À force de déni puis de changements de cap face à la crise du Covid-19, l’homme le plus puissant des États-Unis aura mis sa population en danger de mort. Retour sur une gestion de crise calamiteuse.

Au moment où nous écrivons ces lignes, le nombre de décès dus au Coronavirus aux États-Unis vient de passer la barre des 61 000 ; et ce chiffre, déjà faramineux, ne tient pas compte des décès non encore enregistrés... selon toute vraisemblance, le bilan devrait continuer à s’alourdir. D’où cette question : comment la nation la plus riche du monde peut-elle être payer un tel tribut à la pandémie alors qu’elle consacre 17% de son PIB à la santé (11,5% en France) ? Comment son président a-t-il pu laisser la situation se dégrader au point que son pays apparaît aujourd’hui comme le nouvel épicentre de l’épidémie ? Réponse en quelques dates et déclarations révélatrices.

Des semaines de déni

Le 30 janvier, l’Organisation mondiale de la santé déclare que le Covid-19 est « une urgence de santé publique de portée internationale » et fait état de près de 8 000 cas dans le monde. Partout, les dirigeants politiques commencent à prendre la mesure de la catastrophe à venir. Le Président américain, lui, se dit confiant : « Nous pensons l’avoir très bien maîtrisé » déclare-t-il. Deux jours plus tard, alors que le nombre de cas confirmés a doublé au cours des trois derniers jours, il persiste et signe en affirmant : « Nous l’avons pratiquement tué dans l’œuf à son arrivée de Chine ». Le ton est donné et le déni, assumé. Il va durer des semaines.

"Un salarié sur dix a demandé des allocations chômage"

Mi-février, alors que, partout, l’inquiétude gagne les esprits, Donald Trump maintient le cap et parie sur la sortie prochaine de l’hiver. « Vous savez, normalement, en avril il disparaîtra avec l’arrivée des beaux jours, déclare-t-il. La chaleur tue en général ce genre de virus. » Toujours dans la même veine viendront dans les jours qui suivent « Je pense que les chiffres vont s’améliorer progressivement, au fur et à mesure que nous avancerons »  à ce stade, le pays compte quinze cas confirmés, qui passeront à 68, dont un décès. Pourtant, le président persiste : « Il va disparaître. Un jour, comme par miracle, il va disparaître et tout ira bien. »

Pour Donald Trump, "le virus va disparaître un jour comme par miracle"

Un premier fléchissement, à peine perceptible, se fait sentir début mars. « Les vaccins seront disponibles dans un avenir relativement proche ; les vaccins, mais aussi les traitements »,  affirme Donald Trump. Deux jours plus tard, le 4 mars, alors même que le pays compte 17 décès dus au virus contre aucun dans de nombreux pays, il renoue avec son discours de déni : « Nous parlons de très petits chiffres aux États-Unis. Nos chiffres sont inférieurs à ceux de n’importe quel autre pays ».

D’ailleurs, d’après lui, le virus va : « disparaître. Restez calme » promet-il le 10 mars avant d’indiquer dès le lendemain, alors que sur les quatre derniers jours, seulement 77 Américains ont été testés, soit moins de deux personnes par État. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer que : « Nous faisons preuve de réactivité et de professionnalisme ». Il faudra attendre le 17 mars pour que le président Trump admette la gravité de la situation et déclare : « C’est une pandémie » avant d’ajouter, fidèle à lui-même : « J’ai eu le sentiment que c’était une pandémie bien avant qu’on ne l’appelle ainsi. Il suffisait d’observer les autres pays. »

Un coût humain astronomique

Il ne fait aucun doute que les hésitations de Donald Trump ont coûté plusieurs milliers de vies, sans parler des dommages économiques liés au confinement, dont la durée est proportionnelle au retard accumulé. En quelques jours seulement. Selon un sondage du Pew Research Center, deux Américains sur trois pensent que Donald Trump a mis trop de temps à réagir à la menace du coronavirus aux États-Unis.

"Selon un sondage du Pew Research Center, deux Américains sur trois estiment que le président a mis trop de temps à réagir"

La même proportion pense également que le gouvernement des États lèvera trop rapidement les restrictions mises en place pour endiguer l’épidémie (et c’était avant que Donald Trump ne commence à soutenir ouvertement les manifestations contre le confinement à la mi-avril dans trois États gouvernés par les démocrates : Michigan, Minnesota et Virginie).

Pendant ce temps, l’économie américaine est en chute libre, avec des mesures de relance budgétaire historiques de 2 200 milliards de dollars qui ont provoqué un retournement de situation indispensable, mais relatif sur le marché boursier. Tout le monde sait que même 2 200 milliards de dollars sont à la fois insuffisants et aléatoires : de nombreuses familles attendent toujours leur versement forfaitaire de 1 200 dollars, qui sera lui-même bien inférieur à ce qui est nécessaire pour faire face à plusieurs mois de difficultés.

22 millions de chômeurs

L’ampleur des besoins est colossale : 22 millions d’Américains, soit plus d’un Américain sur dix en âge de travailler, ont demandé des allocations de chômage depuis le début de la crise. Au début du mois, seuls 34 des 50 États fédérés avaient décrété un large moratoire sur les expulsions. Douze d’entre eux n’avaient pris aucune mesure, parmi lesquels la Géorgie, l’Arizona et le Colorado, qui comptent à eux trois près de 25 millions d’habitants. La loi CARES de mars 2020 a interdit les demandes d’expulsion concernant les logements locatifs subventionnés par le gouvernement fédéral - mais en l’absence de mécanismes d’application clairs, cette disposition est bafouée dans de nombreux États.

Les mesures relatives aux petites entreprises du plan de relance budgétaire américain ont été étonnamment généreuses : toute entreprise de moins de 500 employés peut demander un prêt de 10 millions de dollars qui, s’il est utilisé pour payer le loyer, les services publics, les hypothèques et/ou jusqu’à huit semaines de salaire, sera annulé. Les demandes sont acceptées jusqu’à la fin du mois de juin - ce qui pourrait permettre aux petites entreprises de bénéficier de deux mois de fonctionnement financés par le gouvernement fédéral. Mais l’accès à ces prêts auprès des banques s’annonce délicat, puisque celles-ci devront traiter des millions de demandes de prêts provenant de tout le pays et débourser les fonds à l’échelle nationale, en un temps record.

Des mesures insuffisantes…

Derrière l’ampleur des mesures de relance de 2 200 milliards de dollars, il n’y a pas grand-chose. Les versements forfaitaires de 1 200 dollars, remis bien après que 3,3 millions d’Américains aient demandé des allocations de chômage, sont clairement insuffisants pour vivre pendant des mois, surtout lorsque beaucoup de ces versements ont mis des semaines à arriver. Le retrait par Donald Trump de Glenn Fine, l’inspecteur général chargé de superviser l’enveloppe de 2 200 milliards de dollars attribuée pour redynamiser l’économie, ne présageait rien de bon.

Concernant la réponse sanitaire apportée à la crise, il est clair que les États-Unis sont un centre mondial d’innovation, et Donald Trump a déjà signé un accord de 456 millions de dollars avec Johnson & Johnson pour un éventuel vaccin contre le coronavirus - peut-être prématurément, puisque les premiers essais cliniques n’étaient pas en cours à l’époque. Néanmoins, le remdesivir du géant pharmaceutique américain Gilead Sciences a été largement reconnu comme ayant donné des résultats prometteurs lors d’essais sur les animaux ; jusqu'à présent, les États-Unis ont été l’un des rares pays à l’administrer (bien que son utilisation ait été suspendue fin mars pour des raisons d’approvisionnement). Mais en dehors des produits pharmaceutiques, la mobilisation des ressources en matière de soins de santé a été aussi inégale qu’on pouvait le craindre, doublée d’une pénurie importante d’équipements de protection individuelle (EPI) pour les professionnels de santé et de respirateurs pour ceux qui en avaient un besoin urgent. Dans ce domaine le pays se sera illustré par son hypocrisie ; achetant des respirateurs à une société russe qu’il avait mise sur liste noire, et bloquant l’approvisionnement en respirateurs et autres fournitures médicales d’États sur lesquels il exerce une pression visant un changement de régime, comme Cuba et le Nicaragua.

Arjun Sajip

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