Mirova a su résister aux turbulences du marché. Ses encours sous gestion ont en effet triplé au cours des cinq dernières années, grâce aux performances continues de ses stratégies. Une gestion long terme et 100% ISR serait-elle la clé du succès ? Anne-Laurence Roucher, directrice générale déléguée chez Mirova partage avec Décideurs sa vision du marché.

Décideurs. Quelle est la politique suivie par Mirova ?

Anne-Laurence Roucher. La ligne directrice consiste à concilier des problématiques environnementales et sociales avec de la performance financière et de l’innovation. L’ISR est en effet aujourd’hui majoritairement accepté et l’innovation nous permet de répondre à un marché toujours plus exigeant et novateur en termes d’impact. La gestion de nos fonds actions suit une vision long terme. Selon nous, quatre grandes transitions façonnent le monde de demain : la démographie, la technologie, l’environnement et la gouvernance. On constate une forte évolution socio-démographique. La population aspire à vivre et consommer mieux. Elle porte aussi une attention plus forte à la santé et à l’économie des seniors. D’un point de vue environnemental, la transition environnementale est en cours grâce aux énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, mais aussi la gestion du cycle de l’eau et des ressources naturelles. Concernant la notion de gouvernance, on constate un changement de paradigme. Les initiatives privées ont plus de poids que par le passé. Cette tendance est la conséquence de l’endettement croissant des États. A partir de ces thématiques, nous mettons en place une sélection exigeante des valeurs, à l’aide d’une analyse fondamentale poussée des entreprises. Grâce à l’investissement thématique, on obtient des portefeuilles très concentrés, composés d’une cinquantaine de valeurs. Ces portefeuilles de conviction reflètent une vision engagée du développement durable appliqué à une stratégie d’investissement. On s’interdit d’avoir des valeurs notées par nos équipes en « risque » ou en « négatif ». Cette stratégie exclut de facto 20 à 30 % des indices de marché. Notre objectif consiste à ce que 70 à 80 % de nos portefeuilles comportent des valeurs notées comme « positives » ou « engagées », et que le reste soit constitué de valeurs de qualité « neutre ». On entend par neutre des valeurs dont la contribution aux Objectifs de Développement Durable de l’ONU sont limitées ; on trouve un nombre significatif de valeurs « neutres » provenant du secteur de la consommation, des technologies notamment, que l’on conserve dans un souci de diversification de nos opportunités et du risque.

Vers quels produits votre stratégie s’oriente-t-elle ?

Aujourd’hui, nous avons principalement des stratégies d’investissement fondamentales. Des stratégies avec des tracking errors plus faibles que nos gestions habituelles pour des investisseurs ayant besoin d’un budget de risque plus contraint ont été développées depuis 2 ans.

Que vous évoque la notion de capitalisme conscient ?

Au capitalisme conscient, nous répondons « investisseurs patients ». Pour nous, c’est la patience qui prime, car nous identifions des entreprises susceptibles de répondre durablement et sur le long terme aux grandes transitions (sociales, énergétiques…). Notre vision positive nous conduit à ne sélectionner que des entités porteuses de solutions. La notion de capitalisme conscient, autrement dit patient, est mise en œuvre au profit d’une vision du monde de demain, sur le long terme et plus durable.

Cette démarche correspond-elle aux besoins du système retail ?

Afin de pouvoir répondre aux besoins des différents types de clientèle, la société met en cohésion les valeurs avec les placements financiers du client, tout en essayant d’assurer la performance. L’année 2018 a été un très bon cru. En effet, 80 à 90 % de nos fonds performent positivement, autrement dit ils battent les indices de marché. Ce résultat est satisfaisant car l’année a été complexe d’un point de vue de la gestion. Mais notre approche long terme nous conduit à avoir pour objectif de surperformer durablement les indices de marché sur 3 à 5 ans et pas simplement sur une année.

Comment expliquez-vous cette surperformance sur le long terme ?

La gestion d’actifs sélective, ayant une faible rotation, permet d’identifier statistiquement les produits valeurs susceptibles de performer. Lorsque l’année est complètement value, la gestion peut être plus complexe qu’une année favorable aux valeurs de croissance, small ou mid cap sur les actions. Les inefficiences de marché nous sont profitables. Lorsque celui-ci est à court terme, l’approche long terme fait ressortir des points de différenciation pouvant être sous-estimés par les autres acteurs. Autrement dit, le stock picking responsable peut être lié à l’identification des anomalies long terme de marché liées aux enjeux du développement durable. Les investisseurs peuvent accepter des sous-performances dues à des mouvements de marché erratiques s’ils sont convaincus par une ligne directrice.

Quelles évolutions du marché attendez-vous pour 2019 ?

D’un point de vue macro, nous ne sommes que modérément optimistes pour 2019. De manière plus générale, les tendances de fonds ne doivent pas être sous-estimées. Les investisseurs surréagissent à la suite de bruits de marché et ne prêtent pas attention aux tendances de fonds silencieuses.  C’est là où nous créons de la valeur en tant qu’investisseur responsable. Alors qu’il y a quelques années, l’investissement responsable ne concernait que 1 ou 2 % du marché aujourd’hui, les acteurs de référence commencent à intégrer cette dimension, de manière plus ou moins forte. C’est très positif !

Propos recueillis par Yacine Kadri

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