des dialogues  économiques réguliers.

Par ailleurs, dans le jeu des relations internationales, les deux pays ont chacun leur rôle distinct à jouer. Les valeurs du Japon se rapprochent de celles de pays occidentalisés. Il a depuis longtemps sa place et sa considération dans le paysage politique international. La Chine en revanche a encore beaucoup à prouver : son régime autoritaire, sa conception toute relative des droits de l’homme, sa politique au Tibet ou ses positions controversées sur la Corée du Nord et la Birmanie en font un interlocuteur controversé, notamment en Occident.

L’éveil à plusieurs temps
des nations est-asiatiques
Ainsi, la puissance en Asie orientale est localisée au Nord. Le continent est caractérisé par ses disparités. Les quatre « Dragons » possèdent également des modèles performants. Corée du Sud, Hong Kong, Taïwan et Singapour ont pris leur envol économique dans les années soixante, en bénéficiant de leur proximité avec le littoral et avec le Japon. Le pays  a en effet investi et délocalisé dans ces pays où la main d’œuvre était meilleur marché.
À leur tour, les Dragons placent et délocalisent dans les pays qui les entourent, favorisant leur essor économique rapide. Les Philippines, la Thaïlande, l’Indonésie ou la Malaisie sont cependant encore loin de leurs prédécesseurs. Leur évolution est accélérée par l’apport de technologies que représentent les entreprises étrangères qui s’implantent et embauchent des cadres locaux.

D’autres pays sont encore à la traîne. Au Cambodge et au Laos, un tiers du budget repose sur l’aide internationale. Ces pays sont par ailleurs sous la coupe de régimes autoritaires, héritiers du communisme, qui commencent seulement à ouvrir leurs marchés.
D’autres, très fragiles politiquement, connaissent des remises en cause régulières de leurs dirigeants. Des troubles ont agité la Thaïlande lors de la « révolution jaune ». Au Timor-oriental, le plus jeune pays de la région, l’amnistie des responsables des violences qui avaient accompagné l’indépendance il y a 10 ans, rend impossible l’établissement d’un réel État de droit. Aux Philippines, des groupements islamistes revendiquent l’indépendance de certaines îles et lancent régulièrement des attaques contre les populations chrétiennes.

Nécessité grandissante
d’une coopération régionale
Hétérogène politiquement et économiquement, l’Asie orientale tend à représenter un espace solidaire. Comme le souligne Michel Fouquin, directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) et professeur associé à Paris I, la coopération progresse au rythme des crises qui agitent cette partie du continent. Même si l’Asie orientale ne possède pas encore de vision globale de ce qu’elle veut devenir.
La crise financière de 1997 / 1998 a été un véritable choc. Elle a montré l’absence totale de coopération entre les pays et le manque cruel de mécanismes de soutien mutuel. Cette prise de conscience a conduit aux accords de Chiang Mai (Thaïlande) en 2000. Ils ont mis en place une collaboration entre les banques centrales des pays.
Le tsunami de 2004 a, par exemple, permis de comprendre que le partage d’informations était dans l’intérêt de chacun. Un système d’alerte a été conjointement mis en place entre la Thaïlande, l’Inde, l’Indonésie et la Malaisie. Chaque pays communique des données.
Au niveau commercial, la coopération régionale s’est imposée de fait, car les économies des différents pays de la zone se sont développées de manière complémentaire. D’une part, les échanges régionaux portent sur des biens intermédiaires plutôt que finaux. Chaque pays contribue à un stade de la production, à l’inverse de l’Europe où les échanges portent sur le même type de produit.
Michel Fouquin parle ainsi d’une « division régionale du travail » en Asie orientale, entre les pays qui maîtrisent des technologies et ceux qui possèdent une industrie de main d’œuvre. Par exemple le Vietnam est l’usine textile de la région, notamment pour la Chine. Par ailleurs, il faut encore distinguer entre les pays à l’économie primaire (le bois en Indonésie, l’huile de palme en Malaisie…) et ceux de services (Singapour, Hong Kong).
Enfin le dénominateur commun, indépassable, de la région reste la mer. Presque tous les pays d’Asie orientale possèdent une façade maritime, par ailleurs assez explosée entre les zones littorales, les archipels. Ceci crée des tensions, sur la possession des îles et les eaux territoriales, comme entre la Chine et le Vietnam à propos de l’archipel des Spratlys. C'est une position stratégique. Elle contient des ressources naturelles, mais exige aussi des coopérations. Notamment pour lutter contre la piraterie.

Libre-échange
La région a donc essayé de mettre en place des accords régionaux. Les plus aboutis sont l’Asean (Association des Nations d’Asie du Sud Est), formée en 1967 contre l’avancée du communisme, et l’Apec (Asia-Pacific Economic Cooperation), fondée en 1989, qui s’est fixé pour objectif une zone de libre-échange à l’horizon 2010-2020.
La cohérence de l’Apec est aujourd’hui remise en question. Pour une union des pays du Pacifique, il est en effet surprenant qu’elle comprenne le Brésil…
L’organisation est d’ailleurs en perte de vitesse car ses deux principaux acteurs, la Chine et les États-Unis, ne s’y intéressent plus. L’Asean de son côté, semble bien démunie face à l’instabilité chronique de certains pays et à l’existence de conflits frontaliers. De plus, même si elle s’est dotée en 1991 d’objectifs économiques de libre-échange, l’opposition de certains pays désireux de protéger leurs fleurons nationaux, notamment les produits agricoles (riz en Thaïlande…), met des barrières considérables.

« Noodle bowl »
Depuis 10 ans, on assiste à une montée en puissance des accords de libre échange hors de ces organisations.
Ce sont eux qui régentent réellement la coopération économique, bien plus que les clubs régionaux. L’image du « noodle bowl », le bol de nouilles, est à cet égard assez parlante.
La coopération commerciale en Asie orientale ressemble aujourd’hui à un enchevêtrement désordonné d’accords de libre échange. Entre 2000 et 2009, leur nombre en Asie est passé de 3 à 54, et 78 sont actuellement en négociation. Chaque pays asiatique a conclu en moyenne 3,4 accords.
Le Japon en est le spécialiste. Grâce aux accords, il a créé un véritable réseau industriel automobile en Asie du Sud-Est, en exportant ses entreprises dans des pays trop petits pour posséder leur propre industrie.
Michel Fouquin parle d’une « très forte intégration économique de fait » : les accords institutionnels ne sont pas efficaces, mais la coopération progresse domaine par domaine et le processus d’intégration économique s’installe, hors de toute planification.



Vers une communauté économique


Comme dans les années 90, c’est de la crise que vient le changement. Depuis quelques mois, les nations est-asiatiques semblent aspirer à une plus grande institutionnalisation de la co-opération économique. L’Asean et l’Apec n’ont pas atteint leur but, qu’à cela ne tienne. De nouvelles formes doivent être trouvées afin de favoriser l’émergence d’une puissance capable de faire face aux États-Unis et à l’Union européenne. La charte de l’Asean ratifiée par tous les États membres en décembre 2008 comprend l’objectif d’une communauté économique sur le modèle européen.
Aux dix pays de l’Asean viendraient ainsi s’agréger le Japon, la Chine et la Corée, afin de créer un nouvel ensemble. Celui-ci comprendrait des puissances économiques suffisamment solides pour tirer derrière elles tout le continent, et le poids démographique de l’ensemble (plus de deux milliards d’individus) en fait, a priori, un géant.
Si le sommet de l’Asean qui doit avoir lieu en Thaïlande ne cesse d’être repoussé à cause des troubles qui agitent le pays, ne nous y trompons pas. Cela prouve qu’à défaut de stabilité interne, les nations de la zone n’ont pas abandonné l’espoir d’un processus d’harmonisation globale.
La réunion annuelle de la Banque asiatique du développement à Bali, du 2 au 5 mai dernier, a conduit à la mise en place d’un fonds de soutien de 120 milliards de dollars. C’est cette avancée considérable qui est le symbole de ce qui se dessine.

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