LBO en difficulté : la sauvegarde comme moyen de lutter contre le déni de réalité
2010 et 2011 vont voir le nombre de LBO mid cap en retournement exploser, j’en fais le pari. Or l’expérience montre que dans la plupart des cas, le traitement du dossier n’est pas à la hauteur du sujet et que son « ambition » inavouée est de reporter à plus tard (voire à jamais !) la remise à plat de la structure financière de l’opération - qui s’impose pourtant. Pourquoi ? Les raisons sont bien sûr multiples mais l’une d’entre elles est à rechercher dans le refus des acteurs du dossier de ce face à face douloureux avec la réalité.
Le déni de réalité, c'est-à-dire la capacité de l’homme à se mentir à soi-même, est sans doute aussi vieux que l’humanité elle-même. Le déni a bien sûr une fonction sociale, il joue comme une armure, une protection de l’homme contre ses faiblesses. Et c’est peu de dire que par ces temps de crise, la faculté des hommes de nier la réalité bat des records : crise et déni de réalité se servent mutuellement de cause… Sans prétendre sonder les âmes, il me semble que la manière dont les acteurs d’un LBO en retournement traitent le sujet révèle un déni de réalité et que la sauvegarde est sans doute le meilleur remède à cet aveuglement.
Quelques constats francs tout d’abord, au-delà de la langue de bois : - quoi qu’affirme l’Afic, le nombre de LBO en difficulté a augmenté en 2009 et je fais le pari que cette tendance va s’accélérer en 2010 ;
- sans être économiste, il me semble raisonnable de considérer que la reprise n’est pas pour demain, que son retour annoncé relève du fantasme individuel ou collectif ;
- si 2009 a permis de sauver le système financier mondial et quelques sociétés du CAC 40, les PME ont terriblement souffert et n’ont « tenu le choc » qu’en tirant sur leurs réserves de stock et de cash ;
- ces mêmes PME n’ont plus de réserves et en l’absence de reprise, l’année 2010 risque bien d’être dévastatrice ;
- les PME sous LBO devraient rencontrer des difficultés à servir la dette de sorte que le marché du LBO en retournement devrait « exploser » en 2010 ;
- certains de ces LBO devront être sérieusement restructurés, c'est-à-dire remis complètement à plat.
Malheureusement, l’analyse de la façon dont les acteurs du retournement traitent les dossiers mid cap de LBO en difficulté montre que le traitement qui leur est réservé n’est ni sérieux ni pérenne et se résume le plus souvent à « pousser le sable », autrement dit à reporter à demain ce que l’on ne veut pas voir (déni !)… et traiter aujourd’hui.
Le diagnostic est pourtant simple à établir : le prix de l’affaire a été payé trop cher, l’effet de levier a été trop important, les hypothèses de développement de l’activité ont été trop optimistes, la société ne sait pas rembourser sa dette, il faut de l’argent frais, la valeur de l’entreprise est souvent inférieure à la dette, les fonds injectés par les actionnaires ne valent rien, les actionnaires ont tout perdu, y compris les managers, qu’il va pourtant falloir remotiver pour sortir de l’ornière et retrouver de la valeur.
Les grands axes des actions à entreprendre sont pourtant souvent assez facilement identifiables par l’entreprise et son environnement : resserrer l’activité, remotiver le management, rassurer les clients et les fournisseurs, maintenir l’endettement court terme d’exploitation, réduire l’endettement d’acquisition et injecter de la new money pour fluidifier le business et financer la restructuration de la dette.
C’est pourtant dans la quasi-totalité des cas le contraire auquel on aboutit :
- on use le management dans des discussions sans fin ;
- on ne restructure pas l’endettement, on se contente d’un apport à minima des actionnaires financiers (le plus souvent sous forme de dette fortement rémunérée !) en échange d’un report in fine de quelques échéances de la dette senior ;
- on ne permet pas à l’actionnaire de recapitaliser vraiment l’entreprise, les prêteurs refusant d’alléger le niveau de dette en abandonnant (ou en convertissant en capital) une partie de leur créance.
Pourquoi se limiter et se contenter d’un traitement aussi inadapté de la restructuration d’un LBO en difficulté ? Tout simplement parce que les acteurs du dossier refusent d’affronter la réalité, à savoir qu’ils se sont trompés lors du montage du LBO, qu’il faut impérativement recapitaliser l’entreprise ce qui ne peut économiquement se faire que si les banques acceptent de perdre une partie de leur créance.
Dans ce type de situation, chaque acteur doit prendre ses responsabilités. Les actionnaires financiers doivent accepter de faire une croix sur leur mise de fonds initiale et remettre de l’argent en capital pour soutenir l’entreprise. Pour que cela soit possible, il faut bien sûr que les actionnaires financiers puissent percevoir la possibilité de gagner de l’argent à terme sur ce nouvel investissement, ce qui implique le plus souvent une réduction de la dette, soit par abandon, soit par conversion en capital. Un équilibre préservant les intérêts des actionnaires financiers, des banques et des managers devrait pouvoir se trouver sur ces bases.
Dans la pratique, les banques ne sont pas prêtes à entendre ce langage et refusent le plus souvent (dans les dossiers mid cap) tout abandon ou conversion partiel de leur créance, ce qui a pour effet (i) d’interdire aux actionnaires financiers de recapitaliser massivement l’entreprise et (ii) donc de limiter leur apport à ce qui est strictement nécessaire pour « acheter » du temps… et ne rien régler. Au final, on aura reporté le problème à plus tard sans remettre à plat la structure financière de l’opération. Le refus des banques d’accepter cette analyse et d’entrer dans ce type de discussions caractérise un déni de réalité. Et la sauvegarde apparaît bien comme l’outil permettant de combattre ce déni. La sauvegarde jouera un rôle bénéfique de détonateur, de révélateur au grand jour des difficultés de l’entreprise, de la nécessité des efforts de tous dans la recherche d’une solution équilibrée et pérenne passant par la remise à plat de la structure financière du LBO.
Non, la sauvegarde n’est pas le moyen de prendre le parti des actionnaires contre les banques : c’est le moyen de lutter contre un déni de réalité destructeur de valeur, de contraindre les acteurs d’un LBO à trouver une solution appropriée à chaque dossier et de rompre avec la pratique de « rafistolage » en vigueur, dont le seul mérite est d’éviter de traiter sérieusement du sujet..
Conclusion.
Plus que jamais, la sauvegarde doit être utilisée dans les situations de LBO en retournement et prendre ainsi le dessus sur les procédures amiables actuelles (mandat ad hoc et conciliation) qui montrent leurs limites : elles sont incapables de provoquer ce choc, cette prise de conscience nécessaire pour aborder le sujet de la restructuration de façon mature et efficace sur le long terme. À ceux que ce discours effraie et qui doutent de mon impartialité, gardez à l’esprit que le droit des procédures collectives donne le pouvoir (et le devoir !) au tribunal de veiller au respect des intérêts en présence, c'est-à-dire à l’équilibre et à la justesse de la solution mise en place, y compris en termes de respect des droits des créanciers, fussent-ils banquiers.