La crise sanitaire suscite un nouvel afflux de dossiers. En effet, les professionnels de santé et leurs assureurs font à présent face à des demandes indemnitaires en lien avec des retards de traitements de pathologies hors Covid, des traitements du Covid ou des contaminations par le Covid à l’occasion d’une hospitalisation.

DÉCIDEURS. Contraints de retarder, voire d’interrompre des traitements de patients, les établissements de soins commencent à voir affluer les dossiers de demandes d’indemnisation. Sommes-nous face à un nouveau risque pour les établissements et leurs assureurs ?

Catherine Tamburini-Bonnefoy.  

Dès sa création, en janvier 2021 et donc au cœur de la pandémie, notre cabinet a été sollicité par nos clients assureurs d’établissements de soins pour envisager l’impact potentiel de la crise sanitaire en matière de responsabilité médicale. Nous avons rapidement établi avec eux une chronologie intégrant les moyens de protection (masques, gants, blouses), de dépistage, de traitement (respirateurs) disponibles, et les protocoles édictés par les autorités sanitaires, afin d’analyser, pour chaque demande, la conformité de la prise en charge au regard des moyens disponibles et de la réglementation en vigueur au moment des faits.

Nous avons d’abord constaté de fréquentes interruptions de traitements ou reports de soins en lien avec le confinement, la crainte suscitée par la fréquentation des établissements et professionnels de santé, l’indisponibilité de certains services ou professionnels mobilisés pour prendre en charge les patients Covid. C’est le cas notamment des pathologies cancéreuses, des interventions chirurgicales et des maladies chroniques pour lesquelles d’importants retards de traitement ont été déplorés. Il s’agit alors de déterminer si l’établissement ou le professionnel de santé a respecté son obligation de moyens, nécessairement impactée par les circonstances, et si les contraintes induites par la crise sanitaire sont constitutives d’un cas de force majeure exonératoire de responsabilité. Nous avons également reçu des dossiers de patients Covid reprochant aux professionnels de santé une prise en charge non conforme de leur pathologie. Ces prises en charge doivent être strictement analysées en fonction de l’état des moyens et des connaissances disponibles au moment des faits. Lors des pics épidémiques, les équipes ont été submergées et ont dû travailler avec des moyens matériels et humains exceptionnels et faire preuve d’une remarquable adaptation. Les critiques ont pu porter notamment sur des soins d’urgence tels que des intubations.

"Il s’agit alors de déterminer si l’établissement ou le professionnel de santé a respecté son obligation de moyens, nécessairement impactée par les circonstances"

Le cabinet a enfin été missionné pour des dossiers de suspicion de contamination de patients lors de leur prise en charge hospitalière. La date des faits est alors particulièrement déterminante et les experts missionnés doivent retracer les dates et résultats des tests de dépistage du patient, de son entourage lorsque les visites étaient autorisées, et des soignants. Les demandeurs à l’indemnisation se heurtent dans ces dossiers à une difficulté probatoire puisqu’il est extrêmement difficile de retracer la chaîne de contamination. Lorsque l’établissement est en mesure de prouver avoir respecté ses obligations en matière de lutte contre les contaminations, les conséquences financières de la contamination par le Covid, en cas de décès du patient ou de séquelles graves, pourront être mises à la charge de l’Oniam au titre de l’indemnisation des infections nosocomiales.

La vaccination obligatoire pour les personnels soignants permettra-t-elle de minimiser le risque pour les établissements ?

Avec la vaccination obligatoire et le maintien des gestes barrières, les établissements disposent d’un moyen de preuve supplémentaire susceptible de les exonérer de leur responsabilité. Il ne s’agira jamais d’une preuve absolue mais d’un faisceau d’indices favorable. 

"Avec la vaccination obligatoire et le maintien des gestes barrières, les établissements disposent d’un moyen de preuve supplémentaire susceptible de les exonérer de leur responsabilité"

Les premières décisions ont-elles été rendues ? Aucune décision judiciaire définitive n’a encore été rendue dans nos dossiers. Les premiers rapports d’expertise médicale nous parviennent seulement. Un exemple récent illustre parfaitement les problématiques médico-légales induites par ces dossiers Covid et mérite d’être reproduit : 

"Monsieur S est décédé d’une infection virale à SARS-CoV-2, appelée Covid-19, avec atteinte pulmonaire diffuse, responsable d’une détresse respiratoire avec un état de choc. Un état inflammatoire biologique majeur et persistant était associé à ce tableau clinique. L’origine de la contamination est impossible à déterminer. Celle-ci a pu être communautaire sur la période d’incubation présumée (entre le 23 février 2020 et le 7 mars 2020). Celle-ci a pu être nosocomiale et survenir lors d’une des trois consultations de suivi au Centre Hospitalier (les 25 février en diététique, 3 mars et 6 mars 2020 en ophtalmologie). Les experts n’ont pas identifié de manquement aux règles de l’art, tant au niveau des mesures d’hygiène hospitalière et de la prévention de l’infection à SARS-CoV-2 que de la prise en charge de l’infection Covid-19.

Monsieur S présentait plusieurs facteurs de risques d’évolution défavorable ou de décès (état antérieur) : une obésité morbide, un âge >70 ans, une pathologie pulmonaire chronique (BPCO), des antécédents cardiovasculaires (HTA, cardiopathie ischémique). Il n’a pas pu bénéficier de l’administration de corticoïdes car leur prescription n’était pas recommandée à l’époque de sa prise en charge."

Parmi vos 600 dossiers de contentieux actifs, combien sont liés au Covid ?

Parmi nos dossiers récemment ouverts, environ 15 % sont des dossiers Covid et ce chiffre est en augmentation. Enfin, quels sont les grands enjeux pour vos clients assureurs ? Nous sommes très attentifs à ce qui se passe sur le terrain de l’assurance : le coût du Covid sera-t-il plus cher pour les assureurs en France que dans d’autres pays européens ? Un fond d’indemnisation sera-t-il mis en place si la situation devient intenable pour les établissements et les assureurs ? Un impact financier du Covid trop important pourrait contraindre les assureurs à répercuter une partie du coût sur les futures primes de leurs assurés. Les établissements de santé seraient alors doublement pénalisés par la prise en charge de la pandémie. 

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