Président d’Amiral Gestion et gérant coordinateur du fonds Sextant autour du monde, François Badelon s’est prêté à l’exercice de l’interview et nous livre son regard sur l’actualité des marchés financiers.

Décideurs. Certains investisseurs évoquent une possible rotation sectorielle en faveur des titres cycliques et « value ». Y croyez-vous ?

François Badelon. Les valeurs growth, les titres value, ce sont des termes qui ne veulent, en réalité, pas dire grand-chose. Ce ne sont pas les valeurs qui sont value mais les investisseurs. C’est une philosophie d’investissement. Les valeurs présentes au sein de nos portefeuilles sont surtout des entreprises en croissance. Pour un investisseur, la plus belle position serait une valeur de croissance pas chère. Tout le monde préfère les valeurs de croissance. Je ne vois pas comment ce marché pourrait faire un transfert des valeurs growth aux titres value, dans la mesure où il ne sait pas ce que cela veut dire. Dans les années 1990 il y avait de vraies rotations sectorielles, avec l’apothéose en 2000. Les valeurs internet au ciel, les métiers « ennuyeux » à la cave.

 

Sur quels types de sociétés vous positionnez-vous ?

On se positionne sur les entreprises dont on peut comprendre le business et dont le prix nous semble attractif par rapport à la valeur que l’on peut estimer. Moins on peut estimer une valeur (secteur biotech), ou plus il faut être optimiste pour justifier un prix, plus il y a de risque.

La Corée du Sud est l’un des marchés les moins chers du monde

 

Pouvez-vous nous citer un exemple de valeur sur laquelle vous êtes investis ?

Nous apprécions notamment Criteo, une société française de reciblage publicitaire sur Internet cotée au Nasdaq. Si le titre s’est fortement apprécié après son IPO, il est cependant revenu à la case départ quelques mois après, alors que la société n’a absolument pas déçu. Bien au contraire, elle a fait mieux que la plupart des anticipations des analystes. Nous croyons beaucoup à son potentiel de rebond.

 

Le fonds Sextant autour du monde tient une position significative sur des entreprises sud-coréennes. Pour quelles raisons ?

La Corée du Sud est tout d’abord l’un des marchés les moins chers du monde. Les sociétés y sont faiblement endettées et réalisent une croissance soutenue. Le pays est également une puissance économique et culturelle de premier plan. Sur le plan culturel c’est l’équivalent des États-Unis en Asie. Une société comme LG Household & Health Care ouvrant dans le secteur des biens de consommation s’illustre depuis dix ans par une croissance tout simplement phénoménale. Son management est par ailleurs de grande qualité. Autre particularité de la société, nous pouvons trouver une action de préférence sans droit de vote décotée de 50 %, et cela sans raison. Pour vous donner un ordre d’idées, en Allemagne ce genre de titre propose une décote de l’ordre de 5 % à 10 %.

Les taux d’intérêt très bas ont pour objectif de financer à moindre coût des États en situation de faillite

 

Malgré leur politique très volontariste, les banques centrales n’ont pas su relancer l’économie réelle. Quel regard portez-vous sur leurs actions ?

J’ai une théorie très différente à ce sujet. Les taux d’intérêt très bas n’ont pas pour objectif de relancer l’économie mais de financer à moindre coût des États en situation de faillite. Les banques centrales ont ainsi inventé une façon moins douloureuse de faire faillite. En principe, les États auraient dû emprunter à des taux bien plus élevés car personne n’aurait voulu leur prêter de l’argent. Ce fut, par exemple, le cas pour l’Allemagne dans les années 1920 ou le Mexique dans les années 1980. Grâce à cela, les États réalisent, chaque année, des économies gigantesques. Et avec des taux désormais négatifs, ils gagnent même de l’argent. Ne nous le cachons pas, ce sont les épargnants qui payent l’addition. À court terme, les États les ponctionnent d’une manière indolore. Mais il n’y a pas de magie, les taux de rendement proposés par les fonds en euros vont bien finir par baisser et tendront très rapidement vers zéro.

 

S’agissant de vos fonds actions, vous avez développé une méthode de gestion atypique puisque chaque gérant s’occupe d’une partie du portefeuille en toute indépendance. Quels sont les avantages d’une telle pratique ?

En préambule, je soulignerai que ce type de gestion n’est possible que si l’équipe est homogène et de grande qualité. Dans le cas contraire, cela ne présente aucun intérêt. Cette organisation nous donne l’occasion d’échanger sur nos projets d’investissement et de confronter nos idées. Une chose que tous les gérants aimeraient faire. Nous partons du postulat que le consensus en matière de gestion d’actifs ne fonctionne pas. C’est pourquoi il est essentiel pour chacun de nos gérants de prendre leurs décisions de manière totalement indépendante. Cette méthodologie est donc une manière pour nous de travailler en équipe tout en évitant le consensus. 

 

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurelien)

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