Adoptée par l’Assemblée nationale mercredi 6 avril en dépit de l’opposition du Sénat, la loi relative à la lutte contre le système prostitutionnel pénalise les clients et supprime le délit de racolage passif.

Les prostituées sont-elles des victimes ? À la lecture du texte voté par les députés, la réponse est désormais oui. Outre la suppression du délit de racolage passif institué en 2003 par Nicolas Sarkozy, la loi « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel » sanctionne le client qui encourt une amende de 1 500 euros pour « achat d’acte sexuel » (3 750 en cas de récidive). Des titres de séjours d’au moins six mois pourront par ailleurs être attribués à celles qui décideraient de quitter la « profession » pour s’insérer socialement et professionnellement.

 

« Un critère d’égalité homme/femme »

 

« La France affirme avec force que l'achat d'actes sexuels est une exploitation du corps et une violence faite aux femmes », lançait dans l’hémicycle lors du vote la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol. Marie-George Buffet rappelait au passage que « la prostitution n’est pas le plus vieux métier du monde, c’est la plus vieille domination subie par la femme ». Pour Maud Olivier, la députée PS qui défend le projet depuis près de quatre ans, c’est une victoire : « La non-marchandisation du corps doit devenir un critère d’égalité homme/femme. » Si le sujet n’a pas déplacé les foules, Guy Geoffroy, auteur d’un rapport d’information sur la prostitution en 2011 et l’un des six députés LR à avoir voté pour, affirme néanmoins que cette loi est une « grande avancée, et que presque tous les parlementaires reconnaissent le statut de victimes des personnes qui se prostituent ».

La France devient ainsi le cinquième pays européen derrière la Suède, la Norvège, l’Islande et le Royaume-Uni à pénaliser les clients. Une mesure qui devrait inspirer nos voisins, comme la Belgique ou l’Espagne. C’est en tout cas ce qu’espère Maud Olivier. Quant à la délivrance d’un titre de séjour pour aider celles qui souhaiteraient s'en sortir, l’élue est consciente que des abus sont possibles. « On s’assurera que ces personnes veulent réellement sortir de la prostitution, il ne s’agit pas d’aider les réseaux internationaux à s’installer sur notre territoire. » Les dossiers seront examinés dans le cadre d’une procédure contraignante par une commission mise en place par les conseils départementaux, sous l’autorité du préfet.

 

Un manque de pragmatisme

 

Pétri de bonne intention, le texte poussera-t-il les prostituées vers davantage de clandestinité ? C’est ce que craignent certaines associations telles qu’ Act-up ou Médecins du Monde, opposées à la pénalisation des clients, pour qui la loi forcerait à prendre plus de risques. Mêmes craintes pour le Défenseur des droits, Jacques Toubon, pour qui la pénalisation des clients n’est pas « la solution la plus protectrice pour les personnes qui resteront dans la prostitution » et ne permettra pas de « dissuader les réseaux de traite et de proxénétisme de s’implanter sur les territoires ». Du côté des syndicats de police, on regrette le manque de pragmatisme : « Nous n’irons pas nous cacher dans les bosquets ou les toilettes publiques pour voir s’il y a des commerces charnels. Au début, il y aura peut-être des opérations ciblées pour faire plaisir aux promoteurs de la loi, mais rapidement le texte ne sera appliqué qu’à la marge », estime Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat Synergie-Officiers, interrogé par Le Figaro.

 

La reconnaissance d’une réalité dramatique

 

Au-delà du manque d’efficacité du texte adopté, il y a ceux qui, depuis quatre ans, redoutent une atteinte aux libertés individuelles, notamment celles des hommes : « Nous aimons la liberté, la littérature et l’intimité. Et quand l’État s’occupe de nos fesses, elles sont toutes les trois en danger », peut-on lire dans le « manifeste des 343 salauds » (notamment signé par Éric Zemmour, Nicolas Bedos ou Frédéric Beigbeder) qui avait fait parler de lui lors de sa parution dans le magazine Causeur en 2013. « Nous considérons que chacun a le droit de vendre librement ses charmes et même d’aimer ça. » Aucune référence à l’égard de celles qui sont forcées ou « tombées » dans la prostitution parce qu’elles n’avaient aucune alternative et qui sont aujourd’hui prises au piège d’une spirale infernale. Aucune mention non plus des réseaux dirigés pas des proxénètes sans scrupules ou du cadre sordide qui accompagne généralement cette situation : VIH, drogue, brutalité, situation irrégulière (90 % des prostituées sont sans-papiers), salubrité…  Dans une tribune publiée par Le Monde, l’avocat Jacques Delga plaide pour davantage de droits pour les prostituées, mais n’avons-nous pas le devoir d’espérer bien plus que des droits pour celles qui subissent ces violences jour après jour ? Aussi perfectible soit-elle, cette loi a au moins le mérite du pointer du doigt leur réalité dramatique.

 

 

Détail du scrutin :

Groupe socialiste – pour : 51 / contre : 2

Groupe Les Républicains – pour : 6 / contre : 4

Groupe de l’UDI – pour : 3

Groupe radical, républicain, démocrate et progressiste - contre : 2

Groupe écologiste – pour 1 / contre : 2

Groupe de la gauche démocratique et républicaine – pour 3

 

 

Capucine Coquand

@CapucineCoquand

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