À la tête de l’Ititut d’études politiques de Paris depuis 1996, Richard Descoings coidère qu’un dirigeant se distingue surtout par sa capacité à connecter les cerveaux entre eux, et à leur donner des lignes directrices.

À la tête de l’Institut d’études politiques de Paris depuis 1996, Richard Descoings considère qu’un dirigeant se distingue surtout par sa capacité à connecter les cerveaux entre eux, et à leur donner des lignes directrices.

Décideurs. Partant du postulat que la décision est un art, est-il possible de l’enseigner ?
Richard Descoings.
Tout art fait appel à la technique. L’artiste est artisan. Le savoir-faire d’un sculpteur se fonde sur des procédés précis, celui d’un danseur sur un entraînement intensif. De la même manière, il existe des techniques d’aide à la décision, qui peuvent tout à fait être transmises par l’enseignement. Bien entendu, cela ne suffit pas. Le travail ne fait ni l’artiste, ni le décideur. L’art de décider, c’est aussi celui de savoir se retrouver seul, pour trancher comme pour assumer les conséquences de ses choix. Cela nécessite une bonne dose de courage. Cette qualité ne s’enseigne ni ne s’apprend, mais on peut l’aiguiser chez une personne en la confrontant à des situations complexes dont l’issue dépend d’une décision difficile ou risquée.

Décideurs. Dans la prise de décision, quelles différences percevez-vous entre l’approche d’un ingénieur, celle d’un individu issu de Sciences Po ou d’une école de commerce ?
R.?D.
Les formations d’ingénieurs peuvent, lorsqu’elles sont trop rigides et insuffisamment irriguées par la recherche, ancrer l’idée que la vérité est unique, invariable et intemporelle. Or, une telle forme de certitude peut se révéler inadaptée dans un certain nombre de situations. Car avoir raison ne suffit pas toujours à prendre une bonne décision : encore faut-il que les autres personnes concernées en soient également persuadées. À l’inverse, l’étude des sciences humaines et sociales part du principe cher à Gaston Bachelard selon lequel «?la vérité est une erreur rectifiée?». Plus explicative qu’expérimentale, elle se fonde sur des hypothèses susceptibles d’évoluer, ce qui la rend particulièrement propice à la conduite du changement, et donc au management. Cette approche, très différente de celle de l’ingénieur valorisée pour sa technicité, lui est toutefois complémentaire.

Décideurs. Depuis que vous avez pris les rênes de Sciences Po en 1996, l’institution a connu une série de réformes. Laquelle identifiez-vous comme véritablement fondatrice ?
R.?D.
La refonte des droits d’inscription et le lancement de la filière d’accession parallèle pour les étudiants provenant de zones d’éducation prioritaires (Zep) ont beaucoup fait parler d’elles. Mais la réforme qui a eu le plus d’impacts sur le fonctionnement de Sciences Po est précisément l’une des moins connues et des moins polémiques. Il s’agit de l’inflexion du mode de gouvernance de l’institution qui a permis de mieux l’adapter à son statut juridique : celui d’une fondation reconnue d’utilité publique mais soumise au droit privé.
Avant ce tournant majeur, Sciences Po était dirigé comme une administration, sans comptabilité d’entreprise ni application du droit du travail. Aujourd’hui, la structure fonctionne comme la plupart des sociétés de droit privé : des négociations collectives sont menées avec les délégations syndicales pour aboutir à des accords d’entreprise ; une directrice financière et un directeur des ressources humaines siègent au comité exécutif. L’organisation est donc entre les mains de différents spécialistes qui ont chacun la faculté et le pouvoir d’introduire des innovations et de mettre en mouvement l’ordre établi – c’est-à-dire de décider.

Décideurs. Quels critères prenez-vous en compte pour recruter ces décideurs ?
R.?D.
Le choix des bonnes personnes est le fruit de l’un des processus décisionnels les plus difficiles qui soient, car il implique de connaître et d’accepter ses propres limites. Un bon décideur doit en effet savoir qu’il peut se tromper, afin de s’entourer d’individus bien plus compétents que lui dans leur domaine d’expertise.
Le dirigeant d’une organisation n’est donc pas forcément le meilleur en termes de compétences dans tel ou tel domaine. Il doit en revanche se distinguer par sa capacité à connecter les cerveaux entre eux, et à leur donner des lignes directrices. Les meilleurs décideurs sont, en somme, ceux qui appréhendent au mieux leur rôle crucial de synapse au sein du système qu’ils administrent.

Décideurs. Demeuré proche du milieu politique depuis vos débuts au ministère du Budget, avez-vous, depuis, constaté des évolutions des processus décisionnels ?
R.?D.
Les responsables politiques ont dû modifier radicalement leur approche de la prise de décision pour une raison simple : soumis au rythme des marchés financiers et à l’immédiateté érigée comme règle par la révolution numérique, le temps de l’action publique n’a jamais été aussi court. Les décideurs politiques prennent toujours autant de décisions mais ils sont, faute de temps, privés d’une puissance d’action considérable quant à leur mise en œuvre.
Dans ce contexte, il est souhaitable de mettre l’accent sur la simplicité des réformes. C’est la raison pour laquelle le rapport que j’ai rendu à l’issue de la mission de concertation sur la réforme du lycée ne propose pas de «?grand soir?» de l’Éducation nationale. Il suggère des mesures claires et simples, plus susceptibles de survivre aux remaniements ministériels et de parvenir à être mises en œuvre.

1. Le principal trait de mon caractère : la pugnacité.
2. La qualité que je préfère chez un individu : l’authenticité.
3. Mon principal défaut : l’impatience.
4. Mon idée du bonheur : un professeur ovationné dans un amphithéâtre.
5. Mon héros de fiction : le comte de Monte-Cristo.
6. Mes héros dans la vie réelle : Mozart et Verdi.
7. Ce que je déteste par-dessus tout : la fourberie.
8. La réforme que j’estime le plus : la création de l’école primaire par Jules Ferry.

Photo © Manuel Braun

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