Par Jean-Louis Fourgoux et Leyla Djavadi, avocats associés. Fourgoux & Associés
Publicité comparative et sites comparateurs?: focus sur les limites à ne pas franchir
Alors que la publicité reste un atout indéniable voire même vital pour une entreprise, la publicité comparative n’effraie plus les acteurs du marché qui se l’approprient de plus en plus, et envahit tous les secteurs d’activité (grande distribution, assurance, location automobile, laboratoire pharmaceutique…).
On ne s’étonne plus du nombre de litiges liés à des pratiques de comparaison. En témoigne par exemple une affaire tranchée très récemment, le 24?mai 2013, par le tribunal de commerce de Paris (1). Le PDG de SFR avait déclaré dans une interview qu’« Orange a du mal à s’organiser au niveau qui est le nôtre sur la 4G ». Orange, s’estimant dénigrée, a poursuivi SFR. Il fallait donc rechercher si les propos litigieux tenus par SFR avaient pour effet de jeter le discrédit sur Orange en répandant notamment des appréciations péjoratives. Les juges ont retenu qu’effectivement «?le public ne pourra que retenir que la société Orange n’est prétendument pas en mesure d’offrir un service 4G très haut débit au moins équivalent à celui proposé par SFR?» et ont condamné SFR pour le dénigrement manifeste.
Cette décision est assez représentative des méthodes comparatives qui progressent et des précautions à prendre sur le choix des mots.
Une multiplication des techniques de comparaison
Parmi les pratiques publicitaires, la comparaison séduit de plus en plus de professionnels. Elle peut être explicite en citant le concurrent, comme dans l’affaire jugée le 24?mai dernier, ou implicite en faisant référence à des caractéristiques du concurrent connues du grand public. Cette pratique est licite sous réserve qu’elle ne soit ni trompeuse ni dénigrante, et qu’elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie.
C’est notamment sous l’influence d’une directive communautaire de 1997 que les limites à la comparaison ont été assouplies, dans l’intérêt du consommateur. La jurisprudence a également contribué à l’essor de cette technique commerciale en autorisant expressément les concurrents à «?faire pratiquer des relevés par leurs salariés dans leurs magasins respectifs?», et ce en vertu du libre jeu de la concurrence qui commande que les concurrents puissent comparer leurs prix (2). Avec l’utilisation croissante d’Internet par les professionnels qui cherchent constamment de nouvelles idées pour se démarquer de leurs concurrents, les comparaisons et les méthodes comparatives fleurissent également sur la Toile. L’une des dernières trouvailles est le site comparateur. Un tiers ou un concurrent met en place un site grâce auquel les consommateurs peuvent comparer directement les caractéristiques d’au moins deux produits concurrents sans avoir à se déplacer dans chacun des points de vente des enseignes. Le bénéfice pour le consommateur est a priori direct : gain de temps et d’argent, démultiplication du choix des produits… Encore faut-il que la comparaison soit objective et la méthodologie transparente.
En raison de leurs avantages, les sites comparateurs n’ont jamais été interdits en eux-mêmes par les juridictions européennes et françaises. Toutefois, à défaut d’encadrement légal et réglementaire, ce sont essentiellement les juges qui ont forgé les obligations incombant à ces prestataires. Ainsi, les comparateurs en ligne ont l’obligation de mettre à jour les prix, d’indiquer les frais de port ou les conditions de garanties (3). Un autre comparateur a été sanctionné plus récemment, Leguide.com, pour ne pas avoir révélé aux internautes que les produits mis en avant bénéficiaient d’un référencement préférentiel, et qu’en ce sens, il exerçait une activité publicitaire (4).
La référence à un concurrent dans une publicité et le dénigrement
Il est légitime de se demander dans quelle mesure la référence expresse à un concurrent (marque, enseigne, logo…) dans une publicité comparative est licite. L’article L. 121-9 du Code de la consommation nous éclaire sur ce point et indique notamment que le fait d’avoir recours à la publicité comparative qui entraîne le discrédit ou le dénigrement d'un concurrent est prohibé. De même, la seule citation de la marque ne peut être jugée déloyale quand bien même le concurrent cité bénéficie d’une certaine notoriété. En effet, la publicité comparative n’a pas pour objet de limiter la comparaison aux produits peu ou non connus. Dès lors, le fabricant d’un médicament générique peut mentionner la marque du princeps (5). À titre d’exemple, il est licite d’utiliser la marque d’un concurrent tant que la publicité ne met pas uniquement en avant une caractéristique négative de son produit dans des conditions de nature à jeter le discrédit sur celui-ci. Dans l’affaire qui a opposé Nespresso à Bodum, il était reproché à Bodum une présentation dévalorisante de la cafetière avec des capsules usagées (6).
Les actions en dénigrement sont assez efficaces car, à la différence de la diffamation, l’intention de l’auteur n’est pas prise en compte et l’auteur des propos ou du comportement litigieux ne peut se défendre en invoquant l’exception de vérité. De plus, une fois que le dénigrement est constitué, les juges considèrent qu’un préjudice «?s'infère nécessairement du seul dénigrement commis, générateur d'un trouble commercial?». La présomption du préjudice instaurée par les juges allège donc considérablement la charge de la preuve qui incombe à la victime du dénigrement (7).
Pour que l’action en dénigrement aboutisse favorablement à celui qui se prétend victime, encore faut-il qu’il puisse être identifié comme la cible de la publicité par le consommateur. Il peut être désigné expressément ou implicitement. Si la désignation est implicite, il est nécessaire de prouver que le consommateur moyen peut aisément identifier la cible de la publicité litigieuse (8). À titre d’exemple, il a été jugé que l’utilisation par une parapharmacie du terme «?Para?» dans une publicité comparative ne faisait pas forcément référence au magasin «?Parasanté?» qui se trouvait à proximité en raison de l’ambiguïté du terme qui ne permettait pas à lui seul d’identifier le concurrent (9).
Les droits des consommateurs et le projet de loi consommation
L’une des mesures phares du projet de loi consommation (10) est l’introduction de l’action de groupe dans notre droit. Cette action peut avoir un impact sur les pratiques des acteurs de la publicité comparative étant donné que les consommateurs ne seront plus seuls face à au professionnel, mais regroupés et organisés pour obtenir la réparation de leurs préjudices en cas de publicité trompeuse. La prudence est donc de mise en matière de comparaison.
1- TC Paris, 24 mai 2013, RG n° 2013/001713, Orange France c/ SFR
2-Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-21.862
3-Cass. com., 29 nov. 2011, n° 10-27402, Kelkoo
4-Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-27729
5-Cass. com., 24 mai 2011, n° 09-70.722
6-Cass. com., 25 sept. 2012, n° 11-21.266
7-Cass. com., 14 juin 2000, n° 98-10.689
8-Cass. com., 19 juin 2001, n° 99-13.870
9-Cass. com., 14 juin 2000, n° 98-11.490
10-Cass. com., 14 juin 2000, n° 98-11.490
On ne s’étonne plus du nombre de litiges liés à des pratiques de comparaison. En témoigne par exemple une affaire tranchée très récemment, le 24?mai 2013, par le tribunal de commerce de Paris (1). Le PDG de SFR avait déclaré dans une interview qu’« Orange a du mal à s’organiser au niveau qui est le nôtre sur la 4G ». Orange, s’estimant dénigrée, a poursuivi SFR. Il fallait donc rechercher si les propos litigieux tenus par SFR avaient pour effet de jeter le discrédit sur Orange en répandant notamment des appréciations péjoratives. Les juges ont retenu qu’effectivement «?le public ne pourra que retenir que la société Orange n’est prétendument pas en mesure d’offrir un service 4G très haut débit au moins équivalent à celui proposé par SFR?» et ont condamné SFR pour le dénigrement manifeste.
Cette décision est assez représentative des méthodes comparatives qui progressent et des précautions à prendre sur le choix des mots.
Une multiplication des techniques de comparaison
Parmi les pratiques publicitaires, la comparaison séduit de plus en plus de professionnels. Elle peut être explicite en citant le concurrent, comme dans l’affaire jugée le 24?mai dernier, ou implicite en faisant référence à des caractéristiques du concurrent connues du grand public. Cette pratique est licite sous réserve qu’elle ne soit ni trompeuse ni dénigrante, et qu’elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie.
C’est notamment sous l’influence d’une directive communautaire de 1997 que les limites à la comparaison ont été assouplies, dans l’intérêt du consommateur. La jurisprudence a également contribué à l’essor de cette technique commerciale en autorisant expressément les concurrents à «?faire pratiquer des relevés par leurs salariés dans leurs magasins respectifs?», et ce en vertu du libre jeu de la concurrence qui commande que les concurrents puissent comparer leurs prix (2). Avec l’utilisation croissante d’Internet par les professionnels qui cherchent constamment de nouvelles idées pour se démarquer de leurs concurrents, les comparaisons et les méthodes comparatives fleurissent également sur la Toile. L’une des dernières trouvailles est le site comparateur. Un tiers ou un concurrent met en place un site grâce auquel les consommateurs peuvent comparer directement les caractéristiques d’au moins deux produits concurrents sans avoir à se déplacer dans chacun des points de vente des enseignes. Le bénéfice pour le consommateur est a priori direct : gain de temps et d’argent, démultiplication du choix des produits… Encore faut-il que la comparaison soit objective et la méthodologie transparente.
En raison de leurs avantages, les sites comparateurs n’ont jamais été interdits en eux-mêmes par les juridictions européennes et françaises. Toutefois, à défaut d’encadrement légal et réglementaire, ce sont essentiellement les juges qui ont forgé les obligations incombant à ces prestataires. Ainsi, les comparateurs en ligne ont l’obligation de mettre à jour les prix, d’indiquer les frais de port ou les conditions de garanties (3). Un autre comparateur a été sanctionné plus récemment, Leguide.com, pour ne pas avoir révélé aux internautes que les produits mis en avant bénéficiaient d’un référencement préférentiel, et qu’en ce sens, il exerçait une activité publicitaire (4).
La référence à un concurrent dans une publicité et le dénigrement
Il est légitime de se demander dans quelle mesure la référence expresse à un concurrent (marque, enseigne, logo…) dans une publicité comparative est licite. L’article L. 121-9 du Code de la consommation nous éclaire sur ce point et indique notamment que le fait d’avoir recours à la publicité comparative qui entraîne le discrédit ou le dénigrement d'un concurrent est prohibé. De même, la seule citation de la marque ne peut être jugée déloyale quand bien même le concurrent cité bénéficie d’une certaine notoriété. En effet, la publicité comparative n’a pas pour objet de limiter la comparaison aux produits peu ou non connus. Dès lors, le fabricant d’un médicament générique peut mentionner la marque du princeps (5). À titre d’exemple, il est licite d’utiliser la marque d’un concurrent tant que la publicité ne met pas uniquement en avant une caractéristique négative de son produit dans des conditions de nature à jeter le discrédit sur celui-ci. Dans l’affaire qui a opposé Nespresso à Bodum, il était reproché à Bodum une présentation dévalorisante de la cafetière avec des capsules usagées (6).
Les actions en dénigrement sont assez efficaces car, à la différence de la diffamation, l’intention de l’auteur n’est pas prise en compte et l’auteur des propos ou du comportement litigieux ne peut se défendre en invoquant l’exception de vérité. De plus, une fois que le dénigrement est constitué, les juges considèrent qu’un préjudice «?s'infère nécessairement du seul dénigrement commis, générateur d'un trouble commercial?». La présomption du préjudice instaurée par les juges allège donc considérablement la charge de la preuve qui incombe à la victime du dénigrement (7).
Pour que l’action en dénigrement aboutisse favorablement à celui qui se prétend victime, encore faut-il qu’il puisse être identifié comme la cible de la publicité par le consommateur. Il peut être désigné expressément ou implicitement. Si la désignation est implicite, il est nécessaire de prouver que le consommateur moyen peut aisément identifier la cible de la publicité litigieuse (8). À titre d’exemple, il a été jugé que l’utilisation par une parapharmacie du terme «?Para?» dans une publicité comparative ne faisait pas forcément référence au magasin «?Parasanté?» qui se trouvait à proximité en raison de l’ambiguïté du terme qui ne permettait pas à lui seul d’identifier le concurrent (9).
Les droits des consommateurs et le projet de loi consommation
L’une des mesures phares du projet de loi consommation (10) est l’introduction de l’action de groupe dans notre droit. Cette action peut avoir un impact sur les pratiques des acteurs de la publicité comparative étant donné que les consommateurs ne seront plus seuls face à au professionnel, mais regroupés et organisés pour obtenir la réparation de leurs préjudices en cas de publicité trompeuse. La prudence est donc de mise en matière de comparaison.
1- TC Paris, 24 mai 2013, RG n° 2013/001713, Orange France c/ SFR
2-Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-21.862
3-Cass. com., 29 nov. 2011, n° 10-27402, Kelkoo
4-Cass. com., 4 déc. 2012, n° 11-27729
5-Cass. com., 24 mai 2011, n° 09-70.722
6-Cass. com., 25 sept. 2012, n° 11-21.266
7-Cass. com., 14 juin 2000, n° 98-10.689
8-Cass. com., 19 juin 2001, n° 99-13.870
9-Cass. com., 14 juin 2000, n° 98-11.490
10-Cass. com., 14 juin 2000, n° 98-11.490