Sous l’influence des politiques monétaires ultra-accommodantes des banques centrales, les taux de rendement offerts par les marchés obligataires se sont largement affaissés. Pour aller chercher une meilleure performance, les investisseurs sont de plus en plus nombreux à revenir sur le marché du high yield. Une bonne idée ? Éléments de réponse avec le gérant obligataire de Delff Management spécialisé sur ce segment, Cyril Colmont.

Décideurs. La Banque centrale européenne a annoncé début mars l’accroissement de la taille de son Quantitative Easing - de 60 milliards d’euros à 80 milliards d’euros - ainsi que l’achat d’obligations corporate notées « investment grade ». Quelles sont les conséquences à attendre sur le marché du haut rendement ?

Cyril Colmont. Les conséquences sont déjà visibles. De nombreux investisseurs positionnés sur le segment de l’investment grade ont profité du rallye post-BCE. Aujourd’hui, les taux de rendement y sont très faibles, ce qui a poussé un certain nombre d’investisseurs à alléger leurs portefeuilles positionnés sur les obligations les mieux notées au profit des titres à haut rendement. Ce mouvement est cependant très mesuré. Une parcimonie qui s'explique notamment par les contraintes réglementaires qui pèsent sur les banques et les assureurs. Ces derniers sont en effet obligés d'investir une large partie de leur portefeuille sur des actifs moins risqués. Pour toutes ces raisons, nous écartons à l'heure actuelle l'existence d'une bulle sur le marché obligataire à haut rendement.

 

Décideurs. La question de la liquidité sur le marché du haut rendement revient régulièrement. Comment la jugez-vous actuellement ?

C. C. Lorsque l'on voit certaines obligations high yield se traiter en dessous de 70 % - 80 % de la valeur nominale, la question de la liquidité de ces titres se pose inévitablement. Ce fut le cas par exemple d'Abengoa dont les titres valaient 15 % du nominal avant sa faillite. Actuellement, les émetteurs distress tels que CGG, Vallourec ou encore Isolux, sont bien connus des professionnels du marché. Si pour ces entreprises la liquidité est moins bonne, il me semblerait toutefois bien aventureux de généraliser leur situation à l'ensemble du segment du haut rendement. Le niveau de liquidité reste en effet très bon pour les émetteurs en meilleure santé. Prenons un peu de hauteur et revenons sur ce qu'était le marché euro high yield il y a huit ans : il pesait 50 milliards d'euros. Aujourd’hui il est à 350 milliards d’euros. La diversité des entreprises (tailles, secteurs d'activités) émettant sur ce marché et la présence d'un grand nombre de sociétés de gestion participent à assurer un bon niveau de liquidité. Il est cependant certain que dans des périodes troubles, la liquidité diminue un peu, mais cela se voit également sur le segment de l'IG.

 

Décideurs. Le secteur de l’énergie notamment aux États-Unis est actuellement en difficulté. Êtes-vous totalement absent de ce marché ou restez-vous à l’affût des opportunités qui peuvent se présenter ?

C. C. Nous préférons rester éloigné de ce marché. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder les difficultés de CGG et Vallourec, deux parapétroliers français ayant récemment réalisé des augmentations de capital. Ils ont subi de plein fouet les problèmes du secteur du pétrole. Investir dans des émetteurs de cette nature revient actuellement à jeter une pièce en l’air car nous n'avons aucune idée de la variation à court terme des prix du baril. Or ces entreprises sont totalement dépendants des cours. Cela va même plus loin puisqu'il faudra attendre que le prix du baril remonte et que les pétroliers retrouvent leur marge pour les voir réinvestir dans des parapétroliers. Une amélioration de leur situation n'est donc pas attendue avant un délai de six à neuf mois après la remonté des cours. La probabilité que Vallourec fasse défaut dans les mois à venir est donc très importante. L'une des portes de sortie pour elle ou CGG serait qu'elles fassent l’objet d'un rachat de la part d'une société importante du secteur. Entendons-nous bien, je ne remets pas en cause le business model de ces sociétés qui ne me paraît pas critiquable. Elles sont malheureusement des victimes collatérales de la conjoncture. Pour ceux qui souhaiteraient jouer la remontée du prix pétrole, il me semblerait plus judicieux de se positionner sur le marché action. Le risque étant à peu près identique et l’espérance de rendement bien supérieure. On entre ici dans la stratégie « actions vs obligations high yield ». Il existe en effet des secteurs et des sociétés où il est préférable de se positionner avec des actions et inversement d’autres avec des obligations.

 

Décideurs. Quels secteurs privilégiez-vous actuellement ?

C. C. Les émissions obligataires de sociétés présentes sur le secteur des produits de beauté nous paraissent très attractives. C'est le cas de Douglas qui a récemment fait l'acquisition de Nocibé pour devenir le premier distributeur en Europe. Le groupe propose ainsi des rendements allant de 6 % à 7 % selon leur maturité et le point d’entrée. D'autres firmes comme Picard ou Labeyrie affichent également une très belle solidité. Nous aimons beaucoup le secteur de la santé. Je pense au leader de la dialyse Fresenius. Autre secteur attractif, celui des câbles télécoms. Nous pouvons citer Unity ou encore les entreprises de la téléphonie mobile, générant des cash-flows abondants. Parmi elles figure Numericable dont l’endettement est en train de baisser de manière importante.

 

Décideurs. Dans les conditions de marché actuelles, quels sont les avantages pour un fonds dédié aux obligations à haut rendement d’être « non benchmarké » ?

C. C. Comparé des fonds « benchmarkés » et « non benchmarqués »revient pour le marché du high yield à mettre en perspective la gestion active au regard des ETF. Un fonds qui suit une gestion « benchmarkée » subira nécessairement les éventuels défauts, avec plus ou moins d’ampleur. Ce qui, en principe, n'est pas le cas d'un fonds « non benchmarké ». Celui-ci présente en effet l'avantage d’être libre dans ses choix : si le gérant n’aime pas un émetteur, il peut choisir de l'écarter et évite donc les défauts. Ce raisonnement est bien sûr théorique, mais il est plus facile d'éviter ces risques en ayant une plus grande latitude dans ces choix d'investissements.

 

Décideurs. Les valorisations sur le marché du haut rendement vous semblent-elles attrayantes ?

C. C. Le marché du haut rendement présente aujourd'hui un point d’entrée intéressant. Au regard notamment du taux émis par les emprunts d'État allemands. Ceux-ci étant en effet négatifs pour les titres dont la maturité du titre ne dépasse pas huit ans. Un chiffre loin des espérances de gain des investisseurs. Les institutionnels tablent cette année sur des rendements de 4 % à 5 % pour le marché du haut rendement. Notre objectif sur la partie euro corporate est de 7 % pour 2016. En 2015, nous avions délivré 6,7 % nets. Nous ne sommes pas dans une logique de buy and hold. Nous pouvons acheter ou revendre les obligations lorsque nous l'estimons pertinent. Nous avons également la possibilité de garder du cash et d’acquérir des protections sur le iTraxx Crossover.

 

Décideurs. Pour émettre sur le marché du high yield, les entreprises profitent d’une « fenêtres de tir ». Malheureusement pour elles, celle-ci est actuellement « fermée ». Quelles sont les conséquences sur votre stratégie de gestion ?

C. C. Il y a effectivement assez peu d’émissions primaires. Pour être franc, nous sommes surpris par ce ralentissement car le marché va mieux depuis quelques semaines. Nous anticipons tout de même un retour de ces émissions en mai et en juin. Les émissions réalisées par de nouveaux arrivants demeurent très appréciées dans la mesure où elles offrent une diversification supplémentaire aux investisseurs.

 

Propos recueillis par Aurélien Florin

 

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