La réforme des retraites est fondamentalement juste. Mais le gouvernement se heurte de plein fouet à une opinion publique qui ne croit plus en sa classe politique.

Oui, la réforme des retraites, officiellement présentée par le premier ministre Édouard Philippe le mercredi 11 décembre est une réforme de justice sociale. Principaux gagnants : les femmes travaillant à temps partiel, les mères de famille, les agriculteurs et les salariés au Smic qui seront assurés de toucher une retraite de 1 000 euros net. Certes, les bénéficiaires de régimes spéciaux devraient perdre leurs privilèges. Mais ici encore, ce n’est que justice.

Par rapport au projet initial prévu par le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, le gouvernement a « lâché du lest » : élargissement du compte pénibilité au secteur public, règle d’or pour s’assurer que la valeur du point ne puisse pas baisser… Pourtant les mouvements sociaux se poursuivent et les Français continuent globalement à se montrer sceptiques. Pour les anti-réforme, c’est tout simplement parce que le projet est injuste. Pour les pro-réforme, c’est le classique « manque de pédagogie » qui est en cause. La réalité est hélas plus préoccupante.

La chose est cruelle pour le gouvernement, mais la parole publique est désormais discréditée. L’idée même de réforme effraie et braque automatiquement une large partie de la population qui n’est plus habituée à voir un pouvoir exécutif tenir ses promesses. Les « coupables » sont multiples. Nicolas Sarkozy porté au pouvoir en martelant qu’il règlera les problèmes d’immigration et d’insécurité, mais qui réduit les effectifs de police et fait entrer sur le territoire un nombre record d’immigrés. Ou François Hollande qui se fait élire en déclarant que « l’ennemi est la finance » et qu’il sera capable « d’inverser la courbe du chômage ». Puis qui fait voter la loi El Khomri et ne résorbe pas le chômage de masse, bien au contraire. Conséquence, lorsque l’actuel gouvernement promet la « justice sociale », on cherche l’entourloupe.

Autre point préoccupant : sur ces derniers mois, le gouvernement a travaillé dans l’ombre en écoutant les syndicats et les Français lors de nombreux ateliers participatifs. Mais trop peu de ministres ou d’intellectuels ont pris la parole pour expliquer en quoi la réforme était non pas ultra- libérale mais profondément social-démocrate. Certains syndicats vindicatifs ont peut-être eu un trop large accès à la parole par rapport à des personnalités plus pondérées. En somme, prime est donnée à celui qui vocifère le plus fort, que se montre le plus vindicatif, le plus apte à radicaliser la base… Et tant pis pour l’intérêt général.

La colère de Laurent Berger est avant tout une posture

Une situation telle qu’elle a en grande partie incité Laurent Berger à se repositionner en appelant à continuer la grève estimant qu’avec l’instauration progressive d’un âge d’équilibre à 64 ans, le premier ministre avait « franchi la ligne rouge ». Par chance pour la réforme, il est probable que ce coup de gueule soit avant tout une posture. Car en réalité Laurent Berger va plus que plus que probablement continuer à négocier tout se dévêtant de l’image de syndicaliste docile. Ce qui devrait lui permettre d’obtenir des concessions que plusieurs poids lourds de la majorité sont disposés à accorder. Dans une interview à Ouest France, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a notamment déclaré qu’il y aurait « des marges de négociation sur plusieurs aspects de la réforme comme sur la pénibilité ». Le montant des bonus et des malus est n’est pas déterminé. Tout est ouvert et un syndicaliste bon négociateur peut obtenir beaucoup. Laurent Berger étant le seul à négocier de manière constructive avec le gouvernement, il sortira très probablement gagnant de la séquence : salué par ses adhérents, les grévistes, la population et le gouvernement. Un coup de maître…

Lucas Jakubowicz,

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