Top 1?000 World Banks 2009?: déception des critères et des résultats
Le classement 2009 du magazine The Banker déçoit au premier abord. La crise et ses conséquences n’y apparaissent pas, ni en termes de capital ni en termes de fonds Tier 1. Seule une hiérarchisation sur un critère de bénéfices montre la progression des banques chinoises à cette occasion.
L’observation des profits bancaires est un axe d’interprétation majeur du Top 1000 2009. Les bénéfices cumulés des banques classées ont plongé de 85,3 %, soit une chute de 780 à 115 milliards de dollars. Les rendements se sont effondrés de 20 % à 2,69 %.
Mais les banques ont amorti leurs pertes et accepté de larges recapitalisations, le plus souvent sous aide gouvernementale. Les fonds propres Tier 1 du Top 1000 ont ainsi augmenté de 9,7 % pour atteindre 4276 milliards de dollars. La capitalisation totale a augmenté de 6,8 % et vaut désormais plus de 96 000 milliards de dollars. Bien qu’impressionnante, cette croissance est cependant moins soutenue qu'au cours des années précédentes. La capitalisation totale du Top 1000 avait doublé entre 2003 et 2008.
Malgré ces deux mouvements de fond, le visage du marché mondial de la banque n’a pas changé. Les établissements espagnols et chinois brillent par leurs profits, mais les banques occidentales dominent toujours le marché. Certaines ont paradoxalement vu leur position renforcée par la consolidation post-crise.
L’effondrement des bénéfices
Les profits du Top 1000 se sont réduits comme peau de chagrin, perdant 85,3 % de leur valeur. Voici l’étendue des conséquences de la crise sur le système bancaire international. D’autant que la croissance des bénéfices était de 20 % par an jusqu’en 2007. Cette année là, ils n’avaient progressé que de 0,7 %.
Le quotient (bénéfices bruts cumulés des 25 premières banques en capital) / Tier 1 était l’an dernier de 20 %, chiffre équivalent aux 23,4 % de l’exercice 2006. Cette année, il est tombé à 2,69 %.
Les statistiques des années précédentes laissaient espérer que les banques occidentales les plus performantes allaient absorber leurs pertes sans difficulté. Mais elles ont été exceptionnellement importantes. Pour la première fois depuis la création du Top 1000 il y a 39 ans, les banques du Top 25 ont enregistré une perte.
Ces banques, représentent 40 % des fonds propres Tier 1 et 45 % de la capitalisation du Top 1000. Elles ont perdu 32,37 milliards de dollars (alors que le Top 1000 dans son ensemble est bénéficiaire à hauteur de 115 milliards de dollars). Les pertes du Top 5 sont encore plus impressionnantes, elles s’élèvent à 95,8 milliards de dollars.
La Royal Bank of Scotland détient la palme avec ses 59,3 milliards de pertes. Suivent Citigroup (-53 milliards) et la Wells Fargo (-47,7 milliards).
Dorian Gray
Le classement en termes de Tier 1 a très peu évolué dans sa composition et dans son taux de croissance.
Alors que de très nombreuses banques appelaient leur gouvernement à l’aide pour restaurer leur capital, ou vendaient une partie de leurs actifs, certains experts ou banquiers s’imaginaient que la hiérarchie des grandes banques allait être largement remodelée cette année. En réalité, malgré l’ampleur de la crise et des erreurs commises par les banques, le classement n’a pas changé de visage.
À l’exception de trois nouveaux venus (Goldman Sachs, 13e, Morgan Stanley, 17e, et Agricultural Bank of China, 24e), le Top 25 est composé des mêmes institutions que l’an dernier.
Il est dominé par les groupes occidentaux, malgré la présence de quelques acteurs japonais et chinois. Les Anglo-Saxons se partagent les cinq premières places : JP Morgan, suivi de Bank of America, Citigroup, Royal Bank of Scotland, et HSBC.
Si l’on prive les banques de leurs aides publiques pour recalculer le classement, les remaniements sont mineurs : JP Morgan et Bank of America restent 1ères et 2e, HSBC passe 3e, Mitsubishi UFJ monte de la 7e à la 4e place, et ICBC passe de la 8e à la 5e place.
Le rachat de Bear Stearns et Washington Mutual par JP Morgan l’a propulsée à la première marche du podium. L’acquisition de Merrill Lynch a donné la 2e place à Bank of America. De la même façon, l’achat de Wachovia par la Wells Fargo a permis à la banque californienne de passer de la 23e à la 6e place.
Le mariage des Britanniques Lloyds et HBOS est survenu trop tard pour être pris en compte dans le classement. Le jeune couple y aurait occupé la 16e place, juste derrière son concurrent direct : la Barclay’s bank.
L’absence de bouleversement dans le Top 1000 n’est pas si surprenante. Les autorités de régulation ont poussé les banques à augmenter leur capital, et les aides de l’état ont souvent été payées en actions.
Les fonds Tier 1 cumulés du Top 25 ont donc augmenté cette année, bien que plus faiblement que les années précédentes. Leur croissance a atteint 9,7 %, au lieu de 15,9 % en 2007.
Le critère controversé des fonds Tier 1
Il y a un paradoxe à constater que la crise de 2008, bancaire en grande partie, n’entraîne pas d’évolution notoire dans le classement Top 1000.
Le critère des fonds Tier 1 ne semble plus pertinent.
Certains disent que les fonds Tier 1, qui rassemblent dans leur sens le plus large actions ordinaires, actions avec droit de préférence, dette subordonnée de long terme, goodwill et autres actifs intangibles, sont un critère inadapté pour apprécier la force du capital qu’il est impossible d’apprécier la capacité d’une banque à absorber les pertes en considérant cette donnée.
Pendant la crise, des banques se sont effondrées ou se sont trouvées à genoux, alors qu’elles étaient considérées comme correctement capitalisées. Les tests de résistance ou stress tests pratiqués par les autorités financières américaines sont d’ailleurs critiqués pour la place qu’ils donnent aux fonds Tier 1.
Bank of America avait par exemple un ratio Tier 1 de 10,1 % au premier trimestre 2008, alors que celui de Citigroup était de 11,9 %. En d’autres termes, les deux possédaient le double ou le triple du ratio minimum.
Le critère utilisé par le magazine The Banker pour établir son Top 1000, repose sur une définition bien plus étroite que la définition large évoquée plus haut. Les fonds Tier 1 ne sont composés que du noyau dur des capitaux propres : le capital social et les résultats mis en réserve. Il exclut la dette de long terme, le goodwill, et les actions auto-détenues.
Le gonflement du capital
Le capital cumulé des banques du Top 1000 a progressé de 998,9 milliards de dollars depuis le début de la crise, pour 1040,7 milliards de dollars de dépréciations et pertes. En Europe, l’augmentation du capital cumulé a excédé les pertes, avec 422,3 milliards contre 420,7 milliards de dollars.
En Asie, l’augmentation de capital a atteint 75,9 milliards de dollars pour des pertes de 37,3 milliards. Il n’y a qu’en Amérique que les pertes ont excédé les levées de capitaux, avec 500,7 milliards et 582,6 milliards de dollars respectivement.
De nombreuses banques se sont soignées à coup d’augmentation massive de capital. Citigroup a par exemple levé 104,3 milliards de dollars pour des pertes de 101,8 milliards. La Barclays a levé 29,6 milliards pour des pertes de 19,9 milliards de dollars.
Le nouveau venu du Top 25 le plus haut placé, Goldman Sachs, a levé 5 milliards de dollars l’an dernier sous forme d’actions à droit de préférence auprès de Berkshire Hathaway, et 5 milliards d’actions ordinaires auprès du public.
À cela s’ajoutent les 10 milliards de dollars d’actions à droits de préférence souscrites par le gouvernement américain. En contrepoint de ces 20 milliards de dollars, les pertes de la banque n’ont été que de 7,9 milliards.
Un ratio capital / actifs qui
augmente
Les investisseurs et les autorités de régulation ont relevé ce qu’ils estimaient être un bon niveau de capital. Le ratio capital / actifs des banques du Top 1000 a donc augmenté.
Le Tier 1 du Top 1000 est ainsi passé à 4,43 %, ce qui représente une hausse de 11 points de base. Quant au ratio capital / actifs du Top 1000, il a augmenté de 8 %. Si l’on s’intéresse aux banques du Top 25, 12 ont renforcé leur ratio, et une seule est au niveau de 2008.
Les deux nouveaux venus, Goldman Sachs et Morgan Stanley, ont le ratio capital / actifs le plus haut, avec 7,08 % et 7,68 % respectivement.
Une modification des règles comptables ferait augmenter le ratio capital / actifs encore davantage pour les 365 banques européennes présentes dans le Top 1000, car les standards financiers internationaux gonflent les bilans européens par rapport aux banques américaines obéissant aux règles du GAAP (General Accepted Accounting Principles). Elles autorisent en effet une plus grande compensation par produits dérivés.
La situation est tout autre aujourd’hui : les investisseurs qui demandaient il y a six mois encore des garanties au gouvernement, ou des notations AAA, émettent allégrement obligations subordonnées et super-subordonnées (perpétuelles), à l’instar de la Standard Chartered, du Crédit agricole ou de la Rabobank.
Davantage d’actifs
La valeur des actifs détenus par les banques du Top 1000 a augmenté de 6,8 % en 2008. Elle atteint 96 395 milliards de dollars. Les dix premières banques classées par valeur des actifs restent les mêmes. Elles sont menées par la Royal Bank of Scotland, en dépit de la chute de 8 % de la valeur de ses actifs, évalués aujourd’hui à 3500 milliards de dollars.
Trois nouveaux entrent dans le Top 25 des actifs. L’Agricultural Bank of China prend la 22e place, et la Bank of China prend la suivante. Le troisième nouveau venu est la Well’s Fargo, qui a gagné du terrain grâce à son acquisition de la banque Wachovia.
Sous cette apparence de calme plat, le rendement des actifs est passé de 0,87 % l’an passé à 0,12 % en 2008, et certaines craintes sur la qualité des actifs n’ont pas encore été détrompées.
La valeur totale des actifs détenus par les banques du Top 1000 représente plus du double de la valeur de 2003 !
La dépréciation des actifs se poursuit en 2009, 15 banques du Top 25 ont par exemple mené une dépréciation ou publié des pertes entre janvier et juin 2009.
Bénéfices chinois et pertes
occidentales
Les établissements les plus performants en termes de bénéfices pratiquent la banque dans son sens le plus classique : accueillir des dépôts et concéder des prêts sur le marché domestique.
La Chine place ainsi cinq banques dans le Top 25 des bénéfices bruts et deux établissements dans le Top 3. L’Industrial Bank of China est en tête de classement avec 21,2 milliards de dollars de bénéfices, suivie par la China Construction Bank, avec 17,5 milliards. En troisième position arrive l’Espagnol Santander, avec 15,8 milliards de bénéfices.
Les profits cumulés des banques chinoises atteignent 84,5 milliards de dollars. Ils sont très largement premiers, devant le Japon (16,5 milliards de dollars) et le Brésil (11,7 milliards).
Alors que les économies occidentales attendent le signe de la reprise, la Banque mondiale a augmenté en juin dernier à 7,2 % ses prévisions pour la croissance annuelle chinoise, évoquant le succès du plan de relance chinois.
Ce classement Top 1000 est du pain béni pour tous ceux qui proclament le déclin de l’Occident face à l’Empire du Milieu. Les banques américaines cumulent 91 milliards de pertes, les banques de l’Union européenne 16,1 milliards, et les banques britanniques 51,2 milliards de dollars.
Si l’on utilise le critère du ROCE (Return on Capital Employed), le constat est le même. Les banques chinoises obtiennent un ROCE de 24,38 % alors que les banques britanniques obtiennent -15,22 % et les américaines, -10,32 %. Le nombre de banques asiatiques classées dans le Top 1000 des bénéfices est passé de 174 il y a deux ans à 193 aujourd’hui. Dans le même laps de temps, le nombre de banques américaines est passé de 185 à 159, et le nombre de banques européennes (UE à 27) est passé de 279 à 258.
La progression des banques chinoises dans le Top 1000 ne se retrouve pas dans le classement par capitalisation. La China Construction Bank est en première place, mais la ICBC (1ère l’an dernier) et la Bank of China (4e l’an passé) sont rétrogradées.
Le péril jaune ?
Il y a quatre banques chinoises dans le Top 25, dont trois dans le Top 13, alors qu’il n’y en avait aucune il y a six ans.
La montée en puissance des banques asiatiques, surtout chinoises, va entraîner un réagencement de la finance mondiale. D’autant que cette évolution est accompagnée par une croissance économique très importante.
Grâce à un vaste marché intérieur, des liquidités abondantes, et une politique nationale complaisante, les banques chinoises ont un bel avenir devant elles.
Mais il est encore trop tôt pour sonner le glas des banques américaines, ou européennes, qui dominent toujours le classement par leur taille et leur force, si ce n’est par leurs profits.
Ce classement repose aussi sur des chiffres pris pendant la pire récession occidentale depuis la crise de 1929.
Les profits de l’an prochain seront largement déterminés par la capacité des banques occidentales à sortir de la crise. Or elles ont fait preuve d’une créativité admirable, et d’une capacité impressionnante à se réinventer, pour conserver leur place sur les marchés. Rien n’indique donc que la montée de la Chine va se poursuivre à ce rythme.
De plus, cela ne fait que quelques années que le système bancaire chinois s’est débarrassé des Non performing loans (NPLs). Les banques chinoises se sont longtemps efforcées d’éliminer ces mauvaises créances de leurs bilans, mais nombreux sont ceux qui craignent que les injections massives d’argent public menées par le gouvernement chinois n’entraînent le retour des NPLs.
Le capital, intus et in cute
Les observateurs cherchent toujours une formule qui limite les excès tout en permettant aux banques de jouer un véritable rôle dans la croissance économique.
Si les régulateurs décident que seules les actions comptent dans la définition la plus large du Tier 1, cela pourrait entraîner une réduction du levier (dette / capital) et donner un coup de pouce à l’économie à une époque où les prêts bancaires sont rationnés.
Les banquiers considèrent que des formes plus innovantes de Tier 1 ont toujours un rôle à jouer dans la structuration du capital des banques. Ils estiment que la notion de Tier 1 est toujours valide, dans la mesure où un bon ratio garantit de meilleurs rendements et un alignement des engagements avec les liquidités des banques.
La composition du capital sera une cible d’autant plus mouvante que les injections de capital, les initiatives de régulation, les rachats de dette subordonnée, et les diminutions de levier ont été massivement pratiquées.
Par ailleurs, les ratios vont changer au fur et à mesure que les instances de régulation vont appliquer les leçons apprises de la crise. L’instance de régulation suisse FINMA, le Basel Committee, et l’Autorité des services financiers britannique sont en train de discuter l’idée de ratios de levier basés sur des bilans ne prenant pas en compte le risque.
Un appel à l’innovation
Alors que les délibérations des grands décideurs du système bancaire international se font attendre, il est difficile de dire quelle apparence aura le Top 1000 de l’an prochain. D’autant que les banques britanniques et américaines s’apprêtent à rembourser les capitaux gouvernementaux.
Après avoir passé avec succès les stress tests de juin dernier, dix des plus grosses banques américaines, parmi lesquelles la JP Morgan et Goldman Sachs, ont été autorisées à rembourser les 68 milliards de dollars de capital que détient chez elles leur gouvernement. Au Royaume-Uni, la Lloyds a commencé à rendre son argent à l’Échiquier.
D’autres banques émettent des actions pour augmenter leur capital, rester indépendantes, ou encore rembourser l’argent du gouvernement. Mais qu’arrivera-t-il à la Barclays lorsqu’elle aura vendu BGI (Barclays Global Investors) ?
Maintenant qu’elles sont hors de danger et bien installées dans le Top 25, Goldman Sachs et Morgan Stanley vont-elles conserver le statut de banques commerciales ordinaires, accordé par le FED en septembre 2008 ? Ou vont-elles redevenir des banques d’investissement ?