Ex-Premier ministre, président du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et de la Commission des affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, Jean-Pierre Raffarin en appelle non seulement à une refonte de l’Europe et de la démocratie, mais aussi à une nouvelle forme de gouvernance politique : plus tournée vers la « pensée » que l’immédiat. Paroles de sage.

Décideurs. Vous aviez évoqué un « droit d’inventaire » sur la présidence de M. Sarkozy et ses « occasions manquées ». Quelles sont, selon vous, celles du quinquennat Hollande ?

Jean-Pierre Raffarin. L’inventaire me semble effectivement une nécessité. Nicolas Sarkozy aurait connu un retour politique plus facile s’il s’y était livré et avait identifié ses erreurs : exercice solitaire du pouvoir, recentralisation, goût du clivage et insuffisante mobilisation pour les PME. Concernant François Hollande, je dirais qu’il a péché par un manque d’autorité général, une incapacité à gérer sa majorité, le fait de ne pas avoir su faire de l’emploi sa priorité dès le début, un goût pour les faux débats – tel que celui sur la réforme de la Constitution pour la déchéance de nationalité - et l’absence de stratégie franco-allemande.

 

Entre le Brexit et l’élection de Donald Trump, la menace terroriste et les tensions géopolitiques, quel type de gouvernance politique faut-il souhaiter à la France ?

Ce dont la France a besoin c’est d’un homme de paix. Lorsque l’on porte atteinte à la liberté de circulation des marchandises on crée des tensions. Le fait même que nos ventes d’armes se portent bien en atteste : on n’achète pas des Rafale et des sous-marins quand tout va bien. Le risque de voir ces tensions s’aggraver est réel. C’est pourquoi il faut, à la tête du pays, quelqu’un qui soit inspiré par une volonté de dialogue avec tous. Comme l’était le général de Gaulle qui plaçait la politique au-dessus des questions de défense et voyait dans la défense une force de dissuasion, un outil de maintien de la paix.

 

 « Il nous faut réinventer la démocratie qui, on le voit bien, est aujourd’hui incapable de traiter la complexité »

 

On vous dit humaniste. Pensez-vous que l’humanisme puisse devenir un levier de gouvernance politique ?

Bien sûr. L’humanisme pourrait être un authentique vecteur de gouvernance pour la droite et le centre, par exemple sur les questions – fondamentales – de responsabilité. Une société de responsabilité reconnaît les fautes et vertus de chacun et considère que la dignité de la personne est fondée sur le fait qu’elle soit responsable de ses actes. Je vois dans cette approche un vrai levier de gouvernance. Tout comme dans la notion de dépassement de soi ; dans cette conscience qu’il existe en nous quelque chose de plus grand qui, je pense, est la clé de tout. C’est pour cela que les humanistes sont des optimistes : parce qu’ils croient en l’homme, en la capacité d’une génération à trouver des solutions aux problèmes que la précédente n’a pas su résoudre.

 

Une telle vision est-elle compatible avec la politique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui ?

Il est vrai qu’elle reste difficile à appréhender pour un homme politique tant l’immédiat l’emporte toujours sur ce qui est pensé. Or – l’actualité récente l’a démontré – , si l’on ne met pas de pensée dans l’action, survient la tentation de l’autoritarisme et de l’isolement. La dignité du politique ne se situe pas dans le pragmatisme, mais dans la cohérence entre une pensée et une action. C’est cette cohérence qu’il faut atteindre.

 

Certains voient dans le retrait du Royaume-Uni une opportunité, qu’y voyez-vous?

Un sujet d’inquiétude, la preuve que l’Europe ne sait pas faire partager ses projets. Je suis convaincu que bon nombre de pays, s’ils devaient aujourd’hui s’exprimer sur la question, voteraient comme les Anglais. On a construit l’Europe en construisant la paix, si on déconstruit l’Europe va-t-on déconstruire la paix ? Le modèle européen des années 1950 est un échec. Il nous faut le réinventer. Tout comme il nous faut réinventer la démocratie qui, on le voit bien, est aujourd’hui incapable de traiter la complexité ; c’est pourquoi les régimes autoritaires sont en train de gagner du terrain. La période actuelle requiert donc une très grande imagination politique.

 

Vous connaissez très bien la Chine, pensez-vous que la France soit appelée à en devenir un partenaire privilégié ?

Historiquement nos deux cultures ont toujours été proches. À nous d’être cohérents et de ne pas nous limiter à être un partenaire culturel en montrant à la Chine que nous sommes fiables, aussi bien sur l’industrie et le tourisme que sur la culture. C’est d’ailleurs les fondements de l’accord qu’il y a bientôt cinquante-trois ans le général de Gaulle a passé avec Mao Zedong pour que la France soit le premier pays à reconnaître la République ouverte de Chine. À nous de capitaliser sur cette Histoire.

 

Propos recueillis par Caroline Castets

@CaroCastets1 

 

 

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