L’œil du régulateur des banques et des assurances offre une vision sereine d’un secteur sous extrême surveillance.

Décideurs. Si vous deviez faire un bilan sur l’état de santé des banques françaises, lequel serait-il ?

Edouard Fernandez-Bollo. Les banques françaises sont en bonne santé : en dépit d’un contexte économique qui reste peu porteur, elles ont enregistré des résultats très satisfaisants en 2015 et renforcé encore leurs ratios de solvabilité, qui se situent, dès à présent, au-dessus des exigences qu’elles devront respecter en 2019 à l’issue de la phase de transition prévue pour cette règlementation. La qualité de leurs portefeuilles de crédit, déjà meilleure que la moyenne européenne, continue de s’améliorer. Enfin, elles bénéficient de la reprise progressive de la demande de crédits (notamment à l’habitat et à la consommation pour les ménages, à l’équipement pour les entreprises) ainsi que d’une épargne toujours dynamique en France, qui contribue à renforcer leur situation de liquidité. Pour autant, l’environnement de taux bas continue de peser sur le niveau de leurs marges d’intérêt, qui constituent toujours leur principale source de revenus, et les soubresauts récents des marchés financiers ont affecté la performance de leurs activités de banque de financement et d’investissement.

 

Décideurs. Les banques françaises sont-elles à l’abri d’une crise systémique ?

E. F.-B. Les grands groupes français, compte tenu de leur taille, de leur ouverture internationale ou encore de leurs activités sur les marchés, se trouvent certes exposés à une grande variété de risques. Mais cette diversification est aussi susceptible de les protéger et constitue un atout.

Il faut néanmoins tenir compte des risques de propagation qui pourraient provenir d’autres acteurs, voire d’autres secteurs. À cet égard, nous avons tiré les leçons de la crise, et sommes aujourd’hui mieux armés pour prévenir et affronter des crises systémiques.

Tout d’abord, le dispositif réglementaire applicable aux banques a été considérablement renforcé. Le passage à Bâle III, et sa transposition européenne via le « paquet CRR / CRD IV », ont été décisifs et se sont traduits par une couverture plus complète des risques, incluant notamment les risques de liquidité de court terme et structurels, ainsi que de levier. Les établissements jugés les plus systémiques font en outre désormais l’objet d’une surveillance particulière, assortie d’exigences renforcées.

 

« Les soubresauts récents des marchés financiers ont affecté la performance des activités de banque de financement et d’investissement »

 

Nous nous sommes aussi dotés d’un cadre institutionnel à même de traiter, au-delà des risques bancaires individuels, le risque inhérent au système financier dans son ensemble : la responsabilité de cette surveillance dite macro-prudentielle incombe en France au Haut Comité de Stabilité Financière, présidé par le ministre de l’économie et dont la mission est précisément, je cite, d’« exerce[r] la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique ». L’action du HCSF s’inscrit dans le cadre institutionnel européen, qui comporte une autorité macro-prudentielle dédiée, le Comité Européen du Risque Systémique (CERS). Au-delà de ces mesures de prévention, des mécanismes de gestion et de résolution de crises ont également été mis en place, tel le Mécanisme de résolution unique (MRU).

Nous disposons en outre aujourd’hui d’une panoplie d’outils nous permettant de mieux appréhender les risques extrêmes, qu’il s’agisse de la mise en place de tests fréquents de résistance des banques (les « stress-tests ») ou du développement de modèles dits de contagion pour simuler les interactions des agents financiers en réseaux. À ce titre, il faut aussi mentionner que des évolutions règlementaires importantes sont déployées dans d’autres domaines que celui de la banque, je pense au secteur des assurances, des chambres de compensation ou à la gestion d’actifs, et que les régulateurs s’emploient à mieux capturer au niveau international les évolutions des acteurs non régulés qui pourraient présenter des risques en termes de stabilité financière.

Pour toutes ces raisons, je dirais donc que la probabilité d’une crise systémique me semble aujourd’hui nettement réduite, même s’il convient bien entendu de rester vigilant.

 

Décideurs. Que faudrait-il améliorer dans le fonctionnement des banques françaises?

E. F.-B. Les banques françaises sont confrontées à des enjeux de différentes natures :

Elles sont tout d’abord contraintes de faire évoluer leurs modèles d’activité dans un contexte durable de taux bas, mais aussi de digitalisation croissante de leurs métiers et de l’émergence de nouveaux risques (comme la cybercriminalité) ou de l’entrée de nouveaux acteurs éventuellement concurrents (FinTech) ; elles doivent dans le même temps poursuivre l’ajustement de leur structure de coûts et rechercher des sources alternatives de revenus tout en veillant à préserver la qualité de leur profil de risque (opérationnel, conformité, crédit, etc.) et de leurs dispositifs de contrôle.

Elles doivent également poursuivre leur adaptation à l’ensemble des nouvelles règlementations issues des réformes post-crise financière, qu’il s’agisse, d’une part, des ratios de liquidité à long terme ou de levier ou, d’autre part, des dispositions relatives à la résolution bancaire avec la constitution de ressources propres qui permettent de résoudre leurs difficultés sans que les États ne soient plus sollicités ; ces différentes réformes, qui ne sont pas toutes encore finalisées, pourraient dans certains cas réclamer des efforts encore significatifs. Les banques françaises ont cependant déjà montré à plusieurs reprises par le passé, leur capacité à atteindre des objectifs aussi ambitieux.

 

Décideurs. Vous jouez également un rôle important dans la protection des clients. Quelles sont les nouvelles fraudes auxquels ces derniers sont confrontés ?

E. F.-B. L’ACPR et l’AMF offrent un point d’entrée commun aux demandes du public. Nos deux Autorités ont pu ainsi constater au cours de l’année 2015 une recrudescence des plaintes concernant différentes formes d’escroqueries sous couvert d’opérations de banque ou de services d’investissement. Internet constitue un terrain particulièrement propice au développement de sollicitations frauduleuses vis-à-vis du public.

Les escroqueries sous couvert d’opérations de trading sur le Forex ou les options binaires sont un phénomène déjà bien identifié sur lequel nos collègues de l’AMF se sont fortement mobilisés mais qui demeure malheureusement toujours d’actualité. Elles constituent d’ailleurs la majeure partie des demandes du public relatives à des escroqueries. Mais plus récemment, de nouvelles formes de fraudes ont été constatées.

Ainsi, des individus se présentant comme des agents de l’ACPR ou de la Banque de France ont sollicité des victimes d’escroquerie au forex et/ou trading d’options binaires en prétendant pouvoir les aider à récupérer tout ou partie des sommes perdues. En contrepartie, il leur était demandé de verser une somme d’argent sous des prétextes divers. L’ACPR a publié le 5 février 2016 un communiqué de presse mettant le public en garde contre ces pratiques et mentionnant les pseudonymes utilisés par les escrocs.  Depuis, nous constatons que les plaintes du public liées à ce phénomène ont presque disparu.

L’année 2015 a également vu émerger une nouvelle forme de fraude sous couvert de crédit bancaire ou participatif. Ainsi, des annonces sur des réseaux sociaux, des blogs ou des forums ainsi que certains sites web font la promotion de crédits à des conditions très avantageuses. Ces prêts sont proposés, soit par des « particuliers », soit par des personnes se présentant comme des intermédiaires (en financement participatif ou IOBSP) ou des entités agréées. L’internaute obtient rapidement un accord de principe pour un crédit sans condition de ressources ou de garanties, puis de l’argent lui est demandé, au titre de supposés frais.

Enfin, il existe des fraudes  à l’ouverture de comptes. Des particuliers sont incités par un rendement annoncé très attractif à investir dans un livret d’épargne ou un compte à terme. Une fois la somme versée, les épargnants n’ont plus de nouvelles de leurs interlocuteurs. En outre, des sites localisés à l’étranger se proposent d’agir comme intermédiaire pour l’ouverture de comptes à l’étranger ou en France, moyennant le paiement préalable de frais. Ce dernier type d’arnaque vise plus particulièrement les personnes interdites d’émettre des chèques.

Afin de lutter contre l’ensemble de ces phénomènes frauduleux, l’ACPR publie régulièrement des alertes et des communiqués de presse à destination du public. Des listes noires d’entités et de sites agissant sans habilitation ont été rendues publiques et sont mises à jour. Bien évidemment, ces listes ne peuvent aucunement être exhaustives. Par ailleurs, des dépôts de plainte ont été effectués par l’ACPR et/ou la Banque de France, notamment dans les cas d’usurpation de leur identité. Des noms de domaines et des sites frauduleux ont également pu être fermés.

Nous continuons à appeler le public à la plus grande vigilance par rapport aux sollicitations faisant miroiter des conditions très avantageuses, tant pour des placements que pour des crédits.

 

Propos recueillis par Vincent Paes et Pascale D'Amore

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