Par Sacha Benichou, avocat associé. SB Avocats
« Closing » sans papier, fantasme ou réalité??
« Avant d’imprimer, pensez à l’environnement »… à vos collaborateurs et à vos clients également.
L’essor que connaissent un certain nombre de services «cloud» permettant de signer des documents en ligne ouvre la voie à la dématérialisation et la simplification des processus traditionnels, trop souvent lourds, coûteux et fastidieux, de tenue des réunions de signature («closing»).
Et si nous franchissions le pas ?
Vingt-trois heures, dans la salle de reproduction d‘un cabinet parisien : « On vient de finir l’impression des quinze exemplaires du pacte et de la GAP avec leurs annexes. Maintenant, reste à les "assemblacter". Je m’occupe des rivets. Toi, tu mets la bande bleue. Fais attention au coup de tampon sur première page, ça bave
à chaque fois sur la couverture en plastique. »
Le lendemain matin, en salle de réunion. La séance de signature a commencé. Une voix s’élève. C’est un actionnaire qui lit les documents pour la première fois :
« Je crois qu’il y a une typo sur la page 23 du pacte.» « Mince, il a raison.On rature et on paraphe à côté ?». Petit silence et gros cas de conscience. « Ok, on fait comme ça. » La même voix, quelques secondes plus tard. « Je crois qu’il y a la même erreur en page 26. » Là, il a dit « erreur ».
« Allez, on change les pages. Pour gagner du temps, on va leur faire parapher les “ masters ”3 ». On fait circuler les docs. Petit bruit strident d’un rivet qui frotte sur la table de réunion. Aïe, une rayure de plus. 4 000 paraphes pour les masters et 30 signatures plus tard. Champagne.
« On fait quoi des originaux, on part avec ou vous les gardez ? » Petit souci. L’investisseur représente 5 fonds, donc plus de 10 kilos de papier et il n’a pas pris de valise pour transporter le tout. Pas grave, il prend un exemplaire avec lui et on lui fait porter le reste. Après tout, on a déjà consommé un arbre, on peut bien brûler un peu de pétrole. De toute façon, ce qui l’intéresse c’est la version scannée et il l’aura en fin de journée par mail. Poignées de mains, sourires et vœux échangés.
On raccompagne les participants. Sur le pas de la porte, l’investisseur nous félicite pour la logistique et nous lance ce petit pic « dire qu’un jour, on fera tout ça en quelques clics, sauf le champagne bien sûr… ».
Et si c’était déjà possible ?
Il existe un présupposé selon lequel la signature manuscrite serait plus fiable qu’une signature électronique. C’est là, le principal facteur de résistance à l’utilisation des nouveaux outils qui permettent de «?dématérialiser?» la signature d’actes sous-seing privés.
Commençons par clarifier la différence qui existe entre une signature « manuscrite » et une signature « électronique ».
La signature manuscrite est un procédé intemporel qui consiste à apposer un signe plus ou moins explicite avec une dextérité propre à son auteur. Il a deux fonctions essentielles : il identifie son auteur et exprime son consentement. (art. 1 306-4 du Code civil). Sa fiabilité n’est pas absolue. La signature peut être imitée, mais sous la sanction pénale de l’usage de faux. Sur le plan civil, la remise en cause de son authenticité relève de la procédure de vérification d’écriture (art. 287 et s. CPC),
qui s’effectue par voie de comparaison visuelle.
La signature électronique, à laquelle la loi accorde la même valeur probante, n’est pas un procédé «?graphique?» mais informatique. Il consiste à appliquer une fonction mathématique (une fonction de cryptage) à un fichier informatique en se servant d’une «?clé?» unique de cryptage. Cette clé est délivrée à son titulaire sous la forme d’un «?certificat électronique?», après avoir vérifié son identité avec un niveau plus ou moins élevé de contrôle. La vérification de la signature est très simple : elle consiste à signer de nouveau le document avec la même clé et de vérifier que le résultat est le même. La fiabilité de ce système tient donc plus au niveau de vérifications opérées lors de la délivrance du certificat que du procédé de signature
lui-même.
Pourquoi la signature électronique n’a-t-elle toujours pas trouvé son droit de cité dans les closing ?
Tout simplement parce que sa mise en œuvre est complexe du point de vue pratique. Cela supposerait de faire délivrer à chaque signataire, par une autorité de certification, un certificat sur un support numérique (une clé USB le plus souvent) après avoir pu vérifier leur identité en leur présence physique. Quitte à demander au signataire de se déplacer, autant lui faire signer le document à la main. La principale raison pour laquelle la signature ne connaît pas d’expansion dans le secteur des professionnels du droit tient donc non pas au procédé, mais à l’intendance nécessaire à sa mise en œuvre.
Existe-t-il des solutions alternatives ?
Oui. Certaines consistent à identifier la personne par le biais de son adresse électronique et d’un code PIN unique qui lui est adressé sur son téléphone portable.
Ce procédé s’apparente à celui mis en place par les établissements bancaires pour le paiement en ligne par carte de crédit (3D Secure). En France, ce type de service est notamment proposé par la société e-closing. D’autres, comme RightSignature, Echosign ou DocuSign, consistent à faire signer manuscritement mais par voie électronique. Le document est téléchargé sur une plateforme par le biais de laquelle les signataires sont déclarés. Chaque signataire reçoit un lien par courrier électronique lui permettant d’accéder à une page dans laquelle il peut relire le document et apposer sa signature à l’aide de sa souris ou d’un stylet.
Ces services stockent l’ensemble des données de connexion des signataires, parmi lesquels leur adresse IP. Les documents signés sont horodatés auprès d’un tiers de confiance pour acquérir date certaine. Ils sont ensuite transmis aux signataires au format pdf, ce qui supprime toutes les contraintes liées aux impressions
« papier ». Ils sont ensuite archivés pour garantir leur intégrité dans le temps.
Ces solutions sont-elles suffisamment fiables ?
Le risque est qu’une personne mal intentionnée accède au téléphone ou à la boîte mail du signataire et signe à sa place en imitant sa signature. Il est possible en théorie mais très faible en pratique. Tout comme celui d’imitation d’une signature manuscrite traditionnelle qui ne confère pas de sécurité absolue.
Au-delà de leur extrême praticité, ces services sont plus fiables, par leur mode de fonctionnement et les couches de sécurité qu’ils offrent, que le procédé souvent utilisé consistant à faire signer un document à distance, puis à le récupérer par voie postale, par fax ou par scan. Il s’agit, en fin de compte, d’un arbitrage à opérer entre le risque improbable d’une remise en cause de ces procédés avec l’avantage substantiel, en termes de temps et de coûts, que procure la dématérialisation des fastidieux processus de signature que nous connaissons aujourd’hui. Reste, certes, le plaisir d’une coupe de champagne.
www.sbavocats.com
L’essor que connaissent un certain nombre de services «cloud» permettant de signer des documents en ligne ouvre la voie à la dématérialisation et la simplification des processus traditionnels, trop souvent lourds, coûteux et fastidieux, de tenue des réunions de signature («closing»).
Et si nous franchissions le pas ?
Vingt-trois heures, dans la salle de reproduction d‘un cabinet parisien : « On vient de finir l’impression des quinze exemplaires du pacte et de la GAP avec leurs annexes. Maintenant, reste à les "assemblacter". Je m’occupe des rivets. Toi, tu mets la bande bleue. Fais attention au coup de tampon sur première page, ça bave
à chaque fois sur la couverture en plastique. »
Le lendemain matin, en salle de réunion. La séance de signature a commencé. Une voix s’élève. C’est un actionnaire qui lit les documents pour la première fois :
« Je crois qu’il y a une typo sur la page 23 du pacte.» « Mince, il a raison.On rature et on paraphe à côté ?». Petit silence et gros cas de conscience. « Ok, on fait comme ça. » La même voix, quelques secondes plus tard. « Je crois qu’il y a la même erreur en page 26. » Là, il a dit « erreur ».
« Allez, on change les pages. Pour gagner du temps, on va leur faire parapher les “ masters ”3 ». On fait circuler les docs. Petit bruit strident d’un rivet qui frotte sur la table de réunion. Aïe, une rayure de plus. 4 000 paraphes pour les masters et 30 signatures plus tard. Champagne.
« On fait quoi des originaux, on part avec ou vous les gardez ? » Petit souci. L’investisseur représente 5 fonds, donc plus de 10 kilos de papier et il n’a pas pris de valise pour transporter le tout. Pas grave, il prend un exemplaire avec lui et on lui fait porter le reste. Après tout, on a déjà consommé un arbre, on peut bien brûler un peu de pétrole. De toute façon, ce qui l’intéresse c’est la version scannée et il l’aura en fin de journée par mail. Poignées de mains, sourires et vœux échangés.
On raccompagne les participants. Sur le pas de la porte, l’investisseur nous félicite pour la logistique et nous lance ce petit pic « dire qu’un jour, on fera tout ça en quelques clics, sauf le champagne bien sûr… ».
Et si c’était déjà possible ?
Il existe un présupposé selon lequel la signature manuscrite serait plus fiable qu’une signature électronique. C’est là, le principal facteur de résistance à l’utilisation des nouveaux outils qui permettent de «?dématérialiser?» la signature d’actes sous-seing privés.
Commençons par clarifier la différence qui existe entre une signature « manuscrite » et une signature « électronique ».
La signature manuscrite est un procédé intemporel qui consiste à apposer un signe plus ou moins explicite avec une dextérité propre à son auteur. Il a deux fonctions essentielles : il identifie son auteur et exprime son consentement. (art. 1 306-4 du Code civil). Sa fiabilité n’est pas absolue. La signature peut être imitée, mais sous la sanction pénale de l’usage de faux. Sur le plan civil, la remise en cause de son authenticité relève de la procédure de vérification d’écriture (art. 287 et s. CPC),
qui s’effectue par voie de comparaison visuelle.
La signature électronique, à laquelle la loi accorde la même valeur probante, n’est pas un procédé «?graphique?» mais informatique. Il consiste à appliquer une fonction mathématique (une fonction de cryptage) à un fichier informatique en se servant d’une «?clé?» unique de cryptage. Cette clé est délivrée à son titulaire sous la forme d’un «?certificat électronique?», après avoir vérifié son identité avec un niveau plus ou moins élevé de contrôle. La vérification de la signature est très simple : elle consiste à signer de nouveau le document avec la même clé et de vérifier que le résultat est le même. La fiabilité de ce système tient donc plus au niveau de vérifications opérées lors de la délivrance du certificat que du procédé de signature
lui-même.
Pourquoi la signature électronique n’a-t-elle toujours pas trouvé son droit de cité dans les closing ?
Tout simplement parce que sa mise en œuvre est complexe du point de vue pratique. Cela supposerait de faire délivrer à chaque signataire, par une autorité de certification, un certificat sur un support numérique (une clé USB le plus souvent) après avoir pu vérifier leur identité en leur présence physique. Quitte à demander au signataire de se déplacer, autant lui faire signer le document à la main. La principale raison pour laquelle la signature ne connaît pas d’expansion dans le secteur des professionnels du droit tient donc non pas au procédé, mais à l’intendance nécessaire à sa mise en œuvre.
Existe-t-il des solutions alternatives ?
Oui. Certaines consistent à identifier la personne par le biais de son adresse électronique et d’un code PIN unique qui lui est adressé sur son téléphone portable.
Ce procédé s’apparente à celui mis en place par les établissements bancaires pour le paiement en ligne par carte de crédit (3D Secure). En France, ce type de service est notamment proposé par la société e-closing. D’autres, comme RightSignature, Echosign ou DocuSign, consistent à faire signer manuscritement mais par voie électronique. Le document est téléchargé sur une plateforme par le biais de laquelle les signataires sont déclarés. Chaque signataire reçoit un lien par courrier électronique lui permettant d’accéder à une page dans laquelle il peut relire le document et apposer sa signature à l’aide de sa souris ou d’un stylet.
Ces services stockent l’ensemble des données de connexion des signataires, parmi lesquels leur adresse IP. Les documents signés sont horodatés auprès d’un tiers de confiance pour acquérir date certaine. Ils sont ensuite transmis aux signataires au format pdf, ce qui supprime toutes les contraintes liées aux impressions
« papier ». Ils sont ensuite archivés pour garantir leur intégrité dans le temps.
Ces solutions sont-elles suffisamment fiables ?
Le risque est qu’une personne mal intentionnée accède au téléphone ou à la boîte mail du signataire et signe à sa place en imitant sa signature. Il est possible en théorie mais très faible en pratique. Tout comme celui d’imitation d’une signature manuscrite traditionnelle qui ne confère pas de sécurité absolue.
Au-delà de leur extrême praticité, ces services sont plus fiables, par leur mode de fonctionnement et les couches de sécurité qu’ils offrent, que le procédé souvent utilisé consistant à faire signer un document à distance, puis à le récupérer par voie postale, par fax ou par scan. Il s’agit, en fin de compte, d’un arbitrage à opérer entre le risque improbable d’une remise en cause de ces procédés avec l’avantage substantiel, en termes de temps et de coûts, que procure la dématérialisation des fastidieux processus de signature que nous connaissons aujourd’hui. Reste, certes, le plaisir d’une coupe de champagne.
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