La voiture sans conducteur de Google a causé son premier accident. Si le véhicule se trompe, c’est l’entreprise qui en assume la responsabilité. Du moins c’est ce que Google soutient. Mais qu’en est-il réellement ?

Dimanche 14 février, le premier accident imputable à une Google Car se produit en Californie alors que plusieurs modèles sont en circulation depuis 2009. La voiture a percuté à très faible allure un bus arrivant sur sa gauche alors qu’elle tentait de contourner un obstacle sur sa voie. Mauvais timing. La Google Car aurait conclu que le bus allait la laisser s’introduire dans la file. L’erreur d’interprétation n’a pas été jugée absurde : le conducteur à l’intérieur du véhicule autonome censé reprendre la main en cas de danger aurait eu la même déduction. Personne ne doute des règles du code de la route applicables à cette situation. Pour le droit, c’est une autre paire de manches. La question de l’adaptation de la législation actuelle à une voiture autonome est inévitable. À qui incombe la responsabilité de cet accident ? La législation est-elle adaptée aux nouvelles technologies ? Pour cet accrochage, Google évite la polémique et en assume très tôt la responsabilité. Néanmoins, aucune précision sur le régime juridique n’a été donnée par l’entreprise qui ne souhaite pas communiquer sur cette question en France. Et derrière la responsabilité, c’est le processus d’indemnisation du préjudice d’une éventuelle victime qui est en suspens.

 

Responsabilité civile, deux options

Pour l’avocat Alain Bensoussan, spécialiste de droit des technologies avancées, « le régime sera inévitablement celui de la responsabilité sans faute ». La victime aura plusieurs cordes à son arc. La loi du 5 juillet 1985 dite « Badinter » est le régime applicable aux accidents de la route. Celui-ci prévoit que l’indemnisation doit être mise à la charge soit du conducteur, soit du gardien du véhicule. Or, la loi ne définit par la notion de conducteur. La passivité du conducteur d’une Google Car peut exclure d’office cette qualification. Une présomption de garde pèse néanmoins sur la propriétaire, titulaire de la carte grise. La gymnastique juridique consisterait à exposer si oui ou non la garde a été transférée, et à qui. Par exemple, le constructeur est-il encore le gardien lors de l’accident ?

La responsabilité du fait des produits défectueux prévue par la directive du 25 juillet 1985 pourrait aussi s’appliquer. Sophie Hocquet-Berg, professeur à l’université de Lorraine et avocate, explique à ce sujet : « si des accidents mettant en cause ces voitures autonomes venaient à se produire en France, une action en réparation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux pourrait sans doute être engagée, soit contre le concepteur du logiciel, soit contre le constructeur du véhicule. » Cela impliquerait toutefois l’existence d’un défaut, qui serait alors l’accident lui-même. En réalité, l’erreur d’interprétation du véhicule (et donc de l’algorithme) n’est pas en soit liée à un défaut mais plutôt à un manque d’expérience. Néanmoins, si cette imperfection était assimilée à un défaut, le régime du fait des produits défectueux pourrait s’appliquer et le constructeur du véhicule, Lexus, ou le constructeur du logiciel, Google, serait tenu responsable de l’accident. En revanche, si la défectuosité du produit était irrecevable, ce serait bien le régime des accidents de la circulation qui s’appliquerait et la responsabilité du propriétaire du véhicule serait donc retenue.

Avec ces deux mécanismes de responsabilité sans faute, il est fréquent que, pour des raisons de bonne indemnisation de la victime, un premier responsable soit désigné. À charge ensuite pour ce dernier de se retourner contre le responsable final. La chaîne de responsabilité se déroule : constructeur du modèle de la voiture, concepteur des algorithmes puis celui des capteurs.

 

Responsabilité pénale : la chaise vide

Les objets intelligents n’ont pas de personnalité morale, les sanctionner serait inutile. Mais la responsabilité pénale doit tout de même être examinée, l’éthique et l’ordre public l’exigent. Il est alors essentiel de distinguer deux types d’autonomie : les véhicules destinés à ne pas avoir de conducteur, dépourvus de pédale et de volant, et ceux qui possèdent simplement la faculté de conduire de façon autonome pour décharger le conducteur de sa mission, à l’instar de la Lexus de l’accident de Montain View. Dans le premier cas, il n’est pas possible de renvoyer la responsabilité pénale au propriétaire du véhicule. Dans le second cas, la passivité du conducteur ne sera peut-être pas un obstacle à l’engagement de sa responsabilité pénale. En somme, le mystère reste entier pour ces pots de yaourt dont personne ne peut prédire à ce jour comment se réglerait juridiquement un accident à l’origine d’importantes blessures voire d’un décès.

 

Quitte ou double pour les assurances

L’accident de la Google Car soulève aussi des interrogations en matière d’assurance. Les formules prévues par les polices traditionnelles seront adaptées à ces nouveaux véhicules. Officiellement, l’Association française de l’assurance (AFA) se dit déjà bien armée : « l’encadrement de l’assurance automobile en France est aujourd’hui parfaitement adapté à des véhicules autonomes.» En réalité, une concurrence pourrait s’organiser entre les constructeurs Mercedes, Audi ou Nissan, qui proposeraient un package « véhicule + assurance ». Ce qui porterait un coup fatal au marché des assurances automobiles. En invoquant les probabilités, il est facile de démontrer qu’avec les moyens de transport autonomes, le taux d’accidents corporels diminuera significativement. Or, les dommages corporels correspondent aux dépenses les plus importantes pour les assurances, une petite mine d’or en devenir. In medio stat virtus, la vérité se trouve peut-être au milieu. Ce qui est certain, c’est qu’il sera très difficile pour les assurances de prévoir le niveau de sinistralité pour ce type de véhicule.

 

Un pas vers la commercialisation

Bien que des essais soient organisés, la commercialisation est encore loin. Le Nevada a été le premier État à autoriser les tests des voitures autonomes. La Floride, la Californie, le Michigan et le district de Columbia ont suivi. Un important lobbying de Google a permis des changements de législation. En France, des essais sont organisés sur le territoire depuis les trente-quatre plans pour la nouvelle France industrielle et la loi relative à la transition énergétique. Cependant, la commercialisation semble ici plus problématique puisque la France a ratifié la Convention de Vienne. Cette dernière conditionne l’utilisation des véhicules à la présence d’un conducteur (qui n’exécute pas d’autre activité simultanément). Une modification de la Convention de Vienne est donc à prévoir pour faciliter les expérimentations. Il est probable que l’ensemble des pays emboîtent le pas à la loi du Nevada.

 

La fin du libre arbitre

Les objets connectés n’échapperont pas aux risques de piratage. L’avocat Xavier Marchand, expert de la gestion du risque juridique, précise que : « pour éviter le vol des données, les compagnies d’assurance vont développer la prévention ». En d’autres termes, les entreprises de haute technologie vont faire de leur assureur le gardien de la sécurité de leur data. Mais le plus préoccupant concerne sans doute sa collecte. Pour Alain Bensoussan, le cœur du problème se situe dans la gouvernance des algorithmes puisque « les informations collectés par la Google Car vont permettre de nous influencer dans chacune de nos décisions, du choix d’un film à la direction à prendre pour aller déjeuner dans un restaurant. » Comme sur tous les sites intuitifs, nos goûts et nos choix seront répertoriés afin de nous influencer dans nos prochaines décisions. Un curieux aménagement du libre arbitre.

 

Estelle Mastinu

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