Jérémy Doutté (Jumia) : « L'Afrique est la nouvelle frontière pour le business »
Décideurs. Jumia, leader du e-commerce en Afrique, a connu une croissance continue depuis sa création en 2012. Quelles sont les raisons de cette réussite fulgurante ?
Jérémy Doutté. Le marché est un facteur de succès plus déterminant que l’équipe ou la qualité d’exécution. Les chiffres confirment notre intuition de l’époque. AIG / Jumia est le seul groupe est la seule entreprise à avoir eu l’audace de ce projet dans multiples pays d’Afrique et d’avoir eu la capacité de réunir des fonds nécessaires pour commencer à travailler. La culture d’entreprise d’AIG, le groupe auquel appartient Jumia, est aussi un facteur du succès : les situations difficiles ne nous font pas peur, nous aimons la complexité. Malgré les opportunités existantes, peu voulaient aller en Afrique, reculant face aux difficultés, notamment logistiques. Nous passons beaucoup de temps sur le continent et 99 % de notre staff est aujourd’hui en Afrique. Et il n’y a pas de miracle : la quantité de travail abattu dans le groupe est incroyable. Finalement, cette réussite est la somme de beaucoup de travail, d’audace et… surtout de résilience !
Décideurs. Vous figurez dans un dossier sur les start-up en Afrique. Pourquoi les entrepreneurs devraient choisir l'Afrique ?
J.D. L’Afrique est la nouvelle frontière pour le business. Il existe beaucoup d’opportunités pour qui veut bien travailler. Mais il y a encore beaucoup d’idées intrinsèques aux pays qui ne sont pas encore développées, je pense notamment à la fintech, à l’économie du prêt.
Les opportunités entrepreneuriales sont évidentes mais il faut naturellement penser aux risques. Il faut se poser les bonnes questions. Il est encore très difficile de trouver des talents bien équipés pour faire face aux problématiques des start-up. Des endroits comme la Silicon Valley ou Berlin ont permis à des entrepreneurs de talent d’échanger, de se retrouver et de former ainsi des réseaux. Ce n’est pas encore le cas en Afrique, et c’est un vrai handicap. Par ailleurs, les entrepreneurs ont naturellement besoin de fonds pour démarrer leur activité et le marché du financement des entreprises en Afrique est trop restreint.
Enfin, il est nécessaire d’éduquer le marché. Pourquoi ? Car l’enjeu consiste à fidéliser la clientèle à une marque. Ceci est très coûteux et prend du temps.
Décideurs. Quels conseils leur donneriez-vous ?
J.D. L’Afrique se pense sur le long terme. Beaucoup de patience, être très bien entouré et faire preuve d’acharnement !
Décideurs. La récente levée de fonds de 75 millions d’euros dépasse le seul cadre de Jumia puisque le partenariat avec Axa porte sur le capital d'AIG. Quelle sera l’allocation concrète des fonds et pour quels objectifs ?
J.D. Jumia est une marque très importante chez AIG, et bénéficie d’une part très conséquente de cette allocation des fonds. Le e-commerce une industrie qui a besoin de beaucoup de fonds pour se développer, pour des raisons très pragmatiques : quand on fait du e-commerce en Afrique, on ne dispose pas d’infrastructures aussi efficaces qu’aux États-Unis ou en Europe. Cela nécessite une technologie très robuste pour générer un trafic important, un système de paiement et une logistique efficaces. Cet argent sera ainsi le plus souvent dédié à la construction d’infrastructures pour aider le développement de la société. Nous allons investir énormément sur la technologie afin de devenir un pôle de référence en Afrique.
Décideurs. Les autres investisseurs d'AIG sont principalement des télécoms, Axa faisant figure d'exception. Quel est l'intérêt d'avoir un assureur-financier comme nouveau partenaire ?
J.D. Axa est une société très impliquée, qui voit en l’Afrique le prochain relais de croissance mondiale : c’est une véritable alliance stratégique. Nous pourrions nous-même devenir à terme un réseau de distribution des produits d’assurance.
Décideurs. Quelles leçons tirez-vous de la croissance spectaculaire d'Alibaba et de la progression colossale des revenus d'Amazon malgré la crainte relative des investisseurs ?
J.D. Internet a mis un terme à la concurrence. Aux États-Unis, il n’y a pas de numéro deux après Amazon, Facebook, Instagram. Ce que j’aimerais, c’est de ne pas avoir de numéro deux après Jumia. L’expérience client est si envoûtante – on parle de « delightful customer experience » en anglais, - que le client ne veut pas aller vers un concurrent. Notre obsession chez Jumia, c’est le client. L’entreprise qui prend un marché est toujours celle qui comprend le mieux les clients et les sert le mieux. Nous voulons être en mesure de proposer aux clients des prix plus attractifs et de meilleurs produits.
E.S.