Par Franck Jullien, dirigeant. Comenius
Les entreprises doivent aujourd’hui proposer de nouvelles réponses aux risques psychosociaux. Les enquêtes et l’information du personnel sur la détection et la prévention de ces risques ont été faites. Des réponses plus concrètes sont maintenant attendues par les salariés.

Cet article présente un partage d’expérience sur une réponse atypique donnée à la prise en compte des risques psychosociaux. En 2011, la banque Natixis a choisi de réaliser un serious game pour apporter une réponse individualisée à chaque salarié sur les mécanismes du stress. Le but n’étant pas de donner de l’information générale sur le stress mais bien de permettre à chacun de se reconnaître, comme dans un miroir, et de comprendre les mécanismes qui augmentent notre stress.

Donner du sens
Dès que l’on parle de stress ou de risques psychosociaux, il faut être très prudent car le faux pas n’est pas permis. Dans notre cas, la consigne était claire : ce serious game ne devait pas être culpabilisant pour les salariés ni pour l’entreprise. Il n’était donc pas question de porter la responsabilité du stress sur l’individu ou sur l’organisation du travail.

Pour gérer cette contrainte, nous n’allions pas parler du stress d’un individu précis mais présenter les mécanismes du stress propres à des types de personnalité. L’objectif étant que chacun derrière son écran puisse s’identifier à un ou plusieurs personnages. Pour parachever le tout, nous avions pris le parti de ne pas mettre en scène des situations de management afin de ne pas parasiter la compréhension des interactions entre les personnages.

Captiver l’attention
L’intérêt d’un serious game est que l’on se fait attraper dans le jeu et que l’on apprend en jouant. Dans notre cas, le jeu se fait de soi à soi. Tout l’intérêt de cette approche réside dans le fait que l’on se reconnaît et que l’on reconnaît l’autre : son collègue, son manager, son collaborateur, etc.

Ainsi le jeu est bien de partir à la découverte de soi et de comprendre au fur et à mesure ce qui nous met sous pression. Et nous découvrons que cette pression peut être générée par soi ou bien par la relation à l’autre.

Le succès au rendez-vous
Deux ans et demi après sa mise en ligne, 41?% des employés ont suivi ce serious game bien qu’il ne soit pas obligatoire. En 2012, ce serious game a remporté le grand prix du jury aux E-learning Excellences Awards organisés par la Cegos. (Le jury a été particulièrement sensible au fait que Natixis a donné son feu vert pour que d’autres sociétés puissent l’utiliser).

Plusieurs raisons expliquent ce succès. Tout d’abord, les scènes collent à la vie de l’entreprise. La réaction spontanée que l’on entend a été : «?on dirait les réunions auxquelles je participe.?»
Deuxièmement, les voix ont été réalisées par des acteurs qui ont fait l’objet d’un casting exigeant. La personnalité des acteurs correspond aux types de personnalité qu’ils incarnent. La réalisation a été confiée à la société Daesign qui sait donner vie à ces personnages.

Mais le plus important reste sûrement que la réalisation de ce serious game a été accompagnée d’un travail de recherche avec Fabien Fenouillet, docteur en psychologie, afin de mesurer les dimensions psychologiques mises en scène. Si chacun se fait «?attraper?» en suivant les personnages de cette équipe c’est qu’on les côtoie quotidiennement.

Le déploiement
Le déploiement de ce serious game ne s’est pas fait seul. Il est accompagné d’un dispositif plus large qui propose différents niveaux d’action. Le premier niveau consiste en une série de conférences sur site. Pendant deux heures, à partir du serious game, chacun peut aller plus loin en comprenant de manière plus approfondie le circuit du stress propre à chaque type.
Certaines personnes sont satisfaites de ce niveau de lecture mais d’autres veulent aller plus loin encore. Dans ce cas, deux options s’offrent à elles. Elles peuvent participer à un atelier limité à six personnes dans lequel elles peuvent travailler sur une situation stressante spécifique.

Cette solution est adaptée aux personnes qui n’ont pas réussi à faire les liens entre leur cas et les explications sur les processus du stress. Si elles sont plus intéressées par le stress relationnel, une formation pour mieux se comprendre et mieux comprendre la relation à l’autre est proposée. À l’issue de ces actions, chacun reçoit un livre qui reprend les concepts développés durant les formations.

Retour d’expérience
Le premier constat est que la grande majorité des personnes qui ont participé aux conférences ou aux formations retournent ensuite parcourir le serious game. La cohérence du dispositif se trouve donc validée. Le deuxième constat est que cette approche des risques psychosociaux répond à une vraie demande.

En effet, ce sont plusieurs centaines de personnes qui chaque année assistent aux conférences ou s’inscrivent aux formations après avoir suivi le serious game. Ce phénomène ne montre pas d’essoufflement pour le moment. Il donne également un indicateur fort en montrant qu’il est possible d’apporter une réponse concrète aux salariés tout en répondant aux obligations légales. Le dernier constat n’a pas encore été réalisé chez Natixis mais au sein de la société LFB (laboratoire pharmaceutique), qui souhaite mesurer l’impact de ces mêmes formations chez ses salariés.

Si le résultat de l’enquête n’est pas encore connu, en revanche, nous avons les retours du groupe pilote qui a été constitué pour concevoir le questionnaire de satisfaction. Étonnamment, les témoignages indiquent que les effets se font sentir environ un an après les formations. Les personnes qui ont suivi la formation récemment (deux ou trois mois), ne les ressentent pas encore. Ces témoignages indiquent une plus grande capacité à prendre du recul, une amélioration des relations, une plus grande facilité à mettre des limites entre vie personnelle et vie professionnelle et une meilleure gestion des conflits.

Ces expériences montrent qu’il est possible d’apporter des solutions originales et concrètes pour faire face aux risques psychosociaux.

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