Par Patrice Grenier, avocat associé. Grenier Avocats
Il est peu de dire que la question de la couverture de punitive damages attire généralement des réponses pour le moins circonspectes et quasi inaudibles, le plus souvent opaques. Or, l’accroissement de ce risque y compris par émergence dans des nouveaux pays milite de plus fort pour qu’une réponse explicite et transparente soit apportée à sa demande de couverture.

Une situation confuse où c’est finalement la garantie accordée qui est aléatoire
Le système juridique et judiciaire nord-américain, qui dresse la carte des États où les punitive damages sont assurables, ceux où il est interdit de les assurer et ceux où le silence dicte ce qu’il est possible de faire, contribue à la complexité de la question. Comment offrir une garantie dans un pays qui ne sait pas lui-même poser une réponse fédérale à cette question ? Comment offrir cette garantie alors même que les assureurs de ces pays ont fait majoritairement le choix d’expatrier leur garantie vers des lieux off-shore et que d’autres assureurs viennent aujourd’hui offrir cette garantie sans pouvoir s’engager contractuellement à l’exercer ? Comment enfin appréhender de France cette problématique alors même que, s’ils se tournent vers leur juge national, les assurés français vont bénéficier d’une position de principe de non-exequatur des punitive damages, les privant de la possibilité d’en être assurés en France, plaçant ainsi dans une situation arbitrairement différente l’entité responsable si elle est domiciliée en France ou aux États Unis ? Le pragmatisme qui jusqu’ici a permis peu ou prou aux principaux acteurs exposés à un risque de punitive damages d’obtenir des garanties a pour corollaire insatisfaisant une incertitude et un aléa non plus du risque mais de la garantie !
Surtout, au-delà des réponses off-shore qui ont pu ou qui sont apportées principalement par des assureurs américains qui font ici preuve de pragmatisme plus que de réflexion juridique, les assureurs non américains doivent nécessairement répondre à des demandes de plus en plus importantes de groupes industriels exposés à ce risque et pour des montants non négligeables.
Or, l’intérêt d’assurance est réduit à sa plus simple et contestable expression lorsque, comme ici, l’assuré ne sait s’il est en droit ou non de présenter un risque et l’assureur, qui finit par l’accueillir, ne s’en charge qu’avec le maximum de distance prise avec son «?assuré?» : primes off-shore, indemnités payées à un tiers qui n’est pas la victime de la condamnation…
Il est évident qu’aujourd’hui la nécessité d’une garantie des punitive damages ne peut être remise en cause et que la question est désormais de concevoir cette garantie et donc de l’appréhender objectivement et en transparence.

Un enjeu important qui doit amener les acteurs à redéfinir le risque
Il est une première réflexion, déjà ancienne, qui consiste à rechercher les éléments qui démontrent le caractère involontaire de l’agissement qui est sanctionné et le caractère non répressif de la condamnation prononcée. À cet égard, la doctrine juridique notamment française est riche d’enseignements puisqu’elle distingue la fonction préventive dans les punitive damages qui est à rapprocher de la recherche d’une prévention du risque cher aux assureurs et qui peut être le premier lien pour une équation entre punitive damages et assurance. Elle développe habilement les critères de la réparation intégrale du préjudice et de ce qui excéderait cette réparation «?méritée?», posant là un jugement de valeur voir moral qui crée la limite d’une règle d’assurance. Ces pistes se heurtent à tout le moins à la subjectivité et donc l’instabilité. C’est là que doit intervenir la particularité du droit des assurances et de la recherche de la couverture d’un risque, qui est de distinguer in concreto des situations assurables de situations non assurables. On pense à la condamnation de punitive damages qui sera assurable lorsqu’elle n’est pas la sanction d’une récidive, notion qui voisine difficilement avec la notion d’aléa. On pense à la comparaison avec la garantie accordée aux condamnations résultant de clauses pénales et d’astreintes et qui, pour des raisons parfaitement comparables aux débats sur les punitive damages, ont pu susciter des réticences quant à leur assurabilité. Mais il faut ici admettre que la complexité de la garantie des punitive damages tient tout autant aux risques financiers, de plus en plus importants et systématiques, qu’ils représentent. Bien plus, ce sera probablement par cette approche quantifiée de la garantie de ce risque que sera juridiquement validée la garantie accordée. Ainsi, l’assurabilité serait justifiée par la notion d’«?interdiction d’excès?» qui renvoie si facilement aux plafonds des garanties d’assurance. Cette évolution est en phase avec celle relative à la conformité des punitive damages à l’ordre public français, posée par la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 1er?décembre 2010 (09-13.303), a admis que le principe des dommages et intérêts punitifs n’est pas contraire à l’ordre public français et que la décision allouant des punitive damages était susceptible d’exequatur, sauf si le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur. En réalité, dès lors que les conceptions auront évolué pour dissocier la fonction de punitive damages de tout jugement moral, que sera abandonné la notion d’enrichissement illégitime ou d’aubaine de la part de la victime, et qu’il sera reconnu que la fonction de la responsabilité repose déjà largement, partout dans le monde, sur des dommages-intérêts punitifs même s’ils n’en ont pas le nom, la garantie directe et objective pourra trouver sa place, la question n’étant plus une question de principe mais une question de mesure.
En conclusion, nous plaidons pour que le marché de l’assurance optera pour cette approche démystifiée et, laissant derrière lui ses peurs anciennes, concevra un système combinant sécurité juridique et appréciation quantifiée du risque, condition pour obtenir sa validation par les juges ; et ainsi rassurer à juste titre les bénéficiaires de cette garantie. La couverture d’assurance des punitive damages a elle aussi droit à la lumière qui, aujourd’hui, n’éclaire que les sanctions.

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail