Il ne fait rien comme tout le monde, et tout le monde essaie de faire comme lui. Libre-penseur, entrepreneur surdoué, investisseur dilettante… On ne présente plus Xavier Niel, le très médiatique vice-président et directeur de la stratégie d’Iliad.

La notoriété de son nom dissimule une personnalité toujours aussi mystérieuse, entre soif d’avancer et obsession de revanche. Au-delà du dirigeant d’entreprises, le chef de file du numérique français impressionne les observateurs du monde des affaires et fascine jusqu’aux pontes de la politique.

Le père de la box

« C’est l’innovation qui fait Free, pas le low-cost ». Répondant aux critiques visant ses produits étiquetés bas de gamme, Xavier Niel en profite pour rappeler la clef insolente de son succès face aux acteurs établis du marché des télécoms : le rejet des procédés éprouvés et l’aspiration avant-gardiste. Le père de la box est ainsi le premier en France à avoir proposé une offre triple play comprenant Internet, télévision et téléphonie. Avec lui, l’Internet haut débit a envahi le quotidien des Français. Et sa course effrénée vers la démocratisation de la technologie ne s’arrête pas là : le réseau Free wifi, la box avec lecteur Blu-ray intégré, la bombe Free mobile que les opérateurs historiques n’ont toujours pas digéré… Le directeur de la stratégie d’Iliad a tout compris, et écrase la concurrence à grands coups de concepts novateurs. Parti de rien, Xavier Niel est parvenu à créer en dix-sept ans une société valorisée à plus de dix milliards d’euros et à devenir la tête de proue des entrepreneurs tricolores. Comment l’adolescent de Créteil, sans goût pour l’école, est-il parvenu à s’ériger comme une personnalité incontournable de la société française ?

Minitel rose

L’aventure de ce conquérant autodidacte démarre à l’heure du Minitel, dans les années 1980. Xavier Niel, alors étudiant de classe préparatoire scientifique, comprend l’intérêt commercial de ce boîtier révolutionnaire, largement déployé dans les foyers français grâce aux subventions étatiques. Ambitieux, il se laisse happé par la perspective de gains abondants et décide de ne pas finir la prépa pour s’atteler séance tenante à la tâche. Il se plonge alors dans l’informatique et commence à développer des programmes d’appels simultanés ou de discussions pour joueurs connectés. À la même époque, âgé de 20 ans, il réalise son premier coup d’éclat : pirater l’annuaire des valises téléphoniques (ancêtres des téléphones portables) détenues par le gouvernement et le président de la République… Mais il ne s’y trompe pas, c’est avec le minitel rose qu’il fera fortune. Ce choix étonnant au vu de ses capacités répond à une logique implacable : les messageries coquines constituent en effet la première source de revenus du Minitel.

Il achète pour une bouchée de pain la société Pon Éditions et obtient de formidables résultats financiers en exigeant l’impossible auprès de ses collaborateurs. Il revend cette même société pour 800 fois sa mise de départ, quatre ans plus tard. Âgé de 24 ans, il devient millionnaire et associé de la société Fermic, industrialisant par la même occasion ses premiers succès. Avec mille pages Minitel en poche et de nouveaux projets lancés pour détourner l’attention des régulateurs de France Télécom, il poursuit son activité autour de la mise en relation « d’animatrices » et de particuliers. Résultat, il s’enrichit, encore et toujours. Au centre des regards, Xavier Niel s’attire les foudres de ses concurrents qui dénonce le volume de ses activités mais aussi ses méthodes faisant fi des codes de la profession. Après quelques investissements dans des sex shops parisiens et la copie sans autorisation du bottin dans l’optique de briser le monopole de France Télécom, le futur fer de lance de l’économie française se trouve dans une position délicate aux yeux de la justice. Ce sera bien des années plus tard, en 2004 et après l’introduction en Bourse de sa société Iliad (ex Fermic), qu’il est condamné pour recel d’abus de biens sociaux et échappe au chef d’inculpation pour proxénétisme qui le menaçait dans le même dossier.

Education

Pour ce grand prédicateur de la French Tech, de l’eau est passée sous les ponts. Xavier Niel surfe sur la vague du succès avec ses activités de fournisseur d’accès à Internet (il a été le précurseur de cette industrie en France) ainsi qu’à son mariage avec Delphine Arnault, l’une des héritières de l’empire LVMH. Le self-made man fait désormais parler de lui par ses initiatives personnelles pour faire émerger une nouvelle génération d’innovateurs. Fondée en mars 2013 par ses soins, l’école 42 révolutionne l’accès au métier de programmeur informatique en proposant une formation gratuite de qualité sans conditions de diplôme. Plus récemment, en juin 2017, Station F (présenté comme le plus grand incubateur du monde) a ouvert ses portes. Plus de 150 millions d’euros ont été directement investis par ce philanthrope d’un nouveau genre dont la réussite l’encourage à avoir une responsabilité citoyenne pour favoriser le développement de start-up françaises. Le porte-étendard de l’innovation reste la figure de proue de son groupe. Le co-propriétaire du Monde qui tutoie le président Macron et ne tremble devant personne est aussi le façonneur d’une opinion publique, qui lui semble aujourd’hui plus dévouée que jamais.

Fait d’armes : de 2012 à 2017, le nombre d’abonnés de Free Mobile, quatrième opérateur de téléphonie mobile lancé en France, est passé de zéro à 13,7 millions

Curiosité : en prenant le contrôle du Monde, il est parvenu à s’ouvrir la voie vers les cabinets ministériels qui l’accueillent cérémonieusement

Meilleur atout : sa politique tarifaire. De la Freebox à 29,90 euros au forfait à zéro euro pour les abonnés Freemobile, il vend ses produits à des prix imbattables.

Plus grande folie : décider de concevoir et d’assembler la Freebox avec ses équipes en France, dans les années 2000, après une visite infructueuse au cœur de la Silicon Valley

Plus gros flop : prompt à attaquer en justice ses détracteurs, il a été condamné plusieurs fois pour procédures abusives.

Personne de confiance : Rani Assaf, responsable des réseaux de Free, est l’un des rares à dire à Xavier Niel ses quatre vérités. Il est aussi l’un des cofondateurs de la Freebox

Thomas Bastin

Source : La Voie du Pirate, Solveig Godeluck & Emmanuel Paquette, First Document, 317 p.

 

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