Une victoire en vert et contre tous ? Ce serait trop simple. Allons plus loin et scrutons les rapport de force à la loupe, Tâchons de prendre jumelles et hauteur.

"Bon courage aux commentateurs" : tel était le commentaire d'Édouard Philippe, réélu avec près de 59% des voix. En effet, le paysage politique accélère sa recomposition comme son morcellement, façon puzzle. La plupart des représentants politiques ont claironné être les gagnants d’un scrutin incertain. Dans ce brouillard électoral, teinté de vert, le mot de René Char vient au secours "nous sommes dans l’inconcevable avec des repères éblouissants".

Et ce qui a tristement ébloui tout le monde au risque de l’aveuglement, c’est le chiffre de l’abstention. 60 % des électeurs ne se sont pas déplacés : le pire chiffre pour une élection sous la Vème République. Défiance, désastre ou fatigue démocratique, chaque journaliste y allait de son analyse apocalyptique, aussi voudrait-on convoquer Pythagore non pour son théorème mais pour son antienne : "dans le doute, abstiens toi".

Car la vacance de l’isoloir mérite aussi d’être étudiée à l’aune d’éléments plus pragmatiques. La peur pandémique invoquée avec raison pendant plusieurs mois, a certainement pesé sur la mobilisation, notamment chez les seniors habituellement les plus présents électoralement. Par ailleurs, a-t-on oublié que cette même pandémie a presque éclipsé la possibilité de mener campagne pour le second tour ? Enfin, rappellons que la participation à ce-dit second tour est traditionnellement moins importante qu’au premier du fait d’un vote concernant des grandes villes où la mobilisation est plus faible. A ces trois facteurs, s'ajoute sans déni une désaffection constatée élection après élection. 

De l’air pour LR

Puisqu’il est question de chiffres, et qu’il faut désigner des vainqueurs, scrutons le scrutin localement. En 2014, la droite avait tout raflé ou presque et notamment 50 villes de plus de 30 000 habitants, elle avait donc, mathématiquement, tout à perdre. La défaite à la présidentielle et la déroute des européennes n’incitaient pas, dirons-nous pudiquement, à l’optimisme béat. Et pourtant force est de constater qu’il faut se rallier au rappel énoncé par Jean-François Copé et Bruno Retailleau sur les différents plateaux : LR a gagné.

60 à 65% des villes de plus de 9 000 habitants sont désormais dirigées par des maires issus de la droite républicaine

Demain, 60 à 65 % des villes de plus de 9000 habitants seront dirigées par des maires issus de la droite républicaine. "Prime au sortant", militantisme local encore très présent, reprise en main de la ligne politique par Christian Jacob… Ce dernier a donc beau jeu de marteler la force de frappe qu’incarne "la droite des territoires" et que seules les pertes (certes très symboliques) de Bordeaux, Marseille et Perpignan viennent ternir. Nationalement, cette victoire est un triomphe girondin pour un parti historiquement jacobin.

EELV : le parti des grandes villes

Y avait-il à ce propos, une seule raison qui aurait pu ternir le sourire arboré dimanche soir par Yannick Jadot ? Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Tours, Poitiers, Besançon, Annecy…La liste des conquêtes a de quoi faire tourner les têtes. 10 ans après sa naissance EELV (qui prenait en 2010 la suite du parti  les Verts après 26 ans d’existence), réussit une implantation spectaculaire et incontestable dans les grandes métropoles. Sur les plateaux de télévision, il était presque touchant de voir le secrétaire général du PCF Fabien Roussel ou la députée socialiste Valérie Rabault rappeler vaille que vaille que les batailles furent le plus souvent remportées par des listes d’union de la gauche. Mais peut on oublier que le PS, il n’y a pas si longtemps, se caractérisait par son hégémonie dans les alliances ?

Il est aussi important de rappeler que EELV a opéré un choix tactique structurant, en ne se présentant essentiellement que dans les villes de plus de 30 000 habitants, là même où le parti avait réussi ses meilleurs scores aux européennes de l’an passé. Délaissant le champ de la ruralité ou des villes moyennes, il est intéressant de constater qu’EELV ne triomphe, option peut-être plus clinquante, pratiquement que dans les grandes municipalités.

PS : défaite-repli par érosion et par alliance 

Le PS, incontestablement a perdu, "acceptant" bien souvent de s’effacer au profit d’une tête de liste écologiste. A côté, les derniers barons tels Stéphane Le Foll au Mans ou François Rebsamen à Dijon, ont bénéficié eux aussi de la prime au sortant. D'autres baronnies  telles que Nantes, Rennes, Lille (à 200 voix près), Villeurbanne, ou Bourges sont restés dans l’escarcelle. Quant à Paris, ville capitale, elle voit Anne Hidalgo l’emporter haut la main. Malgré tout, certains responsables socialistes commencent à craindre pour leurs lendemains…A moins que le Parti socialiste poursuive son réalisme et son effacement, et ne se résolve à ne pas présenter de candidat en 2022, comme semble le permettre Olivier Faure à France Info, le 3 juin : "Pour gagner l'élection présidentielle future, il faut un candidat unique pour l'ensemble de la gauche et des écologistes". "Il faudra choisir celui ou celle qui peut nous rassembler sur un projet que nous aurons défini ensemble et qui sera en mesure de nous emmener à la victoire". 

Le PS pourrait renoncer à présenter un candidat en 2022. Olivier Faure lui-même balise le terrain

Questionné sur les candidats potentiels, Olivier Faure s'est amusé : "J'en vois plein, mais je ne veux pas les dénoncer !" Mais Jean-Luc Mélenchon n'en fait pas partie". De quoi renforcer une option Jadot ?

RN : des lendemains qui déchantent 

C’est d’ailleurs faute de victoire aujourd’hui que le Rassemblement National a convoqué lui aussi les lendemains. "Le premier message, ce soir (...) c'est que ce front dit 'républicain' est tombé à Perpignan, et demain, il pourrait tomber ailleurs." Le nouveau maire de Perpignan, Louis Alliot, a du se faire créatif quant il tente de tirer les enseignements de sa victoire. Et les représentants RN conviés hier soir se sont empressés de célébrer ce miroir déformant qui reflète pourtant mal des résultats souvent dérisoires. Déjà parce qu’il convient de noter que le nouvel édile a tenu à être élu sur une liste "sans étiquette". Après les exemples Robert Ménard ou Jacques Bompard, décidemment l’extrême droite éprouve régulièrement quelques difficultés à assumer et conserver ses figures sous ses couleurs.

Ensuite parce que l’implantation municipale, réussie en 2014, marque incontestablement un coup d’arrêt. Les Hauts-de-France, affichés comme terre de conquête, n’ont offert aucune prise de guerre conséquente, mis à part Bruay-les-Buissière, ville de 20 000 habitants conquise par le député Ludovic Pajot.. Pis, lorsque dans les jours qui viennent, le ministère de l’Intérieur communiquera la couleur politique de l’entièreté des élus municipaux, le parti de Marine Le Pen, ne pourra plus claironner ce titre, abusif, de premier parti de France que le résultat aux européennes lui permettait rhétoriquement. La victoire symbolique de Perpignan ne dissimule pas l'échec global.

La France Insoumise : défaite par forfait

Comme Marine Le Pen, Jean Luc Mélenchon a du convoquer la rhétorique pour trouver un moyen fallacieux de manier le clairon, en proclamant "Nous étions dans le deuxième tour dans 200 villes du pays et c’est un résultat que nous trouvons appréciable. (…)  C’est pourquoi maintenant, nous pouvons nous dire content de nous voir dans des coalitions qui ont gagné ce soir". Hum. L’Hexagone avec ses 34 968 communes a donc pu compter sur la présence de 200 listes où figuraient des insoumis. Même si, pour reprendre les mots du leader de LFI, le parti a géré cette campagne "de manière modeste et sans fanfaronnade", demeure le fait que cette présence, symbolique, avait tout d’une absence forcée. Défaite par forfait, pour un tribun qui veut un rôle national et présidentiel.

LREM : un parti d’appoint pour cette première municipale

Pour sa première participation, La République en Marche a connu une avancée limitée pendant cette élection. Elle ne profite que peu du renouvellement local qu’induisent les municipales. Certes, le "pari" de Stanislas Guérini sera sans doute réussi et LREM pourra donc compter sur les 10 000 élus prévus, autant d'options pour peser aux sénatoriales ou dans les lointaines municipales 2026.

Mais la majorité n’aura pas su peser pleinement. Elle s'est résolue à prendre la peu enviable place de parti d’appoint en lieu et place de parti pivot. Certes, les victoires ciblées des ministres candidats, comme Franck Riester, Gérard Darmanin ou celle, large du Premier ministre, montre qu'il n'y a pas de vote-sanction. Reste qu’Emmanuel Macron a eu raison de faire savoir voici quelques jours qu’il allait "enjamber" le scrutin municipal. Au niveau national, le casse-tête reste entier, mais Edouard Philippe sort renforcé et légitimité, et "en même temps", Emmanuel Macron se voit mandaté pour verdir sa politique.

Leçons présidentielles 

L’histoire politique récente démontre le découplage entre résultats locaux et nationaux : les trois personnalités présidentiables fortes que sont Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont aussi celles dont les partis sortent les moins représentés aux municipales.

Autre preuve du découplage, les Français en donnent la preuve dans le sondage publié par Ipsos hier soir :  "En cas de remaniement, 27% des personnes interrogées appellent à une politique "plus à gauche", 22% à une politique "plus à droite", mais 51% préfèreraient qu'on garde le cap. Le "ni plus à droite, ni plus à gauche" est majoritaire" explique Brice Teinturier à la tête du pôle opinion de l'institut..

Le dépassement des clivages voulu par le chef de l’État semble prendre corps dans l’opinion. Mais les résultats d’hier posent tout de même questions. A gauche tout d’abord : les Verts, enfin aux manettes, vont-ils faire de municipalités conquises des laboratoires et convaincre la France d’entrer tout entière dans le local à vélo ? La sociologie métropolitaine dont ils bénéficient est-elle duplicable dans la France plus rurale ? Si la réponse est non, la présidentielle leur est-elle interdite ?

Le Parti socialiste va-t-il se résoudre à ne pas présenter de candidat en 2022, comme semble l’assurer Olivier Faure ? Les militants EELV réussiront-ils à s’entendre sur un candidat unique, alors que la concurrence Jadot / Piolle est exarcerbée? Par le passé les Verts ont toujours démontré par le passé une propension à se diviser...

En cas de remaniement, les Français plébiscitent toujours l'option "ni gauche ni droite"

Et la droite républicaine, qui sait aussi se tirer des balles dans le pied, arrivera-t-elle à départager ses présidentiables ? Comment va-t-elle faire pour trancher alors qu'elle a gardé un gout amer de ses premières primaires, et que deux potentielles figures, Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, ne sont même plus encartées ?

Certaines réponses se dessineront dans les deux prochaines semaines, d'autres attendront. Emmanuel Macron a anticipé, et compte dégainer sans laisser respirer les oppositions : Ségur, intervention devant la Convention Citoyenne, remaniement… Ses futurs positionnements viseront à surplomber et affaiblir ceux qui apparaissent ce soir dans le camp des gagnants. la sagesse biblique de l’apôtre Matthieu disait "Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers les derniers, car il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus…". Reste, on l’a dit, qu’il ne faudrait pas attendre de l’enseignement d’un scrutin municipal qu’il soit nationalement parole d’évangile…

Sébastien Petitot et Pierre Etienne Lorenceau

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