Un "Diamond" à la tête de Barclays
Après quatorze années de loyaux services au sein de Barclays, Bob Diamond en prend enfin la direction. Une consécration pour ce banquier américain qui, grâce à ses qualités de manager, a réussi à faire de Barclays Capital l’une des références du marché. Son nouveau défi : booster les performances de l’activité banque de détail.
La nouvelle est tombée le 7?septembre, sèche et brutale. À compter de mars?2011, Bob Diamond prendra la succession de John Varley aux commandes de Barclays, la banque anglaise tricentenaire. Aussitôt, les critiques ont fusé : pas assez expérimenté sur la partie banque de réseau, trop axé sur la banque d’investissement, uniquement motivé par l’argent. «?C’est un grand parieur, mais il n’a aucune expérience dans la banque de détail?», a même déclaré Lord Oakeshott, porte-parole du parti libéral démocrate. Face à ces accusations, le vieux loup de la banque d’investissement s’est défendu. Cette nomination, cela fait des années qu’il la planifie. Il l’avait déjà ratée en 2004, John Varley lui ayant soufflé le poste de justesse. Bob Diamond prend donc sa revanche. «?Les gens pensent que je veux forcer les choses mais je ne suis pas aussi agressif qu’ils le croient et John Varley n’est pas si gentil, contrairement à ce que disent les journaux?», a-t-il alors déclaré à la presse.
Aucune raison de douter
Celui que les médias anglophones surnomment le «?banquier à 100?millions d’euros?» en raison de son patrimoine, n’a aucune raison de douter. Son parcours plaide pour lui. Âgé de 59 ans, Bob Diamond a passé quatorze ans chez Barclays. Cela fait déjà de nombreuses années qu’il fait partie du conseil d’administration. Il est donc au cœur des orientations stratégiques de la banque anglaise. «?Ces cinq dernières années, j’ai été responsable des services RH, de l’image de la marque et de la communication corporate. John Varley a fait en sorte que j’ai accès à toutes les choses en dehors de ma zone de confort afin que j’apprenne et que j’ai un impact dessus?», explique-t-il. Autre argument de poids : son succès au sein de Barclays Capital, la banque d’investissement du groupe qui lui confère une crédibilité et une confiance de fer. En 2009, Barclays Capital a réalisé un produit net bancaire de 11,6?milliards de livres (soit environ 13,1?milliards d’euros) et a obtenu un résultat net de 9?milliards de livres (soit environ 10,1?milliards d’euros). Comparée aux données du groupe, la banque d’investissement dirigée par Bob Diamond pèse pour 37,5?% du chiffre et pour plus de moitié dans le résultat net. Alors que le profit de la division corporate finance est passé de 2,7 à 5,7?milliards de livres en 2009, celui de la banque de réseau s’est modestement élevé à 1,6?milliard.
L’Américain redresse la barre
Pourtant lors de l’arrivée de Bob Diamond en 1997, la banque d’investissement de Barclays, alors appelée BZW, n’est qu’une modeste boutique parmi tant d’autres. Il réussit à en faire la banque d’investissement la plus importante en termes de revenu fixe. Pour cela, il engage, dès son arrivée, cent nouveaux salariés et change la stratégie du groupe. L’activité, anciennement spécialisée dans les actions, est recentrée sur les obligations, et il va jusqu’à renommer l’entité «?Barclays Capital?».
Lors de la crise, l’Américain réussit à redresser rapidement la barre. Depuis 2007, le core tier 1 de la banque est passé de 4,7?% à 10?%. Dans le même temps, les leviers d’investissement ont été réduits de 30 à 20 fois. Les récents stress tests réalisés par l’Union européenne ont montré que Barclays figure parmi les banques européennes les plus solides. Bob Diamond a donc réussi à créer l’institution que Margaret Thatcher espérait faire émerger à la City lors du big bang réglementaire des années 1980. Ironie dus sort, il aura fallu un Américain pour y parvenir.
Sans le gouvernement
Ces bonnes performances, il les doit à la combinaison d’une croissance organique rapide et d’une stratégie d’acquisition agressive. L’un de ses principaux faits d’armes à la tête de la Barclays Capital est le rachat, fin 2008, de l’activité de courtage de Lehman Brothers aux États-Unis, pour 1,5?milliard de dollars. Et il aurait pu se faire remarquer dès 2007, si RBS ne lui était pas passé devant en faisant monter les enchères sur l’acquisition d’ABN Amro, la plus grande banque des Pays-Bas. C’est grâce à la bonne santé de sa banque d'investissement et à sa vision stratégique que Barclays a réussi à traverser la crise sans faire appel au gouvernement britannique. À l’époque, le banquier américain choisit de faire appel à une injection de 3?milliards de livres en cash en provenance du Moyen-Orient. Ce qui étonne le plus ses collaborateurs, c’est sa capacité à mettre en place une stratégie et à s’y tenir. Quand cela est nécessaire, il s’adapte et obtient des résultats impressionnants en peu de temps. Au sein de Barclays, Bob Diamond est ainsi perçu comme un véritable constructeur de business.
L’archétype du banquier
Bien que Barclays ait traversé la crise sans faire appel à l’argent des contribuables, contrairement à certaines de ses concurrentes, elle continue de souffrir des allusions du gouvernement britannique à son égard. Le secrétaire d’État aux finances, Vince Cable, a récemment fustigé les «?banques casinos?» qui jonglent avec d’énormes investissements. Sans aucun doute, Bob Diamond était visé par la critique. Pour la presse britannique, il reste l’archétype du banquier qui n’a pas peur de briller alors que l’économie britannique traverse la crise la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale.
D’ici sa prise de fonction en mars?2011, Bob Diamond sera assurément très présent dans les gros titres des tabloïds britanniques. Une bonne vitrine pour communiquer sur ses ambitions dans la banque de détail. Ainsi, on peut être un flamboyant banquier d’investissement américain et croire au modèle de la banque universelle. C’est en tout cas le discours qu’il a pour mission de marteler.
Redorer la banque de détail
«?La banque de détail constitue une part importante de Barclays. Et Bob Diamond a participé à l’élaboration de la stratégie que notre division a présentée en juin dernier au conseil d’administration?», insiste Antony Jenkins, le patron de Global Retail Banking, l’activité banque de détail qui a généré 23?% des profits du groupe au premier semestre. Car le succès de la banque d’investissement ne doit pas faire oublier qu’historiquement Barclays est une banque de détail présente dans vingt et un pays. Au Royaume-Uni, le troisième réseau bancaire s'illustre par la satisfaction de ses clients, qui plébiscitent pour 72 % d'entre eux, les offres de service de Barclays. En Afrique, il se place parmi les trois premiers acteurs financiers dans huit pays. Au niveau mondial, il est l’un des spécialistes de la carte de paiement.
Barclays veut également hisser sa division de banque de détail dans le top 5 en Espagne et au Portugal, où elle se classe pour l’instant huitième. Pour gagner des parts de marché tout en améliorant ses performances, la banque compte injecter un milliard de livres sur quatre ans. «?Nous prévoyons d’investir dans la construction et l’aménagement de nouvelles agences et le déploiement de nouvelles technologies, comme le paiement sans contact?», explique Antony Jenkins. À moyen terme, l’objectif est de porter de 13 à 15?% le rendement des fonds propres de sa banque de détail en 2015, contre 10?% au premier semestre 2010. Pour y arriver, une acquisition pourrait être nécessaire, notamment aux États-Unis. D'autant que ce recentrage vers la banque de réseau est encouragé par les nouvelles mesures prudentielles. Au regard du passé de Bob Diamond, on comprend mieux pourquoi il a pris les rênes du groupe britannique. Mais dans un premier temps, Barclays assure que son objectif sera de faire mieux avec les actifs dont la banque dispose déjà.
Un requin de la finance
Avec ces multiples succès, l’influence de Bob Diamond dans le secteur est sans égal. Mais le revers de la médaille est aussi vrai. Le mystère existant autour de sa personne est aussi grand que sa réussite. Les journaux dressent de lui le portrait d’un requin de la finance qui ne fait pas dans le détail. Selon eux, sa devise serait : «?La fin justifie les moyens?». Leur principal argument d’attaque : son appétit toujours accru pour les bonus surdimensionnés qui en ont fait l’un des banquiers les plus riches au monde. En 2001, il était payé dix millions de livres. En 2006, 15?millions et en 2007, 21?millions. Aujourd’hui, sa fortune est estimée à près de 115?millions d’euros. En prenant en compte la vente de ses actions et les placements à long terme, Bob Diamond a gagné plus de 100?millions de livres (soit environ 113?millions d’euros) sur les quatre dernières années. Et les choses ne sont pas prêtes de changer. Au titre de ses nouvelles fonctions, il percevra un salaire fixe de 1,35?million de livres (soit 1,6?million d’euros). Son bonus annuel pourra atteindre 250?% de ce salaire de base. Une somme astronomique mais nécessaire pour s'offrir les services tant convoités de ce «?diamant?».
Too big to fail
Selon Bob Diamond, la rémunération sous forme de bonus permet d’augmenter la performance des salariés. Après des résultats records, la banque a distribué deux milliards de livres de bonus à l’ensemble de ses effectifs. Mais le banquier américain risque d’être rattrapé par la crise. Le débat sur la reconstruction du système financier fait rage au Royaume-Uni au moment où le gouvernement met en place une commission, dirigée par John Vickers. Celle-ci a pour objectif de rendre des recommandations sur la limitation des risques intrinsèques aux banques considérées comme «?too big to fail?» («?trop grandes pour échouer?»). Et Barclays fait sans aucun doute partie de cette catégorie. La valeur des actifs du groupe atteint, en 2009, 1 378?milliards de livres. Pour comparaison, ce montant est proche du produit intérieur brut anglais qui s’élève à 1 400?milliards de livres. Parmi les solutions envisagées les plus en vogue, la séparation de la banque d’investissement et de la banque de détail. Si cette décision venait à passer, Bob Diamond serait amené à choisir entre les deux. Une décision difficile pour ce banquier d’affaires multifacette qui veut prouver qu’il peut réussir également dans la banque de détail.
La voix de son groupe
Pour l’heure, Bob Diamond donne de sa personne pour faire entendre la voix de son groupe. «?Nous devons être très sensibles à l’opinion publique. Pour cela, nous devons prendre en compte aussi bien l’intérêt de nos actionnaires et de nos clients, que celui des régulateurs et de notre société. Nous devons utiliser cette balance dans tous nos choix, y compris pour la rémunération?», déclarait-il dans une interview. Actuellement installé aux États-Unis, Bob Diamond prévoit, pour prendre ses nouvelles fonctions, de déménager à Londres avec sa femme et ses trois enfants. Pendant la période de transition, il sera directeur général adjoint. Une manière d’assurer un passage de flambeau en douceur. L’aigle aurait-il réussi à polir le diamant ?
Novembre 2010