Par Carl Enckell, avocat associé. Enckell Avocats

Avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le législateur s’exerce une nouvelle fois à accompagner les changements structurels que rencontre notre modèle économique, dans le but annoncé de promouvoir de nouvelles filières. Partant du principe que le modèle linéaire (produire - consommer - jeter) est devenu inadapté à notre société, la loi ambitionne de promouvoir la lutte contre le gaspillage, la réduction des déchets à la source et le développement de l’économie circulaire, en favorisant la conception innovante des produits et des matériaux, ainsi que le tri et le recyclage (1). L’objectif étant de faire mieux avec moins.

 

Les innovations apportées par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte en matière d’économie circulaire sont réunies sous le titre?IV («?Lutter contre les gaspillages et promouvoir l’économie circulaire de la conception des produits à leur recyclage?»).


L’ambition du nouveau modèle économique prôné est de rompre avec le schéma traditionnel de production linéaire, qui va de la fabrication d’un produit à sa destruction. Elle lui substitue une logique de «?boucle?» où la création de valeur serait réalisée en continu, à la manière des écosystèmes naturels, grâce à l’optimisation de l’usage de la matière.
En comparaison des dispositions de la même loi consacrées à l’énergie, qui ont suscité des échanges nourris (énergies fossiles, énergies renouvelables et nucléaire), le volet croissance verte a fait l’objet d’un relatif consensus entre l’Assemblée nationale et le Sénat2. Les débats sont d’ailleurs intervenus au moment ou la Commission européenne reprenait les propositions du paquet Économie circulaire et lançait une consultation auprès des états membres.


Les dispositions de la loi en faveur d’une consommation sobre des ressources


A. Tout d’abord, et c’est une première, la loi consacre l’intérêt de passer d’un modèle économique traditionnel à un modèle économique circulaire, au sein duquel la valorisation des déchets en ressources occupe une place centrale. Elle intègre même solennellement sa définition dans le code de l’environnement (nouvel article L.110-1-1 du Code de l’environnement).
La loi énumère également une liste d’objectifs – sous forme hiérarchique – dans les dispositions communes du Code de l’environnement, ce qui leur confère d’autant plus d’importance?: «?prévenir l’utilisation des ressources, puis de promouvoir une consommation sobre et responsable des ressources, puis d’assurer une hiérarchie dans l’utilisation des ressources, privilégiant les ressources issues du recyclage ou de sources renouvelables, puis les ressources recyclables, puis les autres ressources, en tenant compte du bilan global de leur cycle de vie?» (nouvel article L 110-1-2 du Code de l’environnement).


B.?La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte fait valoir que la politique nationale de gestion des déchets est un levier essentiel de la transition vers une économie circulaire. Les questions relatives aux modes de traitement des déchets occupent de nombreux articles, généralement assortis d’objectifs de réduction ou de recyclage, par exemple?:
- Réduire de 30?% les quantités de déchets non dangereux non inertes stockés
- Valoriser 70?% des déchets du secteur du bâtiment et des travaux publics sous forme de matière en 2020 (objectif européen de la directive cadre déchets du 19 novembre 2008)
Ces dispositions mettent en valeur le double visage des déchets?: non pas seulement des substances à éliminer proprement pour garantir la santé publique et l’environnement, mais aussi des matériaux alternatifs à des matières premières et utiles à l’économie de marché.

 

C. La loi rend également opérationnel le principe de non-discrimination des produits issus de la valorisation ou du réemploi. Ce principe, inscrit dans le Code de l’environnement depuis de nombreuses années, n’avait jusqu’à présent aucune force contraignante en raison de l’absence de décret pris pour son application (article L 541-33 du Code de l’environnement). C’est pourquoi l’article 22 du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu de supprimer la condition du recours à un décret, ce qui va conférer une véritable force contraignante au principe « Est réputée non écrite toute stipulation créant une discrimination en raison de la présence de matériaux ou éléments issus de déchets valorisés ou de produits issus du réemploi et de la réutilisation dans les produits qui satisfont aux règlements et normes en vigueur, pour un même niveau de performance compte tenu de l’usage envisagé ».

 

D.?La loi promeut aussi le développement de l’écologie industrielle à l’échelon territoriale. Il s’agit notamment de quantifier et d’optimiser les flux de ressources afin d’améliorer la compétitivité économique et l’attractivité des territoires. Concrètement, l’adoption de la loi intervient à un moment ou l’usage des ressources primaires est concurrencé sur le marché par celui des matières valorisées. Elle devrait donc contribuer à la professionnalisation et à la croissance de ce secteur économique.


E.?La commande publique durable est également mise à contribution afin de faire preuve d’exemplarité en soutenant le déploiement de pratiques vertueuses. Sans attendre la transposition des directives européennes du 26?février 2014 sur les règles de la commande publique, qui devrait intervenir sous forme d’ordonnances, la loi introduit pour la première fois l’objectif de prise en compte de la performance environnementale des produits dans la commande publique.

 

F.?D’autres mesures sont destinées à réduire les dépôts sauvages et à engendrer des flux de déchets suffisants, de nature à accroître l’intérêt économique pour les valoriser?: Les distributeurs de matériaux, produits et équipements de construction devront reprendre, sur leur site ou à proximité, les déchets issus des mêmes types de matériaux. L’enfouissement et le dépôt, sur des terres agricoles, de déchets dans le cadre de projets de construction, sont désormais interdits, sauf exceptions.

 

G.?Enfin, la loi fait la promotion pour la première fois des matériaux naturellement renouvelables dans la chaîne de production. À l’instar des énergies renouvelables dans le mix énergétique, cette reconnaissance pourrait marquer une première étape d’un «?mix matériautique?». Le législateur s’est cependant refusé à déterminer les moyens permettant d’atteindre les objectifs fixés afin de ne pas avantager tel matériau au détriment des autres.

 

La reconnaissance juridique des filières économes en ressources (matériaux renouvelables, recyclés, biosourcés) suffira-t-elle à relancer l’économie notamment dans le secteur du BTP?? Il est sans doute trop tôt pour répondre à cette question. Certains opérateurs hésitent à investir dans le modèle de l’économie circulaire, au regard de sa relative complexité et des éventuelles responsabilités encourues. L’on peut cependant constater que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte intervient à un moment ou le citoyen/consommateur prend de plus en plus en considération l’impact environnemental de ses activités.
Le mouvement dépasse en effet le strict cadre législatif si l’on considère, par exemple, la part grandissante des travaux de l’Institut de l’économie circulaire3 ou les propositions du Comité stratégique des filières éco-industries (ancien COSEI) en matière de valorisation. L’alignement des planètes semble désormais favorable à la promotion d’un modèle économique fondé sur l’optimisation des ressources.

 

1 - Communiquée de presse du Conseil des ministres 
du 30 juillet 2014


2 - Au moment de la rédaction de cet article, l’Assemblée nationale avait voté le projet de loi en deuxième lecture, le 26 mai 2015. Sa publication étant attendue pour juillet 2015


3 -  Notamment la note de synthèse « Faire évoluer le statut de déchet pour promouvoir l’économie circulaire », de juin 2015.

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