Présentée comme une avancée « historique » par Gérald Darmanin, la réforme du verrou de Bercy a été votée par l’Assemblée nationale. Si les nouvelles dispositions redessinent indéniablement le dispositif national de lutte contre la fraude, leur efficacité dépendra des budgets alloués au ministère de la Justice.

À défaut d’un grand chambardement, c’est une petite révolution. Malgré les dires du gouvernement, soucieux de soigner ses effets d’annonce, le fameux verrou de Bercy n’a pas sauté. Fermé à double tour depuis sa création il y a près d’un siècle, il est, aujourd’hui, cependant en partie levé. Si certains ont déploré la tiédeur de cette réforme, appelant de leurs vœux la suppression pure et simple de ce monopole du ministère du Budget en matière de poursuites pénales pour les dossiers de fraude fiscale, le consensus politique qu’a suscité la mesure prouve à quel point le sujet transcende les oppositions partisanes. Adopté par 112 voix pour et cinq abstentions en première lecture par les députés, dans le cadre du projet de loi antifraude, le texte prévoit que les cas les plus graves de fraude seront automatiquement transmis au Ministère public.

Spectre de l’affaire Cahuzac

Véritable serpent de mer, la suppression ou, au moins, l’aménagement du verrou de Bercy n’est pas une idée nouvelle, mais elle n’a jamais vraiment remporté l’unanimité. L’éclatement de l’affaire Cahuzac a sûrement agi à la manière d’un catalyseur. En révélant au grand jour que le locataire de Bercy de l’époque disposait de comptes à l’étranger, la presse mettait le doigt sur l’incongruité du système du verrou. En effet, si Jérôme Cahuzac n’avait pas démissionné, lui seul aurait eu à décider de la pertinence d’engager des poursuites contre lui-même. Une situation ubuesque que la réforme votée cette année tend à neutraliser. Du moins pour les gros fraudeurs. Le nouveau dispositif prévoit la transmission automatique au parquet des dossiers dans lesquels la fraude est supérieure ou égale à 100 000 euros. En d’autres termes, Bercy ne sera plus amené à décider d’adresser ou non ces dossiers à la Commission des infractions fiscales (CIF), qui, jusqu’alors, choisissait le cas échéant de saisir la justice.

« Justice à deux vitesses »

Derrière cette évolution procédurale de taille se dresse aussi une bataille idéologique. Le verrou de Bercy, tel qu’il existait depuis des décennies, pouvait laisser planer l’ombre d’un traitement inégal des dossiers. C’est ce que dénonçait Éric Bocquet, sénateur des Hauts-de-France, en séance le 16 mai 2018 : « Cette situation nourrit un sentiment de justice à deux vitesses chez nos concitoyens : les plus puissants semblent bénéficier d’une impunité inacceptable, il n’y a plus d’égalité devant l’impôt. » Et les chiffres avancés par l’élu ne sont pas forcément très rassurants. D’après lui, sur les 50 000 contrôles fiscaux réalisés tous les ans, 12 000 à 15 000 mettent en évidence des fraudes caractérisées ; et, parmi eux, 4 000 dossiers concernent un montant de fraude supérieur à 100 000 euros. Or, peu d’entre eux atterrissaient in fine sur le bureau d’un juge. « En général, sur les 4 000 dossiers de gros fraudeurs, le fisc en transmet entre 900 et 1 000 à la CIF, qui en adresse elle-même 95 % à la justice. En conclusion, moins du quart des gros fraudeurs finissent devant le juge », expliquait le sénateur. De quoi alimenter un sentiment d’impunité envers les fraudeurs les plus importants. 

Surplus de travail

Certains se sont interrogés sur la raison d’être du seuil des 100 000 euros conditionnant la saisine systématique de la justice. Au-delà du symbole politique – cibler les plus gros fraudeurs – l’instauration de cette limite permet de préserver un peu les magistrats du parquet ; ils vont faire face, en effet, à une recrudescence du nombre de cas à examiner. Un renforcement des effectifs, et donc des moyens alloués à la justice, paraît ainsi inévitable. C’est à ce prix que les dossiers pourront être sereinement examinés dans des délais raisonnables. Voilà la condition sine qua non pour que l’aménagement du verrou de Bercy prenne tout son sens, et que s’amenuise l’agacement face au sentiment d’impunité fiscale.  

Sybille Vié

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