Alors que des mois durant, sondeurs, médias et analystes donnaient Hillary Clinton gagnante, c’est finalement Donald Trump qui l’a emporté. Retour sur les atouts de l’un et les handicaps de l’autre à l’origine de ce coup de théâtre à portée planétaire.

L’élection devait être jouée d’avance. Le candidat républicain partait avec tous les handicaps – la réputation sulfureuse, le style anti-establishment, la vulgarité, la misogynie… –  tandis que la démocrate cumulait les avantages : la légitimité, le parcours, la compétence, le fait d’être une femme… Et pourtant, elle a perdu et il a gagné. Incompréhensible ? Pas tant que cela. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder de plus près les personnalités des deux favoris – Donald Trump le flamboyant, Hillary Clinton la légitime – et de les repositionner dans le contexte de l’élection : celui d’une Amérique exaspérée auprès de qui un discours ouvertement anti-politically correct tel que celui de Trump, loin d’être disqualifiant, devenait un gage d’authenticité et de parler vrai. Même chez les populations qui, en d’autres temps, l’auraient rejeté en bloc parce que directement concernées par sa brutalité, pointe Patrick Charaudeau, spécialiste du langage politique et fondateur du Centre d’analyse du discours.

 

Posture anti-système vs establishment

« Les populations noires, hispaniques et l’électorat féminin n’ont finalement pas voté massivement en faveur d’Hillary Clinton, rappelle-t-il. Ce qui en dit long sur les attentes d’une part importante du public américain dans ce domaine. » Et confirme que beaucoup étaient visiblement prêts à dépasser la posture outrancière, le discours brutal et parfois même les attaques frontales pour ne retenir que les promesses de fond, aussi irréalisables que certaines puissent sembler. « Les gens avaient une attente forte, ils voulaient un leader. Beaucoup étaient en demande d’un cadre, d’une autorité marquée, explique Patrick Charaudeau. Ajoutée à la défiance massive manifestée à l’égard de l’establishment politique, cette attente a joué en faveur du style hors norme de Trump. » Les Américains étaient parvenus à un tel niveau d’exaspération à l’égard d’une classe politique perçue comme les ayant abandonnés que toute personnalité revendiquant sa non-appartenance à cet univers « corrompu et élitiste » partait avec un avantage de départ majeur.

 

« Les gens avaient une attente forte, ils voulaient un leader. Ajoutée à la défiance massive manifestée à l’égard de l’establishment politique, cela a joué en faveur du style hors norme de Trump »

 

« Homme fort » vs « femme de »

Qu’importe si cet avantage s’accompagnait d’« une part importante de fantasme social », l’atout de la différence et du positionnement anti-système  devait clairement jouer en faveur du candidat Trump, lequel s’est également trouvé avantagé par une image d’« homme fort », qui, ajoutée au discours décomplexé et volontariste, a eu pour effet de renforcer l’image du leader apte à mener l’Amérique à la victoire (économique, sociale, géopolitique, qu’importe…). « Le rôle de la personne physique et de son charisme ne doit pas être négligé, confirme Patrick Charaudeau pour qui, dans ce domaine, l’avantage Trump était, une fois encore, incontestable. Le fait que le candidat républicain en impose physiquement, qu’il dégage une forme brute d’énergie et de détermination, tout cela a beaucoup compté en contribuant à rassurer. »

Côté Hillary, à l’inverse, on a trop misé sur ses atouts les plus évidents : être « femme et femme de ». Ce qui n’a pas suffi et l’a même desservie, estime pour sa part l’historien spécialiste des États-Unis et président du Cena (Centre d’études nord-américaines) Romain Huret. « Loin de la crédibiliser, le fait d’être une Clinton s’est avéré un handicap tant la famille polarise l’opinion publique depuis des décennies », juge-t-il. Trop de scandales et d’accusations de malversations, trop d’enrichissement personnel et d’élitisme et finalement, trop de déconnexion par rapport aux réalités du quotidien de millions d’Américains. Le tout encore aggravé par une réputation d’arrogance et de mépris pour les classes moyennes qui ne pouvait qu’alimenter une réaction de rejet.

 

Cohérence vs revirement

À ce handicap de départ de la candidate démocrate s’est ajoutée une erreur stratégique majeure. Celle d’avoir modifié son cœur de cible et par la même, la nature de son message en cours de campagne. « Elle avait axé le début de sa campagne sur les inégalités avant de donner un coup de barre au centre et d’abandonner cette thématique – pourtant au cœur du positionnement démocrate – à Trump pour axer son discours sur la croissance et le libre-échange, rappelle Romain Huret. C’était une terrible erreur. » Avec, à l’arrivée, un double effet négatif pour Hillary Clinton : non seulement cela a permis à son adversaire de s’engager dans un boulevard électoral et d’occuper un terrain qui, historiquement, lui revenait, mais cela a accentué son image de candidate d’une élite.

« Trump, à l’inverse, a parfaitement ciblé son électorat et s’est tenu à cette cible, de même qu’il s’est tenu à une stratégie de transgression, de critique du système et de ses représentants », poursuit Romain Huret. Une cohérence sans faille qui a clairement contribué à rendre son message clair et audible, tandis que celui d’Hillary se trouvait dilué dans les changements de caps. Avec le résultat que l’on sait.

 

Caroline Castets

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