Expert incontestable des questions d’éducation, Jean-Michel Blanquer intrigue la sphère médiatique. Ni de droite ni de gauche, le ministre qui semble n’avoir aucune ambition politique, détonne par son calme et sa détermination dans la mise en œuvre de la grande réforme de l’École annoncée par Emmanuel Macron dès le début du quinquennat. Portrait d’un homme engagé.

Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé : Jean-Michel Blanquer était bien le candidat idéal pour porter sa grande réforme de l’École. Il faut dire que cet agrégé de droit public connaît parfaitement son sujet. Recteur, directeur adjoint de cabinet auprès du ministre de l’Éducation, directeur général de l’enseignement scolaire sous la présidence de Nicolas Sarkozy... Depuis plus de vingt ans, le haut fonctionnaire occupe des postes-clés. Un parcours reconnu et salué, y compris dans les rangs de l’opposition. « C’est un homme d’expérience, un connaisseur du système éducatif », estime le socialiste Jean-Pierre Chevènement. « Un visionnaire », selon la Républicaine Valérie Pécresse. « Il est à la fois structuré et créatif, assure son entourage au ministère. C’est très agréable de travailler avec lui, car il a une vision claire à très long terme. »

« C’est un brillant orateur, capable de faire passer des messages forts en s’adaptant au public auquel il s’adresse. »

Certaines de ses récentes décisions ne font pourtant pas tout à fait l’unanimité. C’est le cas de la mise en œuvre au printemps dernier de Parcoursup, la plateforme d’accès à l’enseignement supérieur, dont l’efficacité est largement mise en doute, ou encore de sa prise de position en faveur du retour à la semaine de quatre jours, « un non-sens pédagogique, pour l’ancien ministre socialiste Jack Lang. Une régression du service public. » Pas de quoi impressionner Jean-Michel Blanquer. Cet expert qui, avec d’autres ministres  ̶  Françoise Nyssen, Agnès Buzyn…  ̶ , représente la société civile au sein du gouvernement, semble n’avoir aucune ambition politique. La preuve : il ne mentionne jamais ses convictions partisanes. Ni conservateur ni réformiste, ni républicain ni socialiste, l’actuel locataire de la rue de Grenelle, qui s’était un temps rapproché d’Alain Juppé, reste inclassable. Peu importe. « L’éducation n’est ni de droite ni de gauche », rappelle celui qui se dit entièrement dédié à l’école de la République.

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Expérimentation éducative

« Ces questions l’habitent depuis toujours, assure Anne-Claire Pache, l’ancienne directrice adjointe en charge de la formation à l’Essec, qui travaillait à ses côtés lorsqu’il présidait l’établissement en 2013. Il lit, écrit, aime échanger sur le sujet. »  Passionné, l’homme ne s’est jamais vraiment éloigné de cette thématique. Après avoir obtenu l’agrégation de droit public au milieu des années 1990, il enseigne à Sciences Po avant d’être nommé recteur de Guyane en 2004. Deux ans plus tard, il rejoint le ministère de l’Éducation nationale aux côtés de Gilles de Robien. Sa fonction ? Directeur adjoint de cabinet. Un poste qu’il quittera pour celui de recteur de Créteil, une académie qui, sous son impulsion, deviendra un véritable laboratoire d’expérimentations éducatives. Conventions d’éducation prioritaire avec Sciences Po, internat d’excellence, cagnotte pour lutter contre l’absentéisme… Durant deux ans, Jean-Michel Blanquer multiplie les projets.

Bras armé du président Sarkozy

Une audace qui lui vaut d’être nommé directeur général des affaires scolaire en 2009, s’imposant ainsi comme l’une des personnalités les plus influentes du ministère de l’Éducation nationale. Chargé d’élaborer et de mettre en œuvre la politique pédagogique du pays, l’ancien professeur devient, comme le veut sa fonction, le bras armé du président Sarkozy en matière d’éducation. Une période que certains, dans l’opposition, n’hésitent pas à pointer du doigt, regrettant notamment les nombreuses coupes budgétaires dans les effectifs de l’Éducation nationale et un discours sévère à l’encontre des fonctionnaires. « Vous avez contribuez à la suppression de 46 000 postes d’enseignants », lance l’insoumis Alexis Corbière à l’actuel ministre de l’Éducation, lors d’un débat sur France Télévision. Affirmant ne pas avoir à rougir de son passage à la direction des affaires scolaires, Jean-Michel Blanquer l’assure : il n’est pas à l’initiative de ces mesures.

Étiqueté à droite

L’épisode marque néanmoins un tournant dans sa carrière. S’il reste toujours très discret quant à ses convictions politiques, le juriste semble s’inscrire comme un homme de droite auprès de l’opinion. Sans compter sa grande amitié avec le Républicain François Baroin qui interroge régulièrement l’opinion. D’aucuns le taxent même de « réac ». Une réputation qui, selon certaines rumeurs, l’empêcherait de prendre la direction de Sciences Po en 2012.

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Pas de quoi mettre un frein à sa carrière pour autant. Un an plus tard, Jean-Michel Blanquer est nommé directeur de l’Essec, l’une des plus prestigieuses écoles de commerce du pays. « Il était très tourné vers l’innovation et a initié un grand nombre de projets », témoigne Anne-Claire Pache, Un poste qu’il occupera pendant quatre ans, avant d’être appelé par Emmanuel Macron pour piloter le très sensible ministère de l’Éducation nationale.

Un ministre médiatique.

Une nomination qui n’étonne pas ses proches. D’une part, parce que l’homme a toutes les compétences requises pour la fonction et, d’autre part, parce que « son envie de contribuer aux questions d’éducation à l’échelle nationale a toujours été claire, note Anne-Claire Pache. C’est un brillant orateur, capable de faire passer des messages forts en s’adaptant au public auquel il s’adresse. » Multipliant tweets, interviews et autres passages télévisés, Jean-Michel Blanquer devient très vite l’un des ministres les plus médiatiques du gouvernement. Il faut dire que ses prises de position interpellent. Développant des idées de droite sur certains sujets tels que l’autorité et le rôle du maître, il se positionne à gauche sur le plan de la pédagogie ou le dédoublement des classes de CP dans les quartiers défavorisés. Mais le macronien n’a qu’un objectif en tête : mener la grande et ambitieuse réforme de l’École annoncée par le Président dès le début du quinquennat.

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« On change tout »

« De la maternelle à l’Université, on change tout. Ce n’était pas arrivé depuis Jules Ferry », annonce Emmanuel Macron au micro de Jean-Pierre Pernault lors d’une interview au JT de TF1 en avril dernier. Pour le ministre de l’Éducation nationale, qui selon son entourage sait être « force de proposition auprès du Président », l’ambition est donc claire : 100 % des élèves doivent sortir de l’école primaire en sachant lire, écrire, compter, et respecter autrui. Un « socle » fondamental, estime le ministre. Pour y parvenir, ce dernier a déjà mis en œuvre certaines réformes, comme la division par deux du nombre d’élèves dans les classes de CP. Depuis la rentrée 2017, les 2 500 classes des écoles des quartiers défavorisés ne comptent pas plus de 12 élèves. Une mesure qui concernera davantage d’enfants cette année. « Entre 200 000 et 250 000, précise-t-il. Un nombre qui a vocation à être élargi à chaque rentrée. »

Réformes phares

D’autres transformations du système éducatif ont également vu le jour en l’espace d’un an. Depuis la rentrée 2017, les collèges sont libres d’instaurer l’enseignement de langues anciennes en option, ou encore des classes bilangues et des sections européennes.

« De la maternelle à l’Université, on change tout. Ce n’était pas arrivé depuis Jules Ferry »

À partir de l’année 2019, l’école sera par ailleurs obligatoire dès l’âge de trois ans. Une initiative symbolique visant à valoriser l’école primaire et qui devrait nécessiter la création de 800 postes. Autres réformes phares : celle de la formation professionnelle d’ores et déjà votée à l’Assemblée nationale et visant à rendre plus accessible l’apprentissage, et la refonte du Baccalauréat. Simplifié, l’examen sera limité à quatre épreuves écrites et un grand oral qui compteront pour 60 % de la note finale. Les séries scientifiques, littéraires et économiques seront par ailleurs supprimées et remplacées par un tronc commun. Présentée en conseil des ministres en février dernier, la transformation devrait voir le jour en 2021.

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Convaincre les enseignants

Ces transformations permettront-elles de modifier en profondeur le système scolaire ? Difficile à dire. Le camp professoral ne semble pas, pour l’heure, prendre fait et cause pour le ministre. « Il travaille sans nous. Son objectif, ce ne sont pas les enseignants. De toute évidence, c’est de convaincre l’opinion publique », regrette Francette Popineau, co-secrétaire générale du SNUIpp-FSu, premier syndicat chez les enseignants du primaire interviewée par Challenge à la suite des recommandations émises par la rue de Grenelle à destination des enseignants des primaires en avril dernier. Pour espérer « dégraisser le Mammouth », Jean-Michel Blanquer, qui de son côté affirme avoir des échanges réguliesr avec l’ensemble des partenaires sociaux, devra convaincre les fonctionnaires de l’impact positif de chacune des mesures à venir et faire évoluer les mentalités. Sans doute l’une des tâches les plus délicates du quinquennat.

 

Capucine Coquand 

@CapucineCoquand

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