Par Sacha Benichou, avocat associé. SB Avocats
Lever des fonds, mais à quel prix??
La fixation de la valorisation d’entrée d’un investisseur peut parfois constituer un point d’achoppement dans le processus de négociation. Pour sortir de l’impasse, les parties peuvent vouloir différer la fixation définitive du prix d’émission des actions en aménageant un mécanisme de révision. Rapide tour du droit positif sur la question.
Il arrive parfois que, faute de s’entendre sur la valorisation de l’entreprise, les parties à une opération d’investissement décident d’en différer la fixation définitive en aménageant, entre elles, un mécanisme permettant de corriger le prix d’émission des actions en fonction d’éléments futurs. La question se pose, sur le plan juridique, de savoir si, à l’instar des mécanismes de révision de prix que l’on rencontre fréquemment dans les opérations de cession de droits sociaux, il est possible de prévoir une variabilité de la prime d’émission. Le droit positif y semble globalement hostile. Bien qu’il n’existe pas d’interdiction explicite sur le sujet, on s’accorde à considérer l’obligation de libérer en intégralité la prime d’émission lors de la souscription (1), au risque de sanctions pénales (2), fait obstacle à sa variabilité. Un ajustement à la hausse de la prime d’émission conduirait en effet à fractionner son versement. À l’inverse, un ajustement à la baisse de cette prime donnerait lieu à un remboursement sans réduction de capital, ce qui poserait un certain nombre de difficultés, notamment sur le plan de son traitement fiscal. Pour contourner ces difficultés, il existe divers moyens, souvent cumulés, dont nous rappellerons ici les grandes lignes.
L’ajustement par voie «?indemnitaire?»
En s’inspirant du régime des garanties de passif dans les augmentations de capital (3), on pourrait songer à contourner l’obstacle de l’invariabilité de la prime d’émission en faisant appel, non pas à un mécanisme de révision de prix, mais à un mécanisme indemnitaire. Il faudrait, pour cela, considérer que le surplus de prix acquitté par l’investisseur constitue pour lui un préjudice, ce qui reste discutable. Cependant, même à la supposer licite, cette alternative ne permettrait pas d’opérer un ajustement à la hausse.Elle est en tout état de cause rarement retenue en pratique.
L’ajustement par voie d’émission complémentaire
Ce procédé, dont l’usage est très largement répandu, consiste à attribuer à l’investisseur des bons de souscription, autonomes ou non, lui permettant, sous certaines conditions, de souscrire un nombre variable d’actions complémentaires à valeur nominale, tout en neutralisant le décaissement occasionné par leur exercice. La mise en œuvre de ces bons permet d’opérer un réajustement de la participation de leur bénéficiaire. Ainsi, à vouloir faire en sorte que le prix moyen pondéré des actions d’un investisseur soit corrigé pour atteindre un prix p2, il suffit de lui permettre d’acquérir, à valeur nominale, un nombre complémentaire d’actions n2, de sorte que (n1*p1) (le prix total de souscription payé initialement) ajouté à (n2*vn) (le prix total de la souscription complémentaire), le tout divisé par (n1+n2) (le nombre total d’actions) soit égal à p2, ce qui donne, après développement de l’équation n2 = n1* ((p2-p1)/(p2-vn)).
Ce procédé, que l’on désigne communément sous le terme de ratchet, sert habituellement à corriger à la baisse la valorisation retenue pour l’entrée d’un investisseur. Mais rien ne fait obstacle, à tout le moins du point de vue intellectuel, à ce qu’il soit employé pour opérer un ajustement à la hausse. Il suffit, pour cela, d’attribuer ces bons, non pas à l’investisseur, mais aux associés existants. Cependant, l’inconvénient de ce procédé est, comme les précédents, d’impliquer un décaissement qui, même à valeur nominale et neutralisé dans la formule mathématique, peut parfois entraver sa mise en œuvre. Il pose en outre le problème de la justification du droit de souscrire des actions à valeur nominale, qui constitue le plus souvent un prix dérisoire. On a l’usage de justifier cette «?faveur?» en l’érigeant comme une condition essentielle de l’investissement (ce qui rend difficile son usage pour corriger la valorisation à la hausse). Il n’en reste pas moins que ce mécanisme aboutit à émettre des actions très en deçà de leur valeur réelle dans le seul but de corriger la valorisation initialement retenue et qu’il revêt, de ce fait, une certaine dose d’hypocrisie.
L’ajustement par le biais d’une préférence liquidative
Le mécanisme, aussi répandu que le précédent, consiste à faire en sorte que le souscripteur perçoive, à l’occasion d’un événement de liquidité (versement de dividendes, cession de titres, etc.), plus ou moins que ce qu’il aurait dû normalement percevoir au regard de son niveau de participation dans la société. À cet effet, les associés conviennent, soit par le biais d’actions de préférence, soit par un aménagement conventionnel dans leur pacte, d’instituer des principes de distribution dérogatoire qu’il est d’usage de désigner sous le terme de «?liquidité préférentielle?». Cette «?préférence?» peut être diversement aménagée et consister, par exemple, dans le droit pour l’investisseur de percevoir, en priorité aux autres associés, un montant égal à celui de son investissement, voire bénéficier seul d’une distribution préciputaire avant de participer à nouveau, au prorata de sa détention dans le capital, à la distribution du solde entre les associés (double-dip). Mais, une fois encore, rien ne fait obstacle à ce que ce mécanisme soit utilisé pour opérer une correction à la hausse du prix d’entrée. Il suffit pour cela de prévoir une distribution prioritaire en faveur des associés existants. Ce procédé présente cependant l’inconvénient d’être tributaire d’un événement de liquidité (money «?out?») et ne permet donc pas de corriger la valorisation initiale à l’occasion d’un nouveau tour de financement (money «?in?»).
L’ajustement par la conversion «?per se?» d'actions de préférence
Un autre procédé, dont l’usage est moins répandu mais qui est ingénieux, consiste à aménager un mécanisme de conversion d’actions de préférence en leur conférant, à titre d’avantage particulier, la propriété de pouvoir se démultiplier «?per se?» (n actions de préférence devenant, par l’effet de cette conversion, n’ actions de préférence de même nature). Il présente l’avantage de ne pas impliquer de décaissement de la part des associés et de s’affranchir du régime des valeurs mobilières composées. L’augmentation du nombre d’actions issue de cette conversion donne certes lieu à une augmentation de capital, mais celle-ci s’effectue par prélèvement sur les réserves, à l’instar d’une émission d’actions gratuites, ce qui suppose donc l’existence de réserves distribuables et limite de ce fait son champ d’application. À notre connaissance, sa licéité n’a pas encore été consacrée en jurisprudence. En définitive, aucun de ces mécanismes n’est pleinement satisfaisant à lui seul, ce qui laisse le champ libre à l'inventivité des praticiens ou du législateur.
1-C. Com L. 225-147
2-C. Com L. 242-17
3-« Les garanties de passif dans les augmentations de capital des sociétés anonymes » - L. Jobert. Semaine juridique Entreprises et Affaires n° 30-25 septembre 2003
Il arrive parfois que, faute de s’entendre sur la valorisation de l’entreprise, les parties à une opération d’investissement décident d’en différer la fixation définitive en aménageant, entre elles, un mécanisme permettant de corriger le prix d’émission des actions en fonction d’éléments futurs. La question se pose, sur le plan juridique, de savoir si, à l’instar des mécanismes de révision de prix que l’on rencontre fréquemment dans les opérations de cession de droits sociaux, il est possible de prévoir une variabilité de la prime d’émission. Le droit positif y semble globalement hostile. Bien qu’il n’existe pas d’interdiction explicite sur le sujet, on s’accorde à considérer l’obligation de libérer en intégralité la prime d’émission lors de la souscription (1), au risque de sanctions pénales (2), fait obstacle à sa variabilité. Un ajustement à la hausse de la prime d’émission conduirait en effet à fractionner son versement. À l’inverse, un ajustement à la baisse de cette prime donnerait lieu à un remboursement sans réduction de capital, ce qui poserait un certain nombre de difficultés, notamment sur le plan de son traitement fiscal. Pour contourner ces difficultés, il existe divers moyens, souvent cumulés, dont nous rappellerons ici les grandes lignes.
L’ajustement par voie «?indemnitaire?»
En s’inspirant du régime des garanties de passif dans les augmentations de capital (3), on pourrait songer à contourner l’obstacle de l’invariabilité de la prime d’émission en faisant appel, non pas à un mécanisme de révision de prix, mais à un mécanisme indemnitaire. Il faudrait, pour cela, considérer que le surplus de prix acquitté par l’investisseur constitue pour lui un préjudice, ce qui reste discutable. Cependant, même à la supposer licite, cette alternative ne permettrait pas d’opérer un ajustement à la hausse.Elle est en tout état de cause rarement retenue en pratique.
L’ajustement par voie d’émission complémentaire
Ce procédé, dont l’usage est très largement répandu, consiste à attribuer à l’investisseur des bons de souscription, autonomes ou non, lui permettant, sous certaines conditions, de souscrire un nombre variable d’actions complémentaires à valeur nominale, tout en neutralisant le décaissement occasionné par leur exercice. La mise en œuvre de ces bons permet d’opérer un réajustement de la participation de leur bénéficiaire. Ainsi, à vouloir faire en sorte que le prix moyen pondéré des actions d’un investisseur soit corrigé pour atteindre un prix p2, il suffit de lui permettre d’acquérir, à valeur nominale, un nombre complémentaire d’actions n2, de sorte que (n1*p1) (le prix total de souscription payé initialement) ajouté à (n2*vn) (le prix total de la souscription complémentaire), le tout divisé par (n1+n2) (le nombre total d’actions) soit égal à p2, ce qui donne, après développement de l’équation n2 = n1* ((p2-p1)/(p2-vn)).
Ce procédé, que l’on désigne communément sous le terme de ratchet, sert habituellement à corriger à la baisse la valorisation retenue pour l’entrée d’un investisseur. Mais rien ne fait obstacle, à tout le moins du point de vue intellectuel, à ce qu’il soit employé pour opérer un ajustement à la hausse. Il suffit, pour cela, d’attribuer ces bons, non pas à l’investisseur, mais aux associés existants. Cependant, l’inconvénient de ce procédé est, comme les précédents, d’impliquer un décaissement qui, même à valeur nominale et neutralisé dans la formule mathématique, peut parfois entraver sa mise en œuvre. Il pose en outre le problème de la justification du droit de souscrire des actions à valeur nominale, qui constitue le plus souvent un prix dérisoire. On a l’usage de justifier cette «?faveur?» en l’érigeant comme une condition essentielle de l’investissement (ce qui rend difficile son usage pour corriger la valorisation à la hausse). Il n’en reste pas moins que ce mécanisme aboutit à émettre des actions très en deçà de leur valeur réelle dans le seul but de corriger la valorisation initialement retenue et qu’il revêt, de ce fait, une certaine dose d’hypocrisie.
L’ajustement par le biais d’une préférence liquidative
Le mécanisme, aussi répandu que le précédent, consiste à faire en sorte que le souscripteur perçoive, à l’occasion d’un événement de liquidité (versement de dividendes, cession de titres, etc.), plus ou moins que ce qu’il aurait dû normalement percevoir au regard de son niveau de participation dans la société. À cet effet, les associés conviennent, soit par le biais d’actions de préférence, soit par un aménagement conventionnel dans leur pacte, d’instituer des principes de distribution dérogatoire qu’il est d’usage de désigner sous le terme de «?liquidité préférentielle?». Cette «?préférence?» peut être diversement aménagée et consister, par exemple, dans le droit pour l’investisseur de percevoir, en priorité aux autres associés, un montant égal à celui de son investissement, voire bénéficier seul d’une distribution préciputaire avant de participer à nouveau, au prorata de sa détention dans le capital, à la distribution du solde entre les associés (double-dip). Mais, une fois encore, rien ne fait obstacle à ce que ce mécanisme soit utilisé pour opérer une correction à la hausse du prix d’entrée. Il suffit pour cela de prévoir une distribution prioritaire en faveur des associés existants. Ce procédé présente cependant l’inconvénient d’être tributaire d’un événement de liquidité (money «?out?») et ne permet donc pas de corriger la valorisation initiale à l’occasion d’un nouveau tour de financement (money «?in?»).
L’ajustement par la conversion «?per se?» d'actions de préférence
Un autre procédé, dont l’usage est moins répandu mais qui est ingénieux, consiste à aménager un mécanisme de conversion d’actions de préférence en leur conférant, à titre d’avantage particulier, la propriété de pouvoir se démultiplier «?per se?» (n actions de préférence devenant, par l’effet de cette conversion, n’ actions de préférence de même nature). Il présente l’avantage de ne pas impliquer de décaissement de la part des associés et de s’affranchir du régime des valeurs mobilières composées. L’augmentation du nombre d’actions issue de cette conversion donne certes lieu à une augmentation de capital, mais celle-ci s’effectue par prélèvement sur les réserves, à l’instar d’une émission d’actions gratuites, ce qui suppose donc l’existence de réserves distribuables et limite de ce fait son champ d’application. À notre connaissance, sa licéité n’a pas encore été consacrée en jurisprudence. En définitive, aucun de ces mécanismes n’est pleinement satisfaisant à lui seul, ce qui laisse le champ libre à l'inventivité des praticiens ou du législateur.
1-C. Com L. 225-147
2-C. Com L. 242-17
3-« Les garanties de passif dans les augmentations de capital des sociétés anonymes » - L. Jobert. Semaine juridique Entreprises et Affaires n° 30-25 septembre 2003