Vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique depuis 2012, l’ancien ministre sénégalais de l’Économie et des Finances a alloué une somme record au continent africain en 2015. Révélatrice d’une dépendance structurelle au prix des matières premières des pays africains, la chute deleur cours souligne pour Makhtar Diop la nécessité de diversifier leurs économies et d’accélérer les réformes.

Décideurs. En 2015, la Banque mondiale a alloué un montant record à l’Afrique (11,6 milliards de dollars). Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ?

 

Makhtar Diop. Il faut tout d’abord noter que dans cette somme, 10,2 milliards concernent la partie concessionnelle*. Cette allocation record s’explique ensuite par le fait qu’il y a une demande très forte des pays africains. Bien sûr, cela est aussi concomitant au ralentissement du prix des matières premières.

 

Décideurs. Quelles dynamiques sous-tendent les flux d’investissements vers l’Afrique aujourd’hui ?

 

M. D. Au cours des cinq dernières années, il y a eu un fort flux d’investissements étrangers, particulièrement dans le secteur des commodities, des ressources naturelles (pétrole, gaz, mines) et notamment de l’or. Avec la baisse du cours des matières premières, se pose aujourd’hui la question de maintenir les flux d’investissements directs étrangers, tout en les ouvrant à d’autres secteurs. La conjoncture exige une plus grande diversification des économies africaines.

 

Décideurs. Que faut-il pour attirer davantage d’investissement privé sur le continent ?

 

M. D. C’est la conjonction de plusieurs éléments, mais des start-up innovantes et des conditions favorables aux PME sont des pistes intéressantes.

 

Aujourd’hui, le secteur privé africain fait face à plusieurs défis, et en premier lieu celui du financement. Pour les start-up, la tranche la plus délicate, pourtant essentielle à la création d’emplois, est lorsqu’apparaît un besoin de financement entre 100 000 et un million d’euros. Les banques doivent prendre plus de risques dans cette marge. Il faut aussi créer les conditions pour que la mort d’une entreprise ne soit pas synonyme de celle de l’entrepreneur, qu’il puisse se relever et prendre d’autres initiatives.

 

En ce qui concerne les PME, le financement à long terme pose également problème, le système bancaire permettant surtout des financements à court terme, ce qui entraîne des effets gênants dans des secteurs comme l’agriculture ou le secteur manufacturier. Et dans les marchés locaux, les chaînes de valeur ne permettent pas aux PME de maximiser leurs profits, ce qui contraint les pays à avoir recours aux importations.

 

Enfin, la logistique est essentielle et ses coûts sont assez élevés en Afrique, il faudrait les réduire. Un autre point crucial : celui de la disponibilité de l’énergie. Même lorsqu’elle est disponible en Afrique, elle demeure extrêmement chère. Toutes ces problématiques sont prises en compte dans les programmes que nous mettons en place à la Banque mondiale pour faire face à
ces défis.

 

Décideurs. La Banque mondiale a notamment mis en œuvre un programme pour les femmes…

 

M. D. Cet engagement part d’un constat très simple : on ne peut pas courir sur une seule jambe. Ne pas donner des opportunités aux femmes, c’est ne pas se donner toutes les chances de croissance économique. Au-delà des aspects moraux et de justice sociale qui imposent à tous les êtres humains d’avoir les mêmes droits et devoirs, au plan purement économique, nous constatons que lorsque les femmes n’ont pas les mêmes opportunités que les hommes, cela a un impact direct sur la croissance. Par exemple, quand il existe un déficit d’enseignants ou d’ingénieurs et que les femmes ne peuvent pas accéder à ces métiers, c’est autant de talents qui ne sont pas à la disposition d’un État et qui ne peuvent pas participer à la création des conditions de sa croissance.

 

Décideurs. Quelle sera, selon vous, l’Afrique de demain ?

 

M. D. L’Afrique de demain est d’abord celle qui aura une économie plus diversifiée avec une plus grande transformation des ressources naturelles sur le continent. Un exemple avec le gaz : il était exporté alors qu’il y avait un déficit d’électricité sur le continent. Pourquoi ne pas l’utiliser pour notre développement propre ? Avec ces initiatives, on crée beaucoup plus de valeur ajoutée. Par exemple, en Côte d’Ivoire, 50 % de la production de cacao a été transformée en chocolat sur place. C’est ce vers quoi les économies africaines doivent et vont tendre.

 

Décideurs. Vous êtes donc résolument « afro-optimiste » ?

 

M. D. Par définition. Je suis optimiste de nature et il existe des raisons de l’être ! Même s’il subsiste bien sûr des défis à surmonter, nous pouvons nous donner les moyens de le faire, par le biais de choix courageux auxquels sont prêts les pays africains. Il n’existe pas d’autre endroit sur terre qui représente un tel relais de croissance aujourd’hui. Investir en Afrique fait sens pour toute personne qui a une vision à long terme. D’ailleurs, les premiers qui seront en Afrique auront un avantage sur les autres. Mon conseil : venez en Afrique !

 

Propos recueillis par Élodie Sigaux

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