Par Patrice de Candé et Julien Blanchard, avocats associés. de Candé & Blanchard
La part des litiges résultant d’atteintes à des droits de propriété intellectuelle commis sur Internet connaît une augmentation exponentielle. Dans le silence de la loi, les tribunaux ont établi certaines règles concernant la qualité des personnes habilitées à constater de telles atteintes, l’étendue de leurs pouvoirs et les précautions d’ordre technique dont elles doivent s’entourer. Quelles sont-elles ?

Chacun sait que le commerce sur Internet a connu, au cours des dernières années, un accroissement exponentiel. Les ventes en ligne en France (où l’on dénombrait 35 500 sites marchands en 2007 contre 100 400 en 2011) se sont élevées en 2011 à 37,7 milliards d’euros, soit une augmentation de 22 % par rapport à l’année 2010(1). Inévitablement, le contentieux de la contrefaçon sur Internet à lui aussi explosé, de même que le nombre de contrefaçons saisies par les douanes en fret postal. Dans ce type de litiges comme dans les autres, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention. Prouver, c’est établir qu’une chose est vraie. Mais dans le monde virtuel, rapporter la preuve d’un acte n’est pas chose aisée. La simple date d’un fait semble difficile à établir de manière irréfutable. Compte tenu de ces difficultés d’ordre probatoire et dans le silence de la loi, praticiens et magistrats ont, au fil des ans, dégagé certaines règles que l’on tentera de résumer brièvement.

Qui peut constater ?
Une chose semble certaine : une simple copie d’écran, réalisée par le plaideur lui-même, n’a aucune valeur probante, ainsi que le rappelle très nettement la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 2 juillet 2010 (RG n° 2009/12757) : « c’est également par des motifs pertinents… que les premiers juges ont estimé qu’aucun caractère probant ne peut être attaché à la pièce n° 21, constituée d’une impression écran du site internet précité… dans des conditions ignorées et sans l’intervention d’un huissier de justice ou d’un tiers assermenté ». S’agissant des huissiers, ceux-ci peuvent, conformément aux dispositions de l’article 1 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010), effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu’à preuve contraire. Rien ne saurait donc empêcher un huissier de se livrer à des constatations purement matérielles sur Internet, lesquelles feront « foi jusqu’à preuve contraire ». S’agissant des tiers assermentés, il s’agira par exemple des agents de l’Agence pour la Protection des Programmes dont on sait, depuis un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation du 3 mai 2012 (n° 11-10508) qu’ils peuvent instrumenter en dehors de leur champ de compétence, limité en théorie à la constatation des infractions nées des livres I à III du code de la propriété intellectuelle, de tels constats ne valant cependant, à la différence de ceux établis par les huissiers, qu’à « titre de simple renseignement ».

L’étendue des pouvoirs du constatant
Se pose également la question de l’étendue des pouvoirs reconnus au constatant : celui-ci devra-t-il se limiter au simple rapport de ce qu’il a vu ou pourra-t-il, en usant de procédés plus intrusifs, se comporter comme un client, procéder à des achats, constater la réception d’articles, les décrire… ? Sur ce point, la jurisprudence semble relativement constante pour exiger de l’huissier ou du tiers assermenté qu’il limite ses interventions à celles d’un simple constatant passif. À titre d’exemple, la cour d’appel de Paris, par arrêt du 24 février 2012, (pôle 5 chambre 2 – RG n° 10/22139), annule un procès-verbal de constat d’achat sur Internet en reprochant à l’huissier d’avoir procédé « non à des constatations matérielles mais à une démarche active matérialisée par l’ouverture d’un compte client et par une acquisition suivie d’un placement sous scellés ». En revanche, dans un arrêt du 10 mai 2012, (RG n° 10/04016) la même juridiction admet que l’huissier, sans se livrer lui-même à un achat, puisse constater l’acquisition d’un bien par un tiers : « l’huissier instrumentaire a constaté l’achat des produits en cause par tiers sur Internet, comme il l’aurait fait à l’issue d’un achat effectué dans un magasin. Il n’a procédé qu’à une description du processus d’achat sur Internet, puis à la réception des produits achetés en son étude suivie de la description du contenu de la livraison… Il s’agit donc bien de simples constatations matérielles… de sorte que le procès-verbal de constat est parfaitement valable.»

Les exigences techniques
Pour la première fois (à notre connaissance) dans un jugement du 4 mars 2003, le TGI de PARIS a énoncé certaines exigences d’ordre technique, dont l’inobservation aboutit au rejet du constat, quelle que soit la qualité de son auteur : absence d’utilisation de proxy, l’indication de l’adresse IP à partir de laquelle les constatations sont effectuées, le vidage de la mémoire cache… Sept années plus tard et compte tenu de la multiplication des contestations de la validité des constats, l’Afnor a élaboré un document définissant le mode opératoire à respecter (NF Z67-147 du 11 août 2010). Ce document se voulait « une aide pour l’huissier de justice dans l’exercice de son travail de constat mais également un document sur lequel pourra s’appuyer le juge ». Dans un arrêt remarqué du 27 février 2013, la cour d’appel de Paris (pôle 5 – Chambre 2), semble ne prêter qu’une importance limitée à cette norme, rappelant que celle-ci « n’a pas un caractère obligatoire et ne constitue qu’un recueil de recommandations de bonnes pratiques » et qu’ainsi « les griefs fondés uniquement sur le non-respect de cette norme, notamment pour la vérification des serveurs DNS, ne sont pas pertinents ». La cour juge ainsi que « les huissiers de justice ont bien respecté les diligences préalables nécessaires et suffisantes à la validité et à la force probante d’un constat effectué sur Internet (description du matériel ayant servi aux constatations, indication de l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi aux opérations de constat, caches de l’ordinateur vidés préalablement à l’ensemble des constatations, désactivation de la connexion par proxy, suppression de l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur ainsi que l’ensemble des cookies et l’historique de navigation) » et se satisfait de telles précautions.
Avec le recul, il semble que l’intervention de la Cour de cassation, voire du législateur, soit tout de même souhaitable. En effet, dans le futur, des pans entiers de l’économie seront dématérialisés. Dans le monde réel, la loi encadre la preuve de la contrefaçon. Il serait bon, selon nous, qu’il en soit de même dans l’univers virtuel.

(1) Chiffres de la Fevad



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