Alors que s’ouvrent les états généraux de la justice, Décideurs Juridiques se tourne vers la profession de juge. Nathalie Roret avait créé la surprise lorsqu’elle avait été placée à la tête de l’École nationale de la magistrature en septembre 2020 dans un contexte de tensions entre avocats et magistrats. En effet, la nomination trois mois auparavant d’Éric Dupond-Moretti à la Chancellerie avait, on s’en souvient, été vivement critiquée par certains juges représentant leur profession. Un an après, quel regard la vice-bâtonnière de Paris porte-t-elle sur son arrivée et comment travaille-t-elle ? Entretien avec une pénaliste devenue le guide de toute une génération de futurs magistrats.

Décideurs Juridiques. Voilà un an que vous avez pris les rênes de l’ENM. Rétrospectivement, cela ressemble-t-il à ce à quoi vous vous attendiez lors de votre nomination ?

Nathalie Roret. Venant de l’extérieur, je ne savais pas forcément à quoi m’attendre. Surtout que mon arrivée s’est passée dans un contexte sanitaire qui modifiait profondément les manières de travailler et d’enseigner. Les premiers mois de mon mandat ne m’ont ainsi pas permis de voir autant que je l’aurais souhaité celles et ceux dont on m’a confié la responsabilité.

Plus généralement, l’arrivée d’une nouvelle direction est toujours un tournant dans la vie d’un établissement, avec des conséquences sur l’organisation et les équipes. C’est d’autant plus vrai que nous avons déjà porté de nombreux projets qui impliquent un important travail d’adaptation et que nos équipes se sont renouvelées par le recrutement de nouveaux personnels. Heureusement, j’ai la chance d’être entourée d’une superbe équipe motivée, diligente, et qui a prouvé être digne de confiance. 

Quelle est la plus belle de vos réalisations durant cette année ?

Bien sûr, il y a la fierté collective d’avoir pu mener à bien le recrutement de la nouvelle promotion et la fin de scolarité de la promotion qui a rejoint les juridictions le mois dernier.

Notre école est un lieu de rendez-vous des acteurs de la justice sur leurs enjeux communs

Mais la plus belle des réalisations, qui selon moi résume bien la direction que je souhaite donner à l’ENM, est l’ouverture de deux nouvelles classes préparatoires au concours d’entrée, à Orléans et Lyon. Ces inaugurations s’inscrivent dans la lignée du travail commencé par mes prédécesseurs qui ont ouvert les premières classes préparatoires dès 2009, avec la volonté d’accompagner partout en France les candidats à l’intégration de l’École nationale de la magistrature. Les prépas "Égalité des chances" sont une réussite car un tiers des étudiants ont par la suite intégré l’ENM, mais j’ai souhaité leur donner un nouveau souffle. Je suis en effet convaincue de la nécessité d’ouvrir la justice et ses métiers en diversifiant le recrutement des magistrats. Pour cela, il est nécessaire de former de jeunes auditeurs venant de tous horizons sociaux et géographiques.

L’ouverture d’une classe préparatoire à Orléans répond ainsi à la sous-représentation des étudiants provenant de la région Centre-Val de Loire, tandis que celle de Lyon, inaugurée le 11 octobre dernier, est la première que nous ouvrons dans l’est de la France.

Cette année marque aussi un tournant pour l’ensemble de ce programme, qui a intégré le dispositif interministériel "Talents du service public" et plus précisément le label "Prépa Talents".

Décrivez-nous votre équipe, votre organisation, votre quotidien…

L’une des particularités de l’ENM – qui tend à évoluer pour plus de clarté – repose sur sa présence à la fois à Bordeaux et à Paris. La direction chargée des recrutements, de la formation initiale et de la recherche est basée à Bordeaux, tandis que la direction chargée de la formation continue, de l’international et des autres publics que l’ENM et dont le but est de former est localisée à Paris. La plupart des fonctions support sont à Bordeaux.

En plus de mon cabinet, qui m’assiste dans l’ensemble des missions de direction, je peux également compter sur les équipes rattachées au secrétaire général. Par ailleurs, je suis épaulée par deux directeurs adjoints, l’un à Bordeaux, l’autre à Paris, qui s’appuient sur les sous-directions et les départements qui se consacrent, par exemple, aux études, aux stages ou à l’international.

Le conseil d’administration de l’établissement est naturellement un élément clé de notre organisation. Il délibère sur les questions relatives au programme pédagogique de l'École, vote le budget et adopte annuellement le rapport administratif et financier. Il regroupe des représentants du ministère de la Justice, des juridictions et du monde juridique et judiciaire et est présidé par Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, assistée de François Molins, procureur général près la Cour de cassation.

Le quotidien de l’ENM, et donc le mien, s’articule ainsi entre la réponse aux besoins des différents publics que nous formons, l’animation de notre réseau de formateurs et de partenaires et la réflexion sur l’avenir de l’école.

Qu’est-ce qui vous attend jusqu’à la fin de l’année 2021 ?

Les prochains mois vont être occupés par la poursuite de divers chantiers de transformation. La réflexion collective lancée depuis le début de l’année au sein de l’ENM a vocation à nous indiquer des pistes de transformation stratégique à travers une offre de formation remaniée et une nouvelle organisation des services, en renforçant les liens qui unissent les équipes, en optimisant nos lieux et cadres de travail et en poursuivant l’ouverture de l’École. Nous travaillons à faire de notre école un véritable lieu de rendez-vous des acteurs de la justice sur leurs enjeux communs pour mieux préparer la justice de demain.

L’action publique ne se fait pas par des symboles

L’autre chantier des mois qui viennent ne concerne d’ailleurs pas que l’ENM mais l’ensemble de la justice à l’aune des états généraux qui s’ouvrent aujourd’hui lundi 25 octobre. Parmi les questions qui devront être abordées pour répondre au sentiment de malaise assez général, celle du rôle de la formation sera essentielle et va nous occuper pleinement.

Je suis convaincue de l’importance de la formation à de nouveaux savoirs, de nouvelles pratiques et de nouvelles habitudes pour permettre à la justice de poursuivre sa transformation.

Vous êtes modérée et attentive aux autres. Avez-vous le sentiment d’être parvenue à apaiser la perception des avocats par les jeunes magistrats ?

Étant moi-même avocate, je veux voir dans ma nomination à la direction de l’ENM un symbole de dialogue, comme l’était également celle de Gilles Accomando, magistrat et directeur de l’EFB. Mais l’action publique ne se fait pas par des symboles. C’est pourquoi, ensemble, nous travaillons notamment à développer un socle de formation commun aux avocats et aux magistrats dans le cadre d’un partenariat entre nos écoles. Par exemple, nous avons construit conjointement des formations pour les deux publics et qui font intervenir des magistrats et des avocats (Maje).

Dans l’ensemble de nos formations, initiales comme continues, nous visons l’ouverture aux autres publics. Ainsi, dans chaque direction des études est intégré un élève avocat qui effectue une partie de sa scolarité à l’ENM. Les enseignements sur la pratique et la déontologie des autres professions de justice se développent, pour les futurs magistrats et futurs avocats. De même que nous accueillons des avocats en formation continue à l’ENM ou d’anciens avocats qui se forment à la magistrature en formation initiale. Quant aux auditeurs de justice, ils réalisent au cours de leur cursus un stage avocat.

Je crois que de la méconnaissance naît la méfiance. Aussi, je prône la formation comme outil facilitateur du dialogue, notamment afin de croiser les regards entre les professions et pour décloisonner la communauté judiciaire que nous formons. Il me semble essentiel de renforcer la confiance entre ses acteurs pour redonner confiance en la justice.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes élèves-magistrats pour leur carrière ?

L’enjeu de l’ENM n’est pas seulement d’enseigner des pratiques mais bien de faire en sorte que les étudiants apprennent à déceler et à relever des défis. Le meilleur moyen d’y parvenir ? Être ouvert et curieux, à l’écoute de la société. Et surtout, ne pas se sentir seul, même si la fonction isole parfois. D’ailleurs, l’ENM a vocation à les accompagner tout au long de leur carrière à travers la formation continue.

Nous souhaitons développer une approche plus individualisée qui tienne compte de ce que chacun sait avant d’intégrer l’ENM, d’y adapter la formation initiale, puis de proposer des parcours dans la formation continue qui répondent réellement aux besoins de chacun. Je leur souhaite donc aussi d’avoir confiance dans leur capacité à s’adapter aux évolutions de la justice et aux changements de leurs propres fonctions.

Propos recueillis par Pascale D’Amore

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