À l’occasion du Sommet du droit en entreprise organisé le 26 janvier dernier dans un format digital, de nombreux thèmes de l’actualité juridique ont été approfondis, dont un que l’on ne présente plus, mais qui continue de susciter l’intérêt des professionnels du droit et d’alimenter les débats : celui de la compliance. Et des sujets qui y sont liés, comme la loi Sapin 2, les contrôles de la commission des sanctions ou encore la justice négociée… La lutte contre la corruption en France a le vent en poupe.

Retrouvez en vidéo les conférences du Sommet du droit en entreprise autour de la compliance :

Un début de jurisprudence avec les deux premières décisions de la Commission des sanctions de l’AFA ?

Les tentations d’un "forum shopping" pour "se dénoncer" devant les juridictions les plus clémentes 

Les leçons de l’affaire Airbus, coopération PNF, SFO, DOJ, un modèle de CJIP ?

Être “compliance centric” ou comment mieux lutter contre la corruption en France. Tels étaient les points développés à de nombreuses reprises par les intervenants des panels consacrés à la compliance lors du Sommet du droit en entreprise. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2, les directeurs juridiques ont en effet dû apprivoiser un nouvel arsenal juridique. Raison pour laquelle a été abordé lors de la première table ronde le sujet de la jurisprudence française en matière de compliance en se référant aux deux premières décisions de la commission des sanctions de l’Agence française anticorruption (AFA). Le sujet de la deuxième table-ronde portait sur le phénomène du "forum shopping" et de son impact sur la compétitivité des entreprises. Les débats relatifs à la compliance se sont ensuite clos sur la justice négociée, dans le cadre de la troisième table-ronde.

Les prémices d’une jurisprudence compliance

Depuis sa création en 2016 par l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2 du 9 décembre de la même année, la commission des sanctions de l’Agence française anticorruption (AFA) détient un arsenal de mesures mentionnées dans l’article 17 du texte : injonction de se mettre en conformité aux obligations légales dans un délai maximal de trois ans, amende d’un montant maximal de 200 000 euros pour les personnes physiques et d’un million d’euros pour les personnes morales, publication, diffusion et affichage, en tout ou partie, de la décision prononçant une injonction ou une amende, aux frais de la personne physique ou morale sanctionnée. Pour l’heure, seules deux décisions ont été rendues par cette commission. La première, prononcée à l’encontre de Sonepar le 10 juillet dernier, n’avait donné lieu à aucune sanction. Épinglée pour cinq manquements à la loi Sapin 2, l’entreprise aura finalement été épargnée par la Commission qui avait estimé que les manquements reprochés par l'AFA au moment de son contrôle n’étaient plus constitués à la date de l'audience. La deuxième décision concernait quant à elle le président d’Imerys, lequel s’est vu condamner à deux injonctions : celle de mentionner, dans son code d’éthique, l’obligation d’élaborer un code de conduite résultant de l’article 17 de la loi Sapin 2 ; et celle de transmettre à la commission des sanctions toute preuve que l’entreprise a complètement achevé la mise en conformité de ses procédures de contrôle comptable.

"La compliance est un animal vivant"

Bien qu’il n’y ait pas encore eu de sanction pécuniaire, le monde du droit se réjouit de voir se dessiner les contours d’une jurisprudence française de la compliance. "Ces premières décisions nous donnent davantage de perspectives sur la façon dont l’AFA procède à ses contrôles, explique Bachir Hani Bacha, directeur du forensic services chez PWC. L’absence de sanction ne signifie pas qu’une insécurité juridique demeure, mais confirme l’indépendance de l’AFA." Par ailleurs, une récente jurisprudence rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 novembre 2020 marque une évolution dans la question du transfert de la responsabilité pénale d’une personne morale en cas de fusion-absorption d’une société par une autre : désormais, une société absorbante pourra voir sa responsabilité pénale engagée sur le fondement d'actes commis par la société absorbée antérieurement à la fusion. "La plupart des entreprises internationales étaient déjà sensibilisées aux problématiques de compliance et de responsabilité pénale. Pourtant, la loi Sapin 2 a été vécue comme une révolution, relève Clémence Auroy Vernin, VP Legal et Special dispute counsel chez Stellantis. Nous ne pouvons que nous réjouir, en tant que corporate, des récentes décisions et recommandations de l’AFA, nous les attendions avec impatience." Un sentiment partagé par Audrey Morin, directrice de la compliance chez Schneider Electric : "L’AFA, grâce à ses contrôles et décisions, dresse une grille de lecture de la compliance. Sa jurisprudence permet désormais à la France de se mettre au niveau d’autres pays sur le sujet. Elle permet également un meilleur accompagnement des dirigeants et des opérationnels et de mieux anticiper les risques." 

"L’AFA, grâce à ses contrôles et décisions, dresse une grille de lecture de la compliance"

 

Si la jurisprudence compliance n’en est qu’à ses balbutiements, la loi constitue, pour Nicolette Kost de Sèvres, avocate associée chez Mayer Brown, la référence, le texte français étant l’un des plus clairs en la matière. "La loi Sapin 2, qui représente un repère pour les dirigeants, ne doit cependant pas les soustraire à l’obligation de rester à l’écoute de l’AFA. La compliance doit se bâtir ensemble", assure-t-elle. Un chantier devenu en effet primordial quand on sait que le risque réputationnel demeure l’un des plus gros auquel s’expose une entreprise. "Si une entreprise n’est pas compliance centric, elle peut être perçue comme un partenaire commercial à risque. Il ne faut donc pas envisager l’AFA comme une seule autorité de contrôle mais comme un accompagnateur dans la construction de la compliance en France", poursuit l’avocate.

L’avantage du forum shopping 

Ces dernières années, les questions de compliance et d’extraterritorialité du droit a donné naissance à un phénomène : celui du forum shopping. Cette pratique de droit international privé, que l’on peut traduire par "élection de juridiction", consiste à saisir l’instance susceptible de donner raison à ses propres intérêts. Le forum shopping existe depuis de nombreuses années déjà à l’international et s’est beaucoup développé au sein des sociétés américaines. "Cette pratique, qui concerne les arbitrages mais aussi le commerce international, s’ancre de plus en plus en Europe et en France. Il ne faut cependant pas forcément l’appréhender de manière négative", prévient Joséphine Deege-Mansour, senior vice president et general counsel group chez Soitec. Plusieurs critères expliquent en effet le recours au forum shopping par les entreprises : la langue, le droit applicable, le coût de la procédure, les délais mais aussi la prévisibilité de la décision. Londres, Singapour, New York ou encore Dubaï restent les villes privilégiées pour la résolution de litiges commerciaux internationaux, tandis que Paris gagne de plus en plus en popularité. "Cette pratique du forum shopping répondait auparavant à une approche très anglo-saxonne de la résolution des litiges. Aujourd’hui, la compliance ne fait que développer en France une pratique qu’on voit déjà partout. Il peut s’agir d’un choix stratégique de l’entreprise, dont l’objectif est de rester partenaire de confiance", analyse Laurent Pitet, directeur juridique et compliance officer de Bayer Healthcare. Pour Nicolette Kost de Sèvres, le forum shopping pourrait favoriser la coopération des régulateurs en France et à l’international grâce au partage de leurs informations en matière de compliance. L’apparition de ce phénomène en France ne serait donc pas une si mauvaise chose mais plutôt un moyen de mieux lutter contre la corruption en Europe et à l’international.

La France crédibilisée

Impossible de clore les débats sur la compliance sans parler de l’affaire Airbus et de la conclusion de la première convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). À l’unanimité, les intervenants de cette dernière table ronde ont salué la coopération de trois régulateurs anticorruption dans ce dossier : le Parquet national financier (PNF) en France, le Serious Fraud Investigation Office (SFIO) en Angleterre et le Department of Justice (DoJ) aux États-Unis. Cette unité entre les trois autorités de poursuite n’était pourtant pas acquise au départ, compte tenu du manque de considération et de crédibilité de la France pour ces problématiques lors du scandale qui a éclaté lorsque des actes de corruption ont été découverts au sein de l’industriel français. "Les États-Unis ont toujours eu une longueur d’avance indéniable sur la compliance : le FCPA, équivalent de notre loi Sapin 2, existe depuis 1977. Au Royaume-Uni, un texte similaire est entré en vigueur en 2011. Avant la mise en place de la loi Sapin 2, la France faisait l’objet d’une mauvaise notation pour ce qui est de la perception de la corruption puisqu’il n’y avait pas de poursuites pénales engagées pour ce type d’infraction", rappelle Anton Carniaux, directeur juridique et compliance de Samsung Electronics France. Avec l’activisme des autorités américaines et l’ouverture de nombreuses enquêtes dans des filiales américaines de sociétés françaises, un grand nombre d’entreprises tricolores se sont vues contraintes de verser des millions de dollars au régulateur américain pour des faits de corruption. "Il y avait un réel sentiment de spoliation des entreprises françaises", poursuit Anton Carniaux.

"La loi Sapin 2 a brisé la culture d’impunité de la corruption en France"

La loi Sapin 2 a heureusement changé la donne, comme le rappelle Nicolette Kost de Sèvres : "La France partait de loin. La loi Sapin 2 a vocation à renforcer son attractivité et à asseoir la sécurisation des investissements étrangers dans le pays. Grâce à cet arsenal, la France a enfin commencé à marquer des points." Et pour cause, l’article 17 de la loi présente un aspect préventif de la lutte contre la corruption, contrairement au FCPA américain qui se contente de sanctionner l’infraction. De plus, la création de la justice négociée en France, la mise en place de la CJIP et de l’AFA ont renforcé la crédibilité de la France dans sa lutte contre la corruption. La décision concernant Airbus est ainsi devenue un exemple de la coopération de régulateurs américain, français et anglo-saxon, au niveau de l’investigation et de la sanction. "Cette décision a été un coup d’accélérateur pour les grandes entreprises, désormais en mesure de mieux comprendre comment lutter contre les cas de corruption. La loi Sapin 2 a brisé la culture d’impunité de la corruption en France", se félicite Franck Marzilli, directeur anti-fraude groupe de Coface.

Pour autant, certaines incertitudes demeurent, comme le souligne Anton Carniaux : "Airbus est désormais censé remonter à l’AFA ou au PNF toute nouvelle information entrant dans le cadre cette CJIP. Or, ne savons pas sur quelle durée. Nous pouvons également nous demander si la CJIP continuera de produire ses effets si jamais Airbus choisit de ne pas coopérer." Pour Nicolette Kost de Sèvres, la lutte anticorruption n’a pas fini de se développer : "La compliance est un animal vivant. La lutte contre la corruption va englober de plus en plus de risques." Pour tous les intervenants de ce dernier débat, la priorité reste aujourd’hui d’intégrer les personnes physiques dans la justice négociée, "afin qu’elles se sentent solidaires de l’entreprise personne morale". Le chemin parcouru depuis 2016 aura été dense mais la route est encore longue : il appartient désormais aux entreprises d’apprivoiser ces outils pour construire une lutte contre la corruption efficace en France.

Marine Calvo
 

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