La large victoire des Conservateurs aux élections du 12 décembre et la majorité absolue obtenue à la Chambre des communes devaient lui ouvrir un boulevard pour, enfin, get Brexit done. Et pourtant… Après le casse-tête de l’accord de sortie, voici que se profile pour Boris Johnson celui des accords commerciaux. Explications.

Il y a encore quelques semaines, Boris Johnson n’aurait pu rêver scénario plus favorable pour commencer l’année. Lui qui, depuis des mois, se débattait contre l’opposition du Parlement britannique, qui se heurtait au rejet systématique de ses propositions et voyait le Brexit s’enliser dans l’impasse, parvenait le 12 décembre à sortir gagnant des élections législatives anticipées qui pouvaient lui coûter son poste de Premier ministre et enterrer définitivement le Brexit. Heureusement pour le tonitruant locataire du 10 Downing Street, c’est tout l’inverse qui s’est produit. Non seulement son parti arrivait en tête du scrutin, mais la victoire remportée était suffisamment large – avec 365 sièges sur les 650 à la Chambre des communes – pour lui garantir une majorité absolue au Parlement et, de ce fait, lui donner enfin les moyens de mettre en œuvre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne d’ici au 31 janvier. Cerise sur le Christmas pudding, son adversaire le plus acharné, Jeremy Corbyn, annonçait après sa cuisante défaite son intention de démissionner de son poste de leader du parti travailliste. De quoi dégager un peu plus encore l’horizon de Boris Johnson et lui faire aborder l’année nouvelle sous les meilleurs auspices. 

Statu quo apparent

On en serait volontiers resté là, mais ce serait compter sans les dossiers qui devraient encore encombrer quelques mois l’agenda du gouvernement. À commencer par la négociation des accords commerciaux qui décideront des relations futures du Royaume-Uni avec les pays membres de l’Union. Et, sur ce point, alerte Elvire Fabry, chercheuse senior responsable de la politique commerciale et spécialiste du Royaume-Uni à l’Institut Jacques Delors, tout reste à faire. « Avec ces élections, on pensait que le plus gros était fait pour le gouvernement de Boris Johnson mais, en réalité, on n’en est qu’au début », indique-t-elle en rappelant que, la majorité absolue obtenue par le Premier ministre lui permet désormais de faire passer son accord de sortie à la Chambre des communes. Celui-ci débouchera à compter du 31 janvier sur une période de ­transition au cours de laquelle, hormis sur le plan politique, la relation demeurera inchangée. « La période de transition va durer jusqu’à fin 2020 et, durant celle-ci, le Royaume-Uni bénéficie des mêmes accords commerciaux que les autres pays membres, il fait toujours partie du marché unique et de l’union douanière, il continue à payer sa contribution au budget et à bénéficier des crédits de l’Union européenne, simplement, il n’aura plus de députés britanniques qui siégeront au Parlement européen, et donc il ne prendra plus part à la décision politique. » Objectif de cette période de statu quo apparent : aboutir à la clarification des relations futures entre Royaume-Uni et Europe. Une étape cruciale dans la mise en œuvre du Brexit qui, explique Elvire Fabry, dépendra essentiellement de la position que choisira d’adopter Boris Johnson.

La tentation de la divergence

Pour elle, deux scénarios sont possibles. « Soit le Premier ministre britannique opte pour une sortie avec alignement sur les règles commerciales de l’Union, soit il entreprend de diverger de ces règles. » « L’Europe devant garantir des termes de concurrence équitables, il est clair qu’elle ne laissera pas s’installer à ses portes un concurrent qui, en choisissant de s’émanciper de ses réglementations, mènerait à du dumping social, environnemental, etc. » Or, on sait que la tentation est forte, chez Boris Johnson, de miser sur une déréglementation dans le secteur financier et sur une baisse des taxes dans le but de compenser la perte du passeport financier permettant au Royaume-Uni d’avoir accès au marché européen. D’où, conclut la chercheuse, un nouveau bras de fer en perspective… « Le choix pour Boris Johnson va se porter entre un alignement sur les réglementations européennes qui limiterait le coût du Brexit pour son pays, explique-t-elle, et une divergence plus radicale vis-à-vis des réglementations européennes qui lui permettrait de compenser la perte d’un accès préférentiel au marché européen par la signature d’un accord plus large avec les États-Unis. » Un scénario pour lequel le président Trump n’a pas caché sa préférence…

Et toujours, la menace du no deal

« La position de Donald Trump est très offensive : il veut conclure une alliance commerciale avec le Royaume-Uni contre l’Union européenne, poursuit Elvire Fabry. Et il fera tout pour amener Boris Johnson à s’y rallier. » Avec le risque, pour ce dernier, de se voir imposer des accords essentiellement favorables aux intérêts américains. Et, après avoir axé la campagne pour la sortie de l’Europe sur une volonté de « take back control » (reprendre le contrôle), de voir cette sortie aboutir à un alignement forcé sur les intérêts américains.

Dans ces négociations, aucun doute que la menace du no deal devrait à nouveau faire office de moyen de pression. « C’est avec cette menace que Boris Johnson a obtenu des parlementaires britanniques qu’ils votent son accord de sortie au 31 janvier, rappelle Elvire Fabre. Et c’est encore avec elle qu’il va chercher à faire pression sur Bruxelles pour obtenir ce qu’il veut en termes d’accords commerciaux. » Le tout dans un contexte national qui s’annonce, cette année encore, tendu, l’Écosse, hostile à la sortie de l’Europe, ayant d’ores et déjà demandé l’organisation d’un nouveau référendum sur son indépendance. Requête à laquelle Boris Johnson s’est, sans surprise, opposé mais qui pourrait déboucher sur une crise politique et sociale dure si, au cours des prochains mois, il privilégie un rapprochement commercial avec les États-Unis à une préservation des relations commerciales avec l’Union… De quoi laisser présager une nouvelle zone de turbulences politiques avant que celui-ci ne parvienne, comme il s’y est engagé, à get Brexit done.

Caroline Castets

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