Jean-Luc Konan, ancien banquier d’affaires, a créé il y a deux ans le Groupe Cofina, une institution panafricaine spécialisée dans la mésofinance. La mésofinance, appelée en anglais le missing middle, désigne le financement du « chaînon manquant » et se situe à mi-chemin entre la finance dite classique assurée par les banques et la microfinance prise en charge par des institutions spécifiques.

Décideurs. Jean-Luc Konan, pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous décrire les activités du groupe Cofina ?

 

Jean-Luc Konan.  Je suis aujourd’hui un mésofinancier et un ancien banquier. J’ai débuté ma carrière de manière assez classique dans la banque où j’ai travaillé pour différentes institutions internationales telles que Citibank, Barclays, Ecobank et UBA avant de me lancer dans l’aventure Cofina.

 

Nous avons trois métiers à Cofina. Premièrement, nous collectons des dépôts et distribuons des crédits. Deuxièmement, considérant que l’entrepreneur n’a pas simplement besoin de liquidités mais qu’il doit aussi les faire vivre à l’intérieur d’un écosystème, nous proposons également des services financiers de proximité (transferts d’argent, paiements de factures etc.). Et enfin, nous incubons à travers Cofina Startup house qui est le premier incubateur intégré dans notre activité.

 

Décideurs. Vous vous décrivez comme un spécialiste de la mésofinance qui est le cœur du positionnement du groupe Cofina. Pourquoi avoir fait le choix de cette spécialisation ?  

                               

J.-L. K. Je suis parti du constat en tant que banquier que les PME représentent environ 80% des entreprises créées sur notre continent aujourd’hui, mais n’ont accès qu’à moins de 6% des financements. Elles sont victimes d’une exclusion financière par le milieu, entre d’un côté des grandes entreprises financées par les banques et les marchés, et de l’autre la nano finance portée en Afrique par la famille proche, les parents, etc. Il s’agit d’une situation qui peut aboutir à un véritable problème de société lorsqu’on considère le taux de croissance démographique de notre continent qui est de 3,5% environ par an. On voit bien que les emplois formels ne pourront pas absorber toute cette population qui arrivera sur le marché de l’emploi. Il faut pouvoir créer des auto-employeurs. Une partie de la solution à ce problème est la mésofinance qui correspond aux structures mêmes de nos sociétés africaines. 

                                                               

Décideurs. Votre démarche est-elle donc également portée par des considérations sociétales ?

 

La mésofinance est une démarche engagée mais aussi profitable car c’est un secteur où l’on a affaire à de vrais créateurs de richesse contrairement aux idées reçues.

 

Décideurs. Le déficit de financement pour les PME en Afrique est estimé à près de 140 milliards de dollars. Comment expliquez-vous la frilosité des banques institutionnelles à l’égard des entrepreneurs ?

                     

J.-L. K. Le déficit de financement des PME est dû à une chose : l’analyse financière dans nos pays est basée sur des techniques empiriques. Dans une banque commerciale traditionnelle, la première chose que l’on demande à un emprunteur c’est de présenter ses trois derniers états financiers certifiés. La majorité des PME africaines, qui ont une comptabilité simple, ne disposent pas de ces documents et sont de fait automatiquement exclues du système. Il y a donc une inadéquation entre l’offre et la demande. Vous avez d’un côté des excès de capitaux (car les banques africaines ont beaucoup de liquidités) et de l’autre des besoins d’entrepreneurs, mais aucun lien entre les deux rives. Aujourd’hui, les banques africaines se ruent vers les mêmes clients, à savoir les grandes entreprises internationales, sans réellement se pencher sur les PME qui nécessitent une approche différente. Certains acteurs ont commencé à le comprendre et se stratifient en différentes activités (banque classique, méso et microfinance). Au lieu d’apprendre à vos clients à utiliser un produit, essayez de bâtir un produit dont ils ont besoin et ils le prendront d’eux-mêmes. L’originalité du système de la mésofinance, c’est qu’il demande un changement total de paradigme dans l’approche client.

 

Décideurs. Sur le marché des financements en Afrique peut-on dire que vous vous situez sur une niche ?

 

J.-L. K. Oui et non car l’idée que l’on se fait d’une niche est celle d’un petit segment sur une problématique spécifique. Là nous avons une problématique précise appliquée à une large couche de population. Le secteur des PME et TPE a longtemps été considéré comme infinançable à cause des différents risques qu’il supporte, et le fait est qu’il s’agit effectivement d’un secteur qui impose une double problématique : la maîtrise des fondamentaux de la finance, et la connaissance de son environnement immédiat sans laquelle on ne peut pas faire de mésofinance. C’est une activité à mi-chemin entre la finance classique et la grande distribution. La première comprend la problématique de gestion des risques et la seconde maîtrise les enjeux de proximité. C’est donc un modèle un peu hybride que nous avons développé permettant, à travers un certain nombre d’outils statistiques, de maîtriser le risque de ces PME.

 

Décideurs. L’atout de Cofina c’est une bonne connaissance des environnements africains ?

 

J.-L. K. Oui car nous sommes issus de 16 nationalités à Cofina et pourtant nous ne sommes présents que dans six pays. C’est parce que non seulement nous nous développons dans les pays où nous sommes présents, mais nous pensons également aux pays d’où nous allons importer de la richesse et des connaissances. L’un des principaux freins au développement en Afrique est notre incapacité à penser hors des cadres. La particularité de Cofina, c’est de s’être entouré de collaborateurs compétents issus de trois secteurs principaux : le premier est la banque, le second la microfinance et le troisième la grande distribution. Notre force vient de l’alliage de ces trois composantes, car le banquier sait gérer le risque, les microfinanciers sont d’excellents recouvreurs, et la grande distribution maîtrise la pénétration de marché.

 

Je veux également ajouter que je suis avant tout un entrepreneur et c’est pour cela que je parviens à les financer. Il y a quelques temps j’étais un banquier et je ne comprenais pas les entrepreneurs. Aujourd’hui, ils composent 80% du top management de notre groupe car nous voulons penser différemment et c’est ce qui fait notre force. Si nous étions restés dans une optique classique, nous n’aurions pas pu réaliser les résultats qui sont les nôtres aujourd’hui car nous ne nous serions pas orientés vers cette cible.  

 

Décideurs. Quelles sont les spécificités ou les besoins spécifiques des emprunteurs de ce segment ?

 

J.-L. K. Il faut distinguer les TPE et les petites et moyennes entreprises. On les regroupe toutes sous l’appellation PME mais elles correspondent à des problématiques différentes. Les deux premières catégories sont principalement à la recherche de fonds de roulement. Typiquement, il s’agit d’entrepreneurs qui ont un savoir-faire et des commandes qui sont réglées avec plusieurs mois de décalage. Ceux-là sont sensibles à des transactions courtes, rapides, et sans trop de documentation. C’est la première génération. La deuxième génération est celle des moyennes entreprises qui n’ont pas encore de track record mais sont à la recherche d’investissements et de financements à moyen terme pour pouvoir transformer ces capitaux courts en investissements. Et enfin, la troisième génération est celle qui cherche à passer de la moyenne à la grande entreprise pour obtenir des financements plus compétitifs et à plus long terme. Il ne faut pas se tromper de momentum : à chaque étape correspond une problématique bien spécifique.

 

Décideurs. Comment décrit-on une PME en terme de besoin en financement ?

 

J.-L. K. C’est une question délicate qui dépend de la taille de l’économie. En Côte d’ivoire, au-delà de cinq milliards de FCFA de chiffre d’affaires, les banques considèrent qu’il s’agit d’une grande entreprise, tandis qu’au Nigéria en dessous de 30 milliards de FCFA elle serait vue comme une PME. C’est donc très variable. Mais pour Cofina, une PME est une entreprise qui a un chiffre d’affaires inférieur à 2 milliards de FCFA, et dont l’activité principale est basée sur des crédits inférieurs à 200 millions de FCFA (300 000 euros). Quand le besoin en financement est inférieur à 300 000 euros, nous estimons que c’est une PME.  

 

Décideurs. Quel est le profil type de l’entrepreneur qui vient solliciter un crédit auprès de Cofina ?

 

J.-L. K. C’est le portrait-robot le plus difficile à établir car nos marchés sont différents selon les pays. On peut cependant observer quelques tendances générales : il s’agit pour la plupart de personnes qui ont entre 30 et 45 ans, à 50% d’hommes et 50% de femmes et qui pour les trois quarts n’ont jamais exercé de fonctions formelles dans une entreprise structurée. Le dernier quart représente des personnes éduquées et formées qui ont décidé de se lancer à leur propre compte.

 

Décideurs. Au Sénégal, à votre arrivée chez UBA, vous avez mis en place le plan 120 qui a permis de redresser la filiale. Auparavant, vous avez fait partie de l’équipe qui a initié le premier crédit à la consommation en 24 heures en Afrique de l’Ouest, et maintenant vous vous attaquez au « chaînon manquant » : peut-on dire que le challenge est votre drogue ?

 

J.-L. K. J’adore les challenges, ou alors lorsqu’ils se présentent, j’aime trouver des solutions pour les relever. Cela doit être dû au fait que je suis du signe astrologique bélier : le bélier aime foncer. Je crois de toute façon qu’il n’existe aucune activité sans challenge.

 

O.N. 

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