Malgré le ralentissement économique lié à la crise sanitaire, le volume et la valeur des cessions d’entreprises sont restés à niveau soutenu. Dans le cadre de la cession d’entreprise, la technique de l’apport-cession est une solution fréquemment recommandée par les conseils au chef d’entreprise. Or, en dehors des problématiques connues des conditions du maintien du report d’imposition et des réinvestissements éligibles, le sort de la trésorerie inutilisée reste flou.

Rappel du dispositif de l’apport-cession

L’apport-cession consiste à apporter tout ou partie des titres à une société contrôlée (holding) par le chef d’entreprise avant leur cession. En application de l’article 150-0 b ter du Code général des impôts, la plus-value constatée lors de l’apport des titres bénéficie d’un report d’imposition, c’est-à-dire qu’elle est définitivement calculée au moment de l’apport, mais sera imposée en cas de survenance d’un événement ultérieur tel que la cession, l’annulation ou le rachat des titres de la holding ou en cas de cession par la holding des titres apportés dans les trois ans suivant l’apport.

L’attrait fiscal de l’apport-cession

- Apport-cession "anticipé" : si l’apport a été fait en amont de l’augmentation de valeur des titres, alors la plus-value correspondant à la différence entre le prix de cession et la valeur d’apport bénéficiera, par hypothèse, de la fiscalité favorable des titres de participation conduisant à une imposition à un taux effectif d’environ 3%. Exemple : un chef d’entreprise apporte les titres d’une société qu’il a créée(valeur d’acquisition de 0) pour une valeur de 100 en année N. La holding revend les titres en N+4 pour une valeur de 250 . La plus-value d’apport en N de 100 bénéficie du report d’ imposition tandis que la plus-value réalisée par la holding d’un montant de 150 sera imposée à environ 3%.

- Apport-cession "in extremis" : dans les cas les plus courants, l’apport est effectué dans un délai proche de celui de la cession des titres de l’entreprise. Dans cette situation, la holding ne s’acquitte d’aucune imposition sur la plus-value puisque le prix de cession correspondra à la valeur d’apport. En reprenant l’exemple ci-devant, l’apport est réalisé sur la base d’une valeur de 250 et la holding cédera les titres pour un prix identique. Aucune plus-value ne sera constatée et la plus-value en report d’imposition sera alors de 250 au lieu de 100 dans le cas précédent.

Le piège de l’apport-cession : la distribution limitée des liquidités

Appréhension en direct des liquidités limitée à la seule plus-value : dans le schéma d’apport-cession, le prix de cession correspondant aux titres apportés est appréhendé par la holding. Il existe alors une dichotomie entre le résultat, c’est-à-dire la plus-value, et les liquidités : seul le résultat peut comptablement et juridiquement faire l’objet d’une distribution. La holding ne pourra alors jamais distribuer la partie des liquidités excédant la plus-value réalisée qui correspond en pratique à la valeur d’apport. Dans les exemples précédents, la holding dispose à chaque fois de 250 de liquidités, mais n’a réalisé qu’un résultat de 150 dans le premier cas et aucun résultat dans le second. Une réduction de capital au niveau de la holding permettrait de récupérer les liquidités, mais remettra en cause le report d’ imposition à due proportion. En apparence, le retrait des liquidités constitue donc un fait générateur d’imposition et limite l’intérêt du schéma d’apport-cession dans la situation où ces liquidités seraient inutilisées.

Un schéma inadapté à une utilisation privative

Les liquidités excédentaires détenues par la holding pourront être utilisées pour effectuer des investissements patrimoniaux (immobiliers, placements financiers…), mais ces acquisitions devront être faites dans l’intérêt de cette holding soumise à l’impôt sur les sociétés. Si les immeubles acquis par la holding ont vocation à être utilisés ou occupés à des fins personnelles (résidence secondaire par exemple), une compensation sous forme de loyer devra être versée à la holding sous peine de commettre un acte anormal de gestion. À l’inverse, dans le cas d’un investissement immobilier, la fiscalité lors de la cession de l’immeuble est moins avantageuse dans le cadre d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés que le régime applicable aux particuliers. En effet, s’il est possible d’amortir le bien pendant la durée de détention, toute la plus-value est imposable à taux plein de l’impôt sur les sociétés et le prix de cession sera à son tour encapsulé dans la holding. Il faudra alors procéder à une distribution de dividendes imposables pour appréhender en direct le prix de vente.

Pistes de réflexion

Face à ces problématiques, le conseil devra être en mesure de trouver des solutions permettant d’utiliser les liquidités issues de l’apport-cession sans remettre en cause le bénéfice du report d’imposition. Le co-investissement en démembrement de propriété fait partie des solutions à envisager. En effet, la holding pourrait, à l’aide de ses liquidités, acquérir l’usufruit d’un actif patrimonial tandis que le chef d’entreprise se porterait acquéreur de la nue-propriété. L’actif reviendrait en pleine propriété dans le patrimoine du chef d’entreprise au terme du démembrement permettant ainsi un transfert indirect et en franchise d’impôt des liquidités de la holding. Le montant de la trésorerie utilisée par la holding dans cette solution dépendra de la durée du démembrement et de la méthode d’évaluation de cet usufruit. Ainsi, un usufruit long (supérieur à 20 ans) combiné à une valorisation "économique" permetta d'augmenter significativement l’investissement de la holding. La réflexion pourrait également porter sur le choix du régime juridique et fiscal de la holding d’apport-cession. L’utilisation d’une société civile ou la transformation en une société soumise à l'impôt sur le revenu permettraient une utilisation plus libre des liquidités piégées dans cette holding. 

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