Benedict Oramah (Afreximbank) : « Le financement est l’un des besoins les plus importants pour les pays et les entreprises »
Décideurs. Selon vous, quels sont aujourd’hui les besoins les plus urgents des entreprises et des pays africains ?
Benedict Oramah. À une période où le continent accélère le processus de transformation structurelle et renforce sa participation dans l’économie mondiale, les besoins des pays et des entrepreneurs sont devenus plus pressants. Dernièrement, ils ont augmenté avec l’environnement mondial de plus en plus complexe marqué par le contre-choc du marché des marchandises, le renversement des flux de capitaux ainsi que le retrait des institutions financières du commerce international et de l’aide au développement. À mon avis, le financement est une nécessité absolue à la fois pour les pays et les entreprises du continent. Que ce soit dans le secteur des infrastructures ou du financement du commerce, on observe un décalage significatif. Une étude récente, menée pour évaluer les besoins dans la sphère du commerce international, a fixé le fossé du financement du commerce à plus de 120 milliards de dollars par an. Les besoins sont tout aussi astronomiques dans le domaine des infrastructures, dépassant largement les 90 milliards de dollars annuellement.
Cela fait des décennies que les secteurs publics et privés africains dépendent des financements extérieurs provenant largement des organisations internationales et des donateurs publics comme privés. Pour autant, ces sources de financement sont devenues plus limitées, en particulier en raison de l’expansion économique dont le continent a bénéficié durant la première décennie du nouveau millénaire, entraînant une concurrence accrue pour des ressources limitées venant de régions du monde entier, particulièrement de l’Asie qui a connu une croissance économique soutenue. Dans ce contexte global de demande et de rareté croissantes, de nombreux pays africains ont exploité différentes sources de financement : les versements provenant de la diaspora et les mobilisations des ressources nationales. Le changement dynamique du paysage africain de financement du développement étant d’actualité, la banque a sélectionné «la mobilisation des ressources nationales » comme thème de l’assemblée générale annuelle tenue à Lusaka en Zambie, l’année dernière.
En plus de s’être attaqués aux questions de financement, les pays africains devraient améliorer le business ainsi que l’environnement macroéconomique et renforcer les cadres institutionnels et financiers qui sont des facteurs favorables à la promotion du commerce et de l’entreprenariat. Les progrès faits dans ces domaines ont été les catalyseurs d’investissement direct à l’étranger (IDE) et d'entrées de capitaux. Fermer l’énorme fossé infrastructurel est un autre point important car les besoins de financement sont importants. Le déficit persistant d’infrastructures génère de lourdes conséquences sur le commerce, la transformation structurelle et la croissance économique. Il a été prouvé qu’en moyenne, les coûts économiques liés au déficit des infrastructures représentent environ 4 % du PIB chaque année.
Décideurs. Quelles sont les problématiques qui touchent le plus l’économie et le commerce africain ?
B.O. Autre problématique majeure, le manque de diversification économique : l’Afrique accentue ses efforts pour maintenir sa croissance économique et renforcer son intégration à l’économie mondiale grâce aux produits manufacturés. En l’absence de transformation structurelle, les perspectives de développement du continent ont été ébranlées par la récurrence de l’explosion des bulles spéculatives des produits de base comme le démontre la chute des prix du pétrole. La persistence de ces cycles réduit la visibilité du continent tout comme les échanges. Par ailleurs, elle affaibli la possibilité d’atteindre une croissance robuste et une amélioration globale du bien-être.
Une réponse durable aux cycles d’expansion-récession n’est pas suffisante. Il faut parvenir à une transformation structurelle du continent. Une solution proposée est la diversification des exportations permettant à l’Afrique de mieux s’intégrer dans l’économie mondiale. Cette proposition va également rehausser le commerce intra-africain qui reste faible, largement en raison des fortes concentrations de produits et du déficit d’infrastructures. Pour autant, il est encourageant d’observer qu’un nombre grandissant de gouvernements africains mettent l’accent sur une transformation structurelle dans leurs stratégies de développement national. Des efforts sont faits pour diversifier les sources de croissance ainsi que fermer le fossé infrastructurel. À ce titre, on peut citer les télécommunications, l’électricité, les transports et la logistique. Par ailleurs, il convient de dénicher l’énorme potentiel du continent en facilitant le commerce et en renforçant le processus d’intégration économique.
Pour le commerce africain, la question majeure est la concentration du commerce par secteur/produit et par zone géographique. Au niveau des secteurs/produits, le commerce africain est très concentré sur les produits primaires qui, pour certains États représentent plus de 90% des recettes d’exportations et du budget du gouvernement. À l’échelle géographique, le commerce africain, concentré sur un petit nombre de partenaires commerciaux venant largement des États-Unis et de l’Europe, a subi une diversification géographique. Ce phénomène peut s’expliquer par l’impressionnant et durable moteur de croissance et de commerce qui caractérise les économies des pays asiatiques en développement. C’est notamment le cas de la Chine qui est devenue la clé de la croissance économique mondiale et le principal partenaire commercial de l’Afrique. Cela étant, dans un contexte de déplacement, les flux d’investissement n’ont pas forcément été accompagnés par une transformation structurelle. En effet, la concentration des échanges par produit ou secteur reste la principale cause de leur vulnérabilité aux chocs extérieurs. Plus récemment, cela a été illustré par les effets négatifs du ralentissement de l’économie chinoise sur la croissance africaine, principalement à travers le commerce et la demande mondiale.
O.N. (traduit par Nassima Boumediene)