Entretien avec Gilberto Pozzi, responsable EMEA des fusions-acquisitions chez Goldman Sachs. 
Décideurs. Peut-on toujours parler de « quatre » décisions qui font ou défont un deal : la sélection des cibles, la sélection des opérations à signer, le moment de l’intégration, la réaction lorsqu’une opération se révèle bancale ?
Gilberto Pozzi. De façon compréhensible, chaque société aborde ses processus d’acquisition de façon différente. Dans certains cas, les banquiers d’affaires interviennent alors que la sélection des cibles a déjà été faite, alors que dans d’autres, la banque est mandatée pour trouver des cibles qui correspondent au profil de l’acquéreur. Dans tous les cas, la détermination du bien-fondé stratégique de l’acquisition est toujours du ressort ultime de la société elle-même, souvent accompagnée à cette occasion par un cabinet de conseil. La banque d’affaires a moins à voir avec l’élaboration de la stratégie qu’avec la bonne exécution de la transaction.
Sur le point de la sélection des opérations à signer et de l’éventuelle réaction à avoir lorsqu’une opération se révèle bancale, il faut avouer qu’un bon nombre des processus dans lesquels nous sommes engagés avec les entreprises n’arrivent pas au bout. Et même lorsque la transaction est annoncée, parfois elle n’arrive pas à son terme comme dans le cas Publicis/Omnicom.

Décideurs. L’acquisition idéale est souvent déterminée par trois critères, le retour de cash, la proximité du cœur d’activité, la sous-performance de la cible. Est-ce aussi des éléments que vous considérez prioritairement ?
G. P. Pour commencer, il faut regarder la partie stratégique. Les acquisitions qui rencontrent le plus de succès sont celles qui sont faites dans des secteurs géographiques et/ou des métiers auxquels l’acheteur n’a pas accès. C’est ce qu’on appelle la scarcity value ou, en d’autres termes, la valeur d’un bien au regard de sa faible disponibilité. La proximité du cœur d’activité de la cible par rapport au business de l’acquéreur est un point essentiel. Dans le passé, beaucoup de transactions ont été conclues sur la base d’une volonté de diversification mais, aujourd’hui, la tendance est inverse. Les sociétés veulent devenir des pure players, et cela se manifeste notamment par la vente des actifs non cœur de cible de celles-ci.

Le retour sur capital investi est le critère financier par excellence. Il est à combiner avec la création de synergies. Par son étude, l’entreprise regarde à quel horizon le rapprochement sera créateur de valeur pour les associés. Précisément, les managers s’intéressent au retour sur l’argent investi mais aussi à l’impact de l’opération sur le résultat net.

En revanche, la sous-performance de la cible n’est pas forcément un bon critère. En général, une société préfère acheter une autre entreprise qui est bien gérée afin de la gérer encore mieux. A contrario, acheter un actif mal géré est plus risqué. Est-il sous-performant car le marché n’est pas bon ? Ou est-ce que c’est le management qui fait défaut ? Le critère de la sous-performance est certainement plus valable pour le private equity, là où les professionnels de l’investissement misent tout sur la performance opérationnelle d’un actif. Ainsi l’entreprise sous-performante est reprise en main et le besoin en fonds de roulement, la stratégie et les dépenses d’investissement sont optimisés afin de revendre l’actif à un prix bien plus élevé que celui auquel il avait été acheté.
Il est vraiment rare que mes clients souhaitent acquérir une entreprise de mauvaise qualité à un prix faible. Ils préfèrent débourser une somme plus importante pour une cible de qualité.

Décideurs. Dans quelle mesure participez-vous à l’élaboration de la thèse d’investissement ?
G. P. Les banquiers d’affaires passent beaucoup de temps à élaborer la thèse d’investissement puisque les investisseurs achètent la thèse d’investissement qui vient en soutien de l’acquisition ou de la fusion. On aide ainsi les sociétés à présenter la transaction de la meilleure façon au marché et cela passe par la mise au point de l’equity story de notre client.

Décideurs. Quelles sont les pratiques les plus courantes en cosmétologie financière ? Comment se parer contre ces artifices en un temps limité ?
G. P. Pour toutes les acquisitions, nous conseillons aux acheteurs de réaliser des due diligences poussées. Encore une fois, si un certain nombre de rapprochements par le passé se sont mal terminés, c’est que l’analyse en profondeur préalable de la cible n’avait pas été correctement menée.

Décideurs. Le temps, meilleur allié ou meilleur ennemi en M&A ?
G. P. Les parties prenantes aux fusions-acquisitions se donnent de plus en plus de temps pour conclure les opérations souhaitées. Les pratiques antitrust, les contrats en cours, les litiges pendants, la fiscalité, tout doit être passé au peigne fin et le temps ne doit pas être un obstacle à la bonne exécution du processus de vérification. Cela va de pair avec les due diligences. Il n’y a pas de deal facile, le temps doit être pris coûte que coûte.

Décideurs. Quelle importance accordez-vous au débat dilution/relution post-acquisition ?
G. P. Pour beaucoup, le deal doit être relutif au terme de la première année ou de la seconde. À l’inverse, lorsque le deal est très dilutif, les raisons poussant à conclure la transaction doivent être très fortes pour justifier de passer outre ce constat.
Il faut remarquer également qu’il y a des secteurs tels que celui des nouvelles technologies où il n’est pas vraiment sensé de parler de dilution ou de relution, car les multiples de valorisation sont souvent déconnectés des performances actuelles des entreprises. En revanche, pour des secteurs valorisés plus raisonnablement, la dilution ou la relution de la transaction sont des facteurs pertinents et importants.
La relution n’est pas forcément un facteur déterminant pour faire un deal mais, une fois que ce dernier est engagé, il est nécessaire de savoir s’il va être relutif ou dilutif.

Propos recueillis par Firmin Sylla.

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