Toro Orero (DraperDarkFlow) : « Je suis impatient de voir des multinationales dont le siège sera basé en Afrique »
Décideurs. Dès la sortie de l’université, vous avez lancé votre première start-up en informatique. Qu’avez-vous retenu de cette expérience qui vous est utile en tant qu’investisseur aujourd’hui ?
Toro Orero. Deux choses m’ont frappé quand j’ai lancé ma première compagnie : la première était de constater à quel point il est difficile de lever des fonds, et la deuxième c’est que j’ai vu beaucoup de mes amis, brillants à l’université, se résoudre à des métiers ennuyeux parce qu’il n’existe pas d’écosystème structurel pour soutenir les start-up. J’ai réalisé que c’est à cela que je peux être utile : appuyer les jeunes entreprises locales et les aider à devenir globales. Nous voulons que les start-up africaines ne soient pas seulement puissantes au Nigéria ou au Cameroun mais fortes mondialement.
Décideurs. Lors du lancement du Draperdarkflow, vos premiers mots aux entrepreneurs face à vous étaient : « Vous êtes officiellement libres d’être dingues ! ». Selon vous, les entrepreneurs africains ne sont pas assez fous ?
T.O. Les entrepreneurs africains ont autant de volonté et de détermination que les autres. Ils sont passionnés et l’environnement dans lequel ils évoluent les rend bien plus résistants face aux difficultés que leurs alter ego dans les pays développés. Un de mes amis se plaignait de subir des coupures d’électricité deux fois par semaine dans son pays. Je lui ai répondu : « Tu rigoles ! Au Nigéria il y a des coupures d’électricité deux fois par jour ! » Les startupers africains ont une motivation à toute épreuve et ils sont audacieux. Mais ils se limitent la plupart du temps à un niveau local. Beaucoup d’entre eux souhaitent évoluer vers une échelle supérieure mais ne trouvent pas les ressources adéquates. C’est la mission que nous souhaitons remplir avec ce fonds d’investissement.
Décideurs. Quelles sont les types de start-up dans lesquelles Draperdarkflow investit ?
T.O. Nous aimons investir dans des start-ups différentes qui n’ont pas peur de repousser les limites. Pour vous donner quelques exemples, peu de personnes croiraient qu’une entreprise d’intelligence artificielle, de réalité augmentée ou qui fabrique des drones peut provenir d’Afrique. Pourtant il s’agit d’entreprises que nous finançons actuellement. Nous sommes attirés par des talents capables de concevoir des solutions pertinentes localement, mais adaptables à l’échelle mondiale.
Décideurs. Y a-t-il des secteurs précis qui se distinguent des demandes de financement que vous recevez ?
T.O. À force de lire des projets et d’écouter des entrepreneurs présenter leurs projets, on s’aperçoit au fil du temps qu’on retrouve plusieurs idées ou profils types. Notre approche consiste justement à regarder en dehors des tendances qui se dessinent et à nous éloigner de ce qui fait grand bruit pour nous intéresser à ce dont on ne parle pas encore. Cette volonté de penser en dehors du cadre nous ouvre à toutes les possibilités en matière d’investissements.
Décideurs. Vous nous avez confié qu’à neuf ans vous avez tenté de lancer une roquette dans la stratosphère. Aujourd’hui, vous recherchez des entrepreneurs capables de changer le monde : l’Afrique a-t-elle besoin de nouveaux héros ?
Nous avons clairement besoin d’écrire un récit différent et original de l’Afrique. Je pense qu’il est temps pour les Africains de faire deux choses : écrire leurs propres histoires, et poser les actions qui vont déclencher des récits.
Les porteurs de projets africains doivent se demander comment les produits qu’ils développent peuvent transformer leur pays, puis au-delà du pays le continent et le monde. Ma vision pour les jeunes entrepreneurs africains est que dans quelques années, nous utilisions tous une technologie novatrice en ignorant que son concepteur vient de Madagascar ou du Zimbabwe. Je suis impatient de voir naître des multinationales dont le siège sera basé en Afrique.
Décideurs. Pourquoi chercher spécifiquement en Afrique les entrepreneurs qui vont transformer le monde ?
T.O. Tout d’abord parce que je crois en l’Afrique et en son énorme potentiel. Ensuite, je pense qu’il y a des talents partout dans le monde, mais que les opportunités en revanche ne sont pas distribuées à part égales. Les talents en Afrique ne sont pas meilleurs ou moins bons que dans le reste du monde, mais les occasions d’exploiter ces talents ne sont pas aussi nombreuses qu’elles le devraient.
O.N.