Formation des juristes : la crise enfonce le clou
À situation inédite, réponses inédites. Dès la publication des annonces gouvernementales de confinement, les juristes se sont retrouvés confrontés à un flot incessant d’interrogations venant de toutes parts, des opérationnels aux autres directions. En plus de devoir plancher sur les problématiques qui les occupent habituellement, ils ont également dû gérer à distance de nouvelles questions liées à la pandémie : étudier les textes en droit du travail qui se sont succédé, assurer la survie des contrats exécutés dans des conditions exceptionnelles ou suspendus, envisager de nouvelles voies de résolution des litiges… Sans trop savoir à quel droit se référer. Éviter l’isolement et trouver rapidement les réponses à ces questions précises et exceptionnelles sont devenus des impératifs.
Soutenir la communauté juridique
La cohésion des juristes s’est avérée indispensable. Les associations professionnelles ont joué un rôle essentiel pendant la crise sanitaire, en accompagnant d’une part les juristes d’entreprise, et en continuant à les former d’autre part. Deux administrateurs du Cercle Montesquieu, Bénédicte Wautelet et Olivier Belondrade, resituent cette nécessité d’agir, à laquelle ils ont répondu très rapidement : "Dès le début de la crise, le Cercle Montesquieu a souhaité soutenir ses membres et leur montrer qu’il était aux côtés de la communauté juridique." De ce fait, l’association a immédiatement mis en place un cycle de formations, divisées en différentes sessions. "Nous avons noué un partenariat avec l’EFB, mettant en place des séminaires portant sur l’impact du Covid-19 dans nos différentes matières telles que le droit des contrats, la cybersécurité, les contentieux, la gouvernance ou encore le M&A", détaille Olivier Belondrade. Ces formations permettent de bénéficier des compétences de directeurs juridiques, de juristes, mais également de celles de magistrats, d’huissiers et d’avocats sur des sujets particulièrement sensibles durant cette période de crise. Ces séminaires sont enregistrés et disponibles en accès libre sur la chaîne YouTube de l’EFB.
Même stratégie du côté de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) qui a créé un groupe sur Linkedin dès les premiers jours du confinement, réunissant aujourd’hui plus de 1 000 professionnels. L’objectif de cette page : partager les bonnes pratiques et les retours d’expérience entre membres de l’association, lesquels peuvent se répondre en cas d’interrogations. Mais pas seulement, puisque l’association a continué à assurer ses formations, mais à distance : "La grande majorité de nos membres étaient en télétravail, nous avons fait le choix de basculer nos formations physiques en webinar dès la première semaine du confinement, expose Marc Mossé, président de l’AFJE. Ce fut un succès et nous avons recensé entre 60 et 230 inscrits sur la trentaine de webinars organisés, parmi lesquels nous comptons aussi de nombreux juristes exerçant en région", poursuit le directeur des affaires juridiques et publiques chez Microsoft. Lors de ces formations, dont certaines ont été dispensées en partenariat avec l’agence de communication spécialiste des professions juridiques Eliott & Markus, l’AFJE aborde de nombreux sujets : ceux liés au traitement juridique de la crise sanitaire, comme la tenue à distance des assemblées générales, et des problématiques techniques comme de droit de la distribution, contractuelles, d’IT... "Récemment, nous avons organisé, en partenariat avec l’ACE (Avocats conseils d’entreprise), un webinar portant sur la reprise du travail et les règles de sécurité à mettre en place. Nous avons enregistré 480 inscrits", chiffre Marc Mossé. Parmi les participants, des adhérents bien sûr mais aussi des juristes de toutes parts. Ces formations ont connu un franc succès et, surtout, ont rencontré un public : celui de juristes parfois isolés, souvent sollicités dans l’urgence, particulièrement demandeurs de formations pour les guider pendant cette période particulière.
L’appui des cabinets d’avocats
La solidarité au sein de la filière juridique s’est illustrée au-delà de la seule famille des juristes d’entreprise. Les cabinets d’avocats, qui ont également très rapidement mis en place des task forces et webinars tout au long du confinement, ont participé eux aussi à leur formation. En abordant des thèmes comme ceux du droit des contrats, social, commercial ou fiscal en période de crise sanitaire dans le cadre de visio-conférences, ils se sont montrés réactifs et utiles en s’adressant à leurs clients mais aussi à tous juristes intéressés et de manière gratuite. "Nous travaillons de manière récurrente avec nos avocats, mais avons particulièrement apprécié le brainstorming que nous avons partagé avec de nombreux cabinets pendant la crise. Leur recul sur certains sujets et leur réactivité nous ont été utiles, en droit des contrats notamment", explique Nathalie Dubois, responsable juridique du groupe Fnac Darty. Un retour d’expérience largement partagé : "Les cabinets d’avocats ont été d’un soutien précieux, rapporte François Lhospitalier, directeur juridique et conformité de la Fédération française de Tennis. Nous avons reçu beaucoup d’informations grâce aux newsletters qu’ils ont développées ou au travers de webinars."
"Nous avons noué un partenariat avec l’EFB, mettant en place des séminaires portant sur l’impact du Covid-19 dans nos différentes matières" Olivier Belondrade, Cercle Montesquieu
Et, au-delà de formations, la communauté de juristes s’est retrouvée pour assurer un traitement adapté aux litiges nés de la crise. Le barreau d’affaires, Paris place de droit et le Cercle Montesquieu ont uni leurs forces pour lancer conjointement une plateforme de conciliation pour les litiges commerciaux. Ce dispositif extra-judiciaire d’urgence et de conciliation est dédié aux entreprises exposées à des difficultés générées par les effets du Covid-19. Les cabinets Jeantet et 1804 annonçaient quant à eux, tout récemment, le lancement d’une solution d’arbitrage, en partenariat avec le CMAP, pour résoudre les litiges locatifs.
Développer les soft skills
Cette réactivité de tous les acteurs du monde juridique et la création d’outils adaptés à la situation des juristes ne doivent pas rester lettre morte dans l’avenir. Selon Ian Kayanakis, le directeur juridique et compliance officer de Segula Technologies, la question de la formation des juristes est un enjeu constant. "Pour nous juristes, cela fait partie de notre ADN d’être très formés et de recruter des collaborateurs compétents sur des problématiques pointues. Ceci encourage nos juristes à suivre des formations pour parfaire leurs compétences", explique celui qui a assisté avec ses équipes à des webinars dispensés par l’AFJE pendant le confinement. Pour François Lhospitalier, les besoins en formation des juristes sembleraient avoir vocation à être adaptés : "La digitalisation et la dématérialisation vont très certainement prendre plus d’ampleur", assure-t-il. Marc Mossé est quant à lui convaincu : "Les juristes sont souvent en première ligne. La crise a confirmé leur rôle essentiel dans l’économie, ils seront encore plus incontournables qu’avant en entreprise et dans la société." D’où la nécessité pour ces professionnels de toujours rester informés et de continuer à se former au droit, quelle qu’en soit la manière. Et sans attendre une prochaine crise.
Marine Calvo