Intentions de vote, 49-3, marche républicaine, programme économique, concurrence à l’UMP et au PS, ambition présidentielle, Europe… la présidente du Front national s’explique.
Décideurs. Le récent recours à l’article 49-3, symbole de l’affaiblissement de la majorité gouvernementale, profite-t-il au Front national ?

Marine Le Pen.
Je ne sais pas. Je n’envisage pas tout en fonction du profit que l’on peut en tirer. Je préférerais que les Français puissent, eux, en bénéficier. Or, aujourd’hui, quoi que l’on en dise, un gouvernement passe en force, parce qu’il n’y a plus de majorité et parce que l’Assemblée n’est pas représentative de la pluralité politique de notre pays et des désirs des Français.
Ce recours n’est par ailleurs que la démonstration supplémentaire de ce que nous savions déjà : la faiblesse et la précarité de la majorité présidentielle. Il faut désormais dissoudre l’Assemblée et revenir devant le peuple. C’est la solution la plus sage et la plus démocratique qui soit. Je voudrais que la classe politique n’ait plus peur du peuple.


Décideurs. Qu’elle n’ait plus peur du peuple… et du Front national ?

M. Le P.
La classe politique n’a absolument pas peur du FN. Elle a simplement peur pour ses places. Souvenons-nous : en 2002, alors qu’il se retirait de la vie politique, Lionel Jospin révélait qu’il n’y avait finalement pas de danger fasciste. Diaboliser l’adversaire et surfer sur la peur de l’arrivée au pouvoir de leur adversaire participe du cinéma et de l’enfumage. L’UMPS n’a pas peur pour la France, mais pour eux. Normal, ils ont tout à perdre.


Décideurs. Les élections départementales revêtent une signification particulière pour vous, notamment s’agissant de ce qui peut être décidé sur le plan des aides sociales. Dans quel état d’esprit êtes-vous à l’approche du scrutin ?

M. Le P.
Les élections départementales sont fondamentales pour nous. D’abord car nous avons conscience, comme j’en ai pris l’engagement en 2011 à mon arrivée à la tête du parti, que l’implantation locale constitue un axe essentiel. Nous sommes le parti qui présente le plus grand nombre de candidats avec 98 % de la population couverte. Il faut désormais accélérer cette implantation locale que nous avons brillamment commencée.

Ensuite, il est vrai que ce scrutin revêt une signification particulière, alors même que le département est remis en cause. Or, au Front national, nous sommes très attachés à lui à travers le triptyque commune-département-nation. Alors que la majorité de la classe politique défend pour sa part communauté d’agglomération-région-Europe.

Enfin, nous sommes très attentifs au volet social que vous évoquez : lutte contre la fraude sociale, meilleure prise en considération des personnes âgées et des handicapés, respect de la laïcité dans le domaine de la petite enfance, etc.


Décideurs. S’agissant de la perception que les Français ont de vous, la récente étude TNS Sofres indique que 35 % des sondés adhèrent au constat que vous exprimez, mais pas à vos propositions. La faute à des propositions inaudibles ou irréalistes ?

M. Le P.
Nous ne cessons d’entreprendre un travail de conviction et de pédagogie autour de nos idées. Encore faut-il bien vouloir l’entendre.


Décideurs. Mais les Français ne comprennent pas vos propositions…

M. Le P.
Encore une fois nous sommes confrontés à une classe unanime sur le sujet, qui sort bêtises sur bêtises, sans être contredite par un journaliste.
Je me souviens de Nicolas Sarkozy en 2012 expliquant que le retour à une monnaie nationale entraînerait la multiplication de la dette nationale par deux ou trois. C’est assez vague ! Et jamais aucune démonstration n’a été formulée.


Décideurs. Outre la direction d’un parti, vous n’avez pas de responsabilité, notamment électorale en France. Vous ne gouvernez pas et vous recevez des subventions. Bref, peu de comptes à rendre. C’est paradoxalement une situation idéale qui vous expose peu.

M. Le P.
J’entends systématiquement cet argument de la part de la classe politique. Comme un reproche. Mais pourquoi nous empêchent-ils alors d’avoir des responsabilités ? Si détenir des responsabilités entraînait la baisse de notre influence, pourquoi le simple fait d’avoir un député de plus suscite alors un branle-bas de combat national avec l’ensemble de la classe politique, médiatique et culturelle ?


Décideurs. Mais ce n’est pourtant pas cette classe que vous dénoncez qui a voté début février dans le Doubs, mais le peuple.

M. Le P.
Comprenez bien, nous ne rêvons que d’une chose : accéder aux responsabilités. Toute notre action est tendue vers l’arrivée au pouvoir. S’il y avait demain de nouvelles élections municipales, je peux vous assurer que la très grande majorité – si ce n’est la totalité – de nos maires serait réélue dès le premier tour. Simplement parce que lorsque nous sommes au pouvoir, nous mettons en œuvre notre programme et nous faisons ce que la classe politique estime qu’il est impossible de réaliser.

Je le répète : mon objectif est d’arriver au pouvoir. Parce que j’ai des idées et des convictions et que je veux briser ce cercle vicieux de l’argumentation qui consiste à dire que l’on ne peut pas arriver au pouvoir parce que l’on n’y est pas.
Ma situation n’est donc pas enviable. Ce qui est souhaitable, au contraire, c’est d’avoir à faire ses preuves à tous les niveaux : cantons, départements, régions…


Décideurs. Si votre but est d’arriver au pouvoir, comment faire alors passer les idées phares de votre parti, celles d’une sortie de l’euro et de la préférence nationale, alors même que 75 % des Français n’en veulent pas et que l’immense majorité d’entre eux s’oppose au retour au franc ?

M. Le P.
On évite toujours de parler des sujets sur lesquels les Français sont ultra-majoritairement en notre faveur : réduction drastique de l’immigration, suppression de la double nationalité, retour des frontières…
S’agissant ensuite de la priorité nationale, je conteste formellement les résultats du sondage [TNS Sofres Le Monde, France Info, C+ de février 2015]. La question est posée de manière fallacieuse et volontairement ambiguë : « Êtes-vous d’accord pour une différence de traitement entre les travailleurs français et les travailleurs étrangers en situation légale » [l’étude pose la question suivante : « En matière d’emploi, pensez-vous qu’il n’y a pas de raison de faire de différence entre une Français et un étranger en situation régulière (75 %) / que l’on doit donner la priorité à Français sur un étranger en situation régulière (22 %) »]. Dans ces conditions, je suis bien sûr d’accord pour qu’il n’y ait pas de différence de traitement.

Sur l’euro, vous avez raison, un certain nombre de Français sont inquiets. Mais avouons qu’il règne une campagne unanime de catastrophisme à l’idée d’un retour aux monnaies nationales. Pourtant, cent cinquante économistes y sont favorables et ne sont jamais interrogés ! C’est de la propagande pure.
Abandonner cette position pour acquérir des soutiens supplémentaires serait démagogique de ma part. Je fais de la politique et je crois à ce que je dis : un redressement économique passe obligatoirement par une monnaie nationale. Et la transformation de la monnaie unique en monnaie nationale constitue toujours l’axe de mon programme. En attentant 2017 et après, à moi de convaincre les Français qu’il est possible de faire autrement !


Décideurs. Comment ?

M. Le P.
Nous avons un allié : les événements. La réalité s’impose toujours. Ce qui se déroule en Grèce et la stratégie de mutualisation opérée par Mario Draghi nous confirment dans l’idée que nous quittons la monnaie unique. Et chaque jour qui passe nous donne raison : un lien indissoluble entre l’euro et l’austérité existe bien.
Dans les milieux économiques auxquels s’adresse votre journal, une réflexion qui avance à grands pas est également menée sur l’euro et le verrou qu’il représente.


Décideurs. Si l’on reste sur un plan communautaire, le millefeuille normatif européen est davantage pointé du doigt.

M. Le P.
L’un n’empêche pas l’autre. Le milieu financier est le seul à avoir intérêt à l’euro qui l’a enrichi et le protège. Je comprends d’ailleurs qu’ils défendent leur intérêt. Le mien est de défendre l’intérêt du peuple, contraire à celui du monde de la finance et des multinationales.


Décideurs. Qui du PS ou de l’UMP est aujourd’hui votre plus grand concurrent ?

M. Le P.
PS et UMP adoptent la même tactique. Jamais ils n’ont combattu le Front national sur le fond du projet. Argument de fond contre argument de fond. Et comme ils n’en ont pas, ils retombent dans les évocations éculées du « fascisme dnas la République »…


Décideurs. Pourtant, le PS tente de s’adjoindre les écologistes pour vous faire barrage. Et l’UMP a, par le passé, essayé d’épouser quelques-unes de vos idées pour annexer une partie de votre électorat. Et cela n’a pas fonctionné.

M. Le P.
Ce que vous dites n’est pas tout à fait exact. La stratégie malhonnête opérée par l’UMP de promettre les mêmes choses que le FN pour s’attirer ses électeurs a bel et bien fonctionné en 2007. Mais, comme il s’agissait simplement d’une tactique, les promesses non tenues ont fait perdre Nicolas Sarkozy en 2012.
Quant à la tactique du PS, elle relève uniquement de la posture morale. Et depuis trente ans, ça ne fonctionne pas.


Décideurs. Vous critiquez ces postures, mais elles ont pourtant réussi : vous n’êtes pas au pouvoir.

M. Le P.
Le projet présidentiel que j’ai présenté en 2012 était vingt fois plus détaillé que les autres. Particulièrement en matière économique, avec notre plan chiffré de désendettement de la France.
À un moment donné, nous allons arriver au pouvoir. Nous sommes parvenus au second tour en 2002. Il est possible que nous soyons enfin au pouvoir en 2017. Le plus tôt sera le mieux.


Décideurs. Vous croyez donc toujours à la figure tutélaire du président de la République ?

M. Le P.
Oui, je crois que la Ve République est bien conçue pour peu que l’on en respecte le fonctionnement et que l’on n’exclut pas de la représentation nationale 50 % des Français. Il faut simplement lui adjoindre quelques éléments, comme un vrai référendum d’initiative populaire.


Décideurs. On a critiqué votre gestion interne et externe de l’après-attentat : marche républicaine, mais aussi querelles intestines avec Florian Philippot, Aymeric Chauprade, Paul-Marie Coûteaux… Que répondez-vous ?

M. Le P.
Personne n’a en revanche critiqué la mauvaise foi totale qui consiste à refuser l’accès à la manifestation au Front national pour après lui reprocher de ne pas y être.
En réalité, nous étions traités différemment dès le départ. Fallait-il que nous forcions les barrages de l’organisation ? Les millions de Français qui ont voté pour moi entendent bien se faire entendre et respecter dans leur pays et ne pas se faire traiter comme des sous-citoyens ou des sous-électeurs. C’est pourquoi nous avons manifesté, mais de notre côté. Et croyez-moi, cela semble avoir été plutôt ressenti positivement si j’en crois les derniers sondages parus en matière de projections présidentielles.


Propos recueillis par Julien Beauhaire


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