Trois associées de l’équipe spécialisée en contentieux et arbitrage du cabinet Winston & Strawn reviennent sur les tendances de leur activité, sur leurs dossiers majeurs, ainsi que sur l’installation de la médiation dans la culture du droit des affaires.

Décideurs. Quelles tendances avez-vous observées ces derniers mois ?

Sara Susnjar. Dans le cadre des deux derniers arbitrages internationaux dont j’avais la charge avec Gilles Bigot, une pratique s’est particulièrement développée au sein des parties adverses : celle du third party funding. Du fait de ce phénomène, de nombreux clients potentiels nous contactent pour que nous explorions cette option de third party funder. Ainsi, je pense que cette pratique n’est pas amenée à disparaître dans les prochaines années, et bien que les clients n’optent pas pour cette option, ils voudront a minima l’explorer.

Nous observons également deux autres tendances. La première étant le déroulement des audiences par visioconférence. Les audiences en arbitrage international, lorsque cela est possible, sont traditionnellement en présentiel. En effet, l’advocacy, ou la plaidoirie, est mieux servie lors d’une audience physique. Or, durant la première année de la crise sanitaire, nous avons eu de nombreuses audiences en visioconférence et, malgré l’efficacité de ce procédé, le présentiel reste plus pertinent pour les parties. Enfin, la seconde tendance est le revival des dossiers. En effet, de nombreux dossiers ont été à l’arrêt pendant la crise sanitaire et reprennent leur cours aujourd’hui, notamment en arbitrage commercial. Il y a donc une vraie tendance de revival des dossiers.

"Une pratique s’est particulièrement développée au sein des parties adverses : celle du third party funding"

Anne-Carine Ropars-Furet. Avec l’arrivée de notre associé Nicola Di Giovanni il y a deux ans au sein du cabinet, l’activité corporate, LBO et private equity a littéralement explosé, portée de surcroît par un contexte économique particulièrement favorable aux investissements ces dix-huit derniers mois.  Nos clients ont énormément investi et cela a donc induit par voie de conséquence des précontentieux et contentieux corporate (conflit entre associés, révocations de dirigeant, exclusions) pré- et post-acquisition (mise en œuvre de GAP, de promesses de vente).

Quels sont les dossiers emblématiques dont vous vous êtes occupés cette année ?

Anne-Carine Ropars-Furet. L’un des dossiers emblématiques qui ont été plaidés cette année est un dossier que nous suivons pour un investisseur européen (parmi de nombreux autres) contre Vivendi, concernant la gestion du groupe entre 2000 et 2002 et les informations financières qui ont été données par celui-ci sur les marchés boursiers susceptibles d’influencer ce dernier. Vivendi avait d’ailleurs été sanctionné pour ces mêmes agissements par l’AMF et sa décision a été confirmée jusque devant la cour d’appel. Lorsque les investisseurs ont voulu se retourner contre Vivendi, nombre se sont d’abord tournés vers les États-Unis et les juridictions américaines ont lourdement condamné Vivendi. En revanche, les investisseurs européens ont été renvoyés à mieux se pourvoir devant les juridictions françaises. Les enjeux financiers étaient colossaux, se chiffrant, pour l’ensemble des parties, en milliards d’euros. La décision qui a été rendue par le tribunal de commerce de Paris est défavorable aux investisseurs. Le tribunal de commerce a-t-il craint de condamner Vivendi à de tels montants alors que les faits remontent à plus de vingt ans ? Quoi qu’il en soit, c’est un mauvais signal pour les investisseurs sur les marchés boursiers français, car malgré une sanction de l’AMF, malgré des sanctions par des juridictions étrangères pour les mêmes faits, en France les investisseurs n’auront pas réussi, à ce stade, à se voir indemniser de leur préjudice. Ce sera désormais à la cour d’appel de trancher la question…

Avez-vous remarqué une augmentation du recours aux Mard ?

Anne-Carine Ropars-Furet. Avec Mathilde, nous avons effectué un travail de fond pour que des clauses de médiation soient prévues dans les actes d’acquisition. Cela permet de mettre en œuvre les modes amiables bien plus facilement dans les conflits post-acquisition, lorsqu’il s’agira notamment de mettre en œuvre la garantie d’actif et de passif ou de demande de complément de prix. Lorsqu’une telle clause est présente dans le contrat, le préalable de médiation rend irrecevable toute action judiciaire, tant qu’il n’est pas purgé. Comme dans 80 % des cas, la médiation conventionnelle connaît une issue favorable, c’est une bonne façon de solder un différend post-acquisition : délais (entre trois et neuf mois) et coûts maîtrisés, solution gagnante/gagnante.

Mathilde Lefranc-Barthe. Nous pouvons avoir recours à un mode amiable si rien n’est prévu contractuellement, mais ces clauses sont un outil précieux qui permet un réel essor de la pratique, de la même façon qu’il y a une vingtaine d’années, l’arbitrage international avait commencé à se développer considérablement grâce aux clauses compromissoires stipulées dans les contrats.

Anne-Carine Ropars-Furet. Dans ce type de dossiers, les modes amiables ont un véritable intérêt parce que l’enjeu, ce sont les actifs de la société. Par exemple, pour l’acquéreur, l’enjeu peut être de ne pas avoir à payer le complément de prix. Une forme de monnaie d’échange entre complément de prix et garantie d’actif et de passif se fait dans ces négociations. À un certain moment, l’acquéreur et le cédant ont tourné la page de l’acquisition et préfèrent que la procédure soit rapide et ne dure pas des années : cela n’a aucun intérêt d’engager des frais d’avocats conséquents et de faire perdurer une procédure judiciaire quand les deux parties sont prêtes à regarder vers l’avenir. Avec Mathilde, nous avons fait plusieurs médiations dans ce cadre parce que nous proposons toujours les modes amiables très en amont du différend. Nous obtenons de très bons résultats en mettant les parties autour d’une table avec un médiateur.

Mathilde Lefranc-Barthe. Une dimension liée à la célérité est évidente, mais l’intensité, voire la brutalité des techniques contentieuses joue aussi. En effet, celles-ci vont jusqu’à des expertises de gestion, du pénal, des expertises sur la détermination du prix, des séquestres de parts, etc. Ces procédures sont agressives et les parties n’en maîtrisent pas l’issue. Au-delà de la volonté d’en finir rapidement, les modes amiables permettent aux parties de garder le contrôle jusqu’à la fin sur leur conflit et sa résolution.

"Nous obtenons de très bons résultats en mettant les parties autour d’une table avec un médiateur."

Anne-Carine Ropars-Furet. Les fonds d’investissement ne souhaitent souvent pas s’engager dans des procédures longues et coûteuses parce que leur intérêt principal est tourné vers le business. Ils nous font donc intervenir en amont du litige : le fonds détermine une société cible dans laquelle il existe un contentieux d’associés qui pourrait amener à une situation de blocage et ralentir le process de la possible acquisition. Nous gérons ces problématiques en amont : en fonction de la situation, nous utilisons nos outils coercitifs et amiables et choisissons le bon dispositif pour permettre, le plus rapidement possible, à l’acquéreur d’acheter une société purgée du conflit entre associés.

La médiation emporte peu à peu tous les dossiers. Nos clients commencent à en entendre parler avant même que nous leur en parlions. Je n’ai pas encore l’impression qu’ils soient nécessairement en demande de la médiation, mais les convaincre d’utiliser ce procédé est plus simple qu’avant. Cela s’explique par le fait que ce mode alternatif prend de l’ampleur donc les clients y ont soit déjà eu recours ou connaissent quelqu’un qui a été en médiation et en a vanté les mérites. La médiation est en train de s’installer dans la culture du droit des affaires.

Mathilde Lefranc-Barthe. Je ne pense pas que cet engouement pour la médiation soit lié à la crise. Nos clients sont des acteurs de la santé et des fonds qui investissent massivement dans la santé notamment. Ils n’ont pas été frappés et sanctionnés par la crise économique liée à la crise sanitaire. J’ai l’impression que c’est plutôt un effet d’aubaine et que nous arrivons à maturité : nos clients sont prêts à se lancer dans ce mode de résolutions des conflits. Il y a une forte augmentation du volume de dossiers qui sont transigés.

Sur quelles thématiques de droit pénal des affaires votre cabinet est-il spécialisé ? Quelles sont les tendances actuelles dans ce domaine ?

Mathilde Lefranc-Barthe. Notre pratique du droit pénal se calque sur l’activité de nos clients. Nous intervenons donc dans le cadre de poursuites pénales ou assimilées en matière de droit des sociétés et boursier, y compris devant les autorités administratives (AMF, DGCCRF). Je pratique aussi beaucoup le droit pénal dans le secteur ultra réglementé de la formation professionnelle, pour la défense des intérêts de financeurs de la formation victimes de fraudes. Parallèlement, notre forte clientèle dans le secteur de la santé et sciences de la vie de façon générale nous conduit à intervenir en droit pénal, y compris en amont pour prévenir un risque pénal, dans ces domaines également. Cette année nous avons ainsi assisté un importateur de masques FFP2 dans ses rapports avec les autorités sanitaires françaises, à propos du respect d’obligations de nature réglementaires mais susceptibles de dégénérer vers une responsabilité pénale.

Anne-Carine Ropars-Furet. Nous faisons ainsi du pénal quand, lors de conflits entre associés, sont découverts des infractions de banqueroute et des abus de bien sociaux. Ils sont la continuité des dossiers que nous suivons au départ pour un conflit entre associés ou une révocation de dirigeant qui se révèlent finalement avoir des aspects pénaux lorsque l’on se penche de façon plus approfondie sur la situation économique et financière de la société.

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