Sujet brûlant après presque de deux ans de crise sanitaire, l’impact de la pandémie sur le mode de fonctionnement de la justice et des professions juridiques est considérable. Lors du dernier Sommet du Droit, des experts du contentieux sont revenus sur leurs expériences durant cette période inédite et sur les conséquences qu’elle pourrait avoir sur le traitement des litiges à venir.

"Mieux vaut prévenir que guérir" : le dicton s’applique aussi au droit des affaires. Si la survenance d’un litige semble inévitable au cours de la vie d’une entreprise, la gestion du risque juridique doit être au cœur de sa stratégie de prévention des contentieux. Comme le rappelle Éric Amar, le directeur juridique de Bolloré Transport & Logistics, "bien que la crainte d’un contentieux pénal soit la plus aiguë, il y a d’autres risques qu’on ne peut pas ignorer dans la réflexion juridique". Il cite notamment ceux qu’impliquent la compliance, le devoir de vigilance, la RSE et l’image de la société.  

"Anticiper toutes les situations"

Par exemple, pour qu’une opération M&A se déroule bien, l’humain est essentiel. De fait, la divergence de visions due à la différence de taille des entreprises impliquées dans la fusion-acquisition peut être un facteur de risque. La communication entre elles en amont de la transaction est donc primordiale. Venue bouleverser les opérations en cours ou en phase de négociation, "la crise sanitaire a tout de même déclenché un certain élan de solidarité entre les partenaires, relève Sebastián Partida, juriste senior chez Bouygues Construction qui vient de rejoindre HP. On a constaté plus de compréhension et moins d’agressivité dans les relations conflictuelles." Elle a également obligé juristes et avocats à changer leur façon de rédiger certaines clauses dans les contrats. "On traite les situations de crise comme les assureurs maintenant : on joue sur l’exclusion avec des clauses d’imprévision et de force majeure", affirme Benjamin Dornic, directeur juridique du Louvre Hôtel Group. Sur ce point, Franck Rohard, secrétaire général d’Europcar Mobility Group ajoute : "La survenance d’une crise sanitaire majeure n’est plus imprévisible, ce qui nous oblige à adopter une nouvelle vision de l’imprévision et une nouvelle stratégie en amont de la fusion-acquisition. Les clauses générales sont désormais à bannir, le but étant d’anticiper toutes les situations."

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Arnaud Pavec, Éric Amar, Benjamin Dornic, Christophe Ayela et Franck Rohard lors du Sommet du Droit.

L’épidémie a également eu un impact direct sur le traitement des litiges qui sont survenus ou qui étaient en cours de gestion durant cette période. Au début de la crise, l’avocate associée chez Fierville Ziadé, Marie-Aude Ziadé, a constaté une augmentation du nombre de situations litigieuses car "les créanciers ont voulu sécuriser leurs créances et des procédures collectives ont été déclenchées. Nous avons donc eu beaucoup de tirages des garanties bancaires à première demande, de saisies conservatoires, de mises sous mandat ad hoc et de résiliations de contrat pour force majeure." La majorité des tribunaux étant à l’arrêt, les modes alternatifs de règlement des différends ont été remis sur le devant de la scène pendant la crise. Le recours à ce type de procédure reste cependant affaire de circonstances, tout en sachant que la jurisprudence et les voies de recours sont deux avantages que présentent uniquement les juridictions nationales.

"La crise sanitaire a tout de même déclenché un certain élan de solidarité entre les partenaires"

Quant aux procédures d’arbitrage, elles ne se sont pas démultipliées pendant la crise car, comme le rappelle Joséphine Deege-Mansour, directrice juridique de Soitec, "les litiges qui se sont déclenchés durant la crise ne concernaient pas des contrats récents. Pour voir si le recours à l’arbitrage est plus fréquent, il faudra plutôt s’intéresser à la potentielle augmentation du nombre de clauses compromissoires dans les contrats futurs." Il faut également garder à l’esprit qu’en France, les industries de tête des secteurs de l’énergie ou de la construction sont assez traditionnelles, elles ne sont donc pas familières de l’arbitrage et y sont même parfois réticentes. Pourtant, l’arbitrage, tout comme la médiation, offre une marge de manœuvre que n’offre pas le contentieux : par exemple, on peut choisir l’arbitre ou le médiateur qui gérera le conflit. D’un autre côté, on a assisté à une renaissance du compromis d’arbitrage pendant la crise. Avec une majeure partie des tribunaux à l’arrêt et leurs clients dans l’attente d’une décision, les avocats leur ont conseillé de sortir leur litige de la procédure judiciaire afin d’obtenir un verdict plus rapidement. "Le temps judiciaire est long et le temps des affaires plus soutenu, explique François Lhospitalier, vice-président de l’Association française des juristes d’entreprise, certaines parties ont donc préféré trouver des accords que passer devant les tribunaux." Encore plus rapides, les procédures accélérées ont, elles, rencontré un grand succès. Assez récentes, elles restent très efficaces pour les affaires impliquant un petit montant en litige.

Dématérialiser pour mieux administrer

La crise ayant obligé les parties, les arbitres et les juges à repenser des principes jusque là bien définis, les mesures de confinement et d’interdiction de voyage appliquées partout dans le monde ont, elles, ravivé la question de la dématérialisation de la justice. Procédure déjà très numérisée, l’arbitrage international a tout de même dû passer le cap des audiences dématérialisées. Cela a été rendu possible grâce à l’établissement de "cyber-protocole" : des accords trouvés avec les parties afin de mettre en place des plateformes permettant de réaliser les audiences virtuellement.

Les mesures de confinement et d’interdiction de voyage appliquées partout dans le monde ont ravivé la question de la dématérialisation de la justice

Ayant expérimenté ce type de procédure digitale, Marie-Aude Ziadé témoigne : "Ça a été un vrai travail de mise en place, mais ça a marché. Le body language des témoins reste perceptible car la caméra est braquée sur eux. Le nombre de personnes présentes sur la plateforme étant limité, on ne se retrouvait avec moins d’avocats du côté de chaque partie alors qu’ils sont parfois trop nombreux dans une audience traditionnelle. C’est un pas en avant pour la bonne administration de la justice." La virtualisation de l’arbitrage présente en effet des avantages indéniables : un gain de temps mais surtout d’argent pour une procédure d’ordinaire assez coûteuse. Concernant la médiation, certaines ont été réalisées en 100 % numérique durant la pandémie. Malgré la réticence de quelques professionnels, un travail technique fastidieux des informaticiens a permis de mener à bien les échanges comme dans le cas d’une comédiation au Japon à laquelle l’associée du cabinet Fierville Ziadé a également pris part. La dématérialisation de plusieurs modes alternatifs de règlement des litiges ayant fait ses preuves, reste la question de celle du juge judiciaire. Celle-ci a déjà été entamée au civil pour les litiges de moins de 5 000 euros avec la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019 ainsi qu’avec le projet Portalis du ministère de la Justice. Ayant pour ambition de permettre au justiciable de saisir les juridictions en ligne sur le portail tout d’abord, ce dernier devrait à terme offrir la signature électronique des décisions de justice et leur archivage numérique dès 2022. Malgré tout, cette virtualisation semble encore difficilement acceptable au pénal où le recours à la visioconférence est pourtant possible dans des cas spécifiques depuis décembre 2020.  

Léna Fernandes

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