François Grandvoinnet est devenu président d’Edmond de Rothschild Real Estate Investment Management (ex- Cleaveland) France en octobre 2019. Ces premiers mois à la tête de la société de gestion immobilière ont notamment été marqués par la période de confinement et de nombreuses incertitudes économiques liées à l’épidémie de Covid-19. Il dresse un premier bilan de cette période et nous dévoile ses convictions d’investissement.

Décideurs. Quel bilan faites-vous de vos premiers mois au sein du groupe, marqués notamment par la crise du Covid-19 ?

François Grandvoinnet. Nous avons dû gérer une crise épidémique qui a pris tout le monde de court. Durant cette période, nous avons rapidement pris conscience que l’image de marque de notre maison était un atout. Elle a rassuré nos clients. Le confinement et les incertitudes économiques ont toutefois poussé certains d’entre eux à adopter une position d’attente pour leurs investissements immobiliers. Nos équipes ont en parallèle dû gérer les difficultés de certains locataires à honorer leurs loyers, l’interruption des chantiers et les problèmes relatifs à l’obtention des financements bancaires, rendue plus compliqués avec le retard des opérations. S’il y a un impact certain de la crise sur le marché de l’immobilier, je pense cependant que ce secteur se montrera plus résilient que d’autres.

Les grandes marques se sont-elles montrées plus réticentes à payer leurs loyers ?

Tous nos locataires œuvrant dans le commerce, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité, ont souhaité bénéficier d’un report de loyer. À court terme, il me paraît nécessaire d’aider les commerçants les plus durement touchés par la crise. Si les grandes enseignes du secteur du luxe disposent d’une trésorerie plus importante, elles nécessitent aussi un accompagnement personnalisé. Leur activité est principalement générée par une clientèle étrangère. Or, tant que les touristes ne reviendront pas en France, les marques de luxe continueront à souffrir. Je n’opposerai donc pas les petites et les grandes enseignes. Personne n’est épargné.

"À court terme, nous devons prendre le moins de risques locatifs possibles"

Cette crise vous pousse-t-elle à adapter votre stratégie d’investissement ?

Notre cap stratégique évolue en fonction de l’environnement économique. Les actifs immobiliers sont par nature très dépendants des locataires. À court terme, nous devons prendre le moins de risques locatifs possibles et adapter nos investissements en fonction du profil des locataires. Les hôteliers et les commerces sont très affectés, bien plus que les bureaux, les actifs immobiliers logistiques ou les logements. Dans l’hôtellerie, un retour à la normale n’est pas prévu avant trois ans. Cette situation nous pousse évidemment à aménager notre stratégie.

Qu’en est-il des commerces ?

Le développement du double canal de vente, en boutique et en ligne, est inexorable. Aujourd’hui les ventes en ligne ne sont cependant pas rentables. Lorsque les clients se font livrer leurs colis, on estime qu’un tiers des marchandises est renvoyé à l’entrepôt. Cela a un coût pour l’entreprise. Seul Amazon a trouvé un équilibre économique, grâce à la collecte de données. Les commerces vont donc devoir adapter leur modèle et favoriser le retrait des commandes en magasins. Le but étant que les clients, collectant leurs achats en boutique, soient incités à consommer davantage. Les enseignes pourraient aussi être amenées à réduire le nombre de leurs magasins et, en parallèle, à agrandir leurs espaces de ventes. Les magasins devront mieux organiser les flux et créer des espaces dédiés au retour de marchandise. Plus généralement, il me paraît difficile d’imaginer une disparition des commerces physiques. Au cours des prochaines années, nous arriverons à un point d’équilibre. Le digital représentera entre 25 % et 35 % de nos achats. Une tendance qui aura nécessairement un impact sur le prix et les loyers.

La crise a également accéléré la pratique du télétravail. Quelles sont les conséquences à attendre pour le marché des bureaux ?

Passé l’effet de mode, les entreprises et les salariés se sont vite aperçus que les liens sociaux s’étiolaient avec le télétravail. Son développement se fera donc de manière raisonnable, entre 1 et 2 jours par semaine, en fonction des secteurs activités. Nous pourrions anticiper une demande en recul de 20 % pour les surfaces de bureaux. Les entreprises sont toutefois confrontées à un dilemme. Faut-il optimiser la superficie de leurs locaux ou anticiper une croissance future impliquant de possibles recrutements et un besoin en surface plus important ? Nous pensons que les entreprises réduiront de 10 % leur surface et que les 10 % restant seront mis en « respiration ». L’impact sera plus important pour les entreprises disposant de très grandes surfaces – au moins 5000 m2 – comme celles situées dans le quartier de La Défense par exemple.

"Aujourd’hui les ventes en ligne ne sont pas rentables" 

Comment va évoluer le marché de l’immobilier au cours des prochaines années ?

On ne se rend pas encore compte de la profondeur de la crise. Le pays est encore sous la perfusion des mesures de chômage partiel. Celles-ci vont tout doucement s’estomper. Le secteur immobilier sera en partie préservé. L’immobilier étant un produit rare, difficilement reproductible et renouvelable, il assure le maintien de l’activité. L’immobilier est aussi un placement à rendement récurrent et à faible volatilité. Les banques centrales vont par ailleurs maintenir des taux extrêmement bas. C’est une vraie autoroute pour la classe d’actifs. Enfin, tous les acteurs, qu’ils soient privés, institutionnels ou particuliers, continueront à avoir besoin d’immobilier. Pour toutes ces raisons, même s’il y a un risque de bulle sur tous les marchés, je pense que l’immobilier sera un peu plus épargné.

Quelles sont vos pistes pour créer de la valeur ajoutée ?

Il y a deux catégories de clients, ceux qui ne veulent pas prendre de risque et ceux qui en prennent. Pour la première catégorie, les bureaux sont la classe d’actifs à privilégier. Je serais plus mesuré sur les logements situés en France où le locataire est fortement protégé par la loi, ce qui rend les rendements plus faibles. Il est en effet difficile d’augmenter les loyers et la loi, qui a instauré un délai de préavis d’un mois au lieu de trois, a augmenté le turnover de 5 à 10 % selon la localisation.

Pour les investisseurs souhaitant prendre plus de risques, les bureaux et les biens immobiliers logistiques peuvent constituer de bonnes opportunités.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien) et Emilie Zana

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