De plus en plus de salariés prennent des positions politiques sur LinkedIn. Si cela est de prime abord autorisé, attention à ne pas aller trop loin au risque d’instiller une mauvaise ambiance avec ses collègues, de plomber son employabilité ou de perdre son travail.
Parler de politique sur LinkedIn, une bonne idée ?
En consultant LinkedIn, vous vous êtes probablement déjà posé la question : "Sommes-nous encore sur un réseau professionnel ?" Les internautes ont de plus en plus tendance à partager leur quotidien personnel, en tentant parfois de le saupoudrer d’un zeste de jargon managérial. LinkedIn est désormais un lieu où certains n’hésitent pas à évoquer leurs vacances, leur santé, leur vie amoureuse, leurs sorties culturelles. Mais aussi leurs opinions politiques. Est-ce une bonne chose de divulguer des prises de position partisanes auprès de collègues, managers et potentiels employeurs ?
Autorisé…
Les salariés souhaitant s’engager en ligne peuvent se rassurer : de prime abord, c’est légal. "La liberté d’expression est un droit fondamental reconnu à tout salarié, que ce soit dans l’entreprise ou en dehors de celle-ci", expose Caroline Khalifa Saada, avocate en droit du travail. Selon elle, "ce droit est protégé par plusieurs textes, notamment l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’article L 1121-1 du code du travail". Les salariés adeptes de messages politiques peuvent estimer que LinkedIn étant un compte personnel, cela ne concerne pas leur employeur. Erreur : "Les posts sont considérés comme publics s’ils sont accessibles à un large public. Cela inclut les cas où les publications sont visibles par des collègues, des clients ou des partenaires de l’entreprise", précise l’avocate.
En principe, un salarié jouit de sa liberté d'expression, y compris sur les réseaux sociaux comme LinkedIn, sauf abus. Les restrictions à cette liberté doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
… Mais limité
Il est donc juridiquement possible d’apporter sa pierre au débat public à condition de ne pas dépasser les bornes. Reste la question clé : à partir de quand un salarié outrepasse-t-il la liberté d’expression ? Selon Caroline Khalifa Saada, "c’est le cas lorsque les propos tenus sont injurieux, diffamatoires ou excessifs". La jurisprudence montre que les propos incitant à la haine ou à la violence, mais aussi des positions incompatibles avec les missions de l’entreprise peuvent conduire à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.
"Un collaborateur qui publie des propos politiques susceptibles de nuire à la réputation de l'entreprise ou de créer des tensions au sein de l'équipe peut être considéré comme ayant manqué à son obligation de loyauté"
Les salariés adeptes de posts politiquement orientés sur LinkedIn doivent aussi savoir qu’ils sont soumis à une obligation de loyauté envers leur employeur. Cela implique de ne pas nuire à l’image ou aux intérêts de l’entreprise. "Un collaborateur qui publie sur LinkedIn des propos politiques susceptibles de nuire à la réputation de l’entreprise ou de créer des tensions au sein de l’équipe peut être considéré comme ayant manqué à son obligation de loyauté", décrypte l’avocate.
Un contexte propice à la politisation
Ces précisions juridiques sont importantes, puisque de plus en plus de salariés s’engagent politiquement sur le réseau professionnel fondé il y a plus de vingt ans par Reid Hoffman et Allen Blue. Les raisons sont multiples : les entreprises elles-mêmes sont de plus en plus politisées, prennent des positions sociétales affirmées, n’hésitent pas à communiquer sur des sujets tels l’égalité, la diversité, l’environnement qui, de facto, sont politiques. De quoi lever les inhibitions de leurs collaborateurs. Après tout, si l’entreprise monte au front, pourquoi les salariés ne le pourraient-ils pas ? Par ailleurs, la généralisation du télétravail contribue à effacer les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle, tout devient plus poreux.
Par rapport à il y a quelques années, les idées portées par les partis politiques du monde entier deviennent de plus en plus tranchées, l’heure est plus à la confrontation qu’au dialogue, ce qui peut inciter les "citoyens-salariés" à donner leur point de vue.
Rien à y gagner
Si cela est autorisé sauf débordement, est-ce pour autant judicieux ? Pas forcément, affirme Frédéric Fougerat, président de Tenkan Paris et auteur de plusieurs ouvrages sur la communication en entreprise dont le dernier en date est Anthologie de la com, parole de Dircom. Celui qui a dirigé la communication de nombreux grands groupes se déclare "peu favorable au mélange des genres" et voit d’un œil circonspect "la facebookisation de LinkedIn".
L’expert ne conseille pas aux salariés et aux managers de faire étalage de leurs idées politiques sur LinkedIn. Du côté des salariés, il estime que, "si la diversité sous toutes ses formes est une richesse dans l’entreprise, un comportement trop militant sur un réseau professionnel peut créer des tensions inutiles".
"Si la diversité sous toutes ses formes est une richesse dans l'entreprise, un comportement trop militant sur un réseau professionnel peut créer des tensions inutiles"
Frédéric Fougerat tient également à évoquer le rôle des managers et des dirigeants à qui il déconseille un militantisme digital trop visible : "Cela revient à engager de facto vos salariés ou les membres de votre équipe". Seul hic, "il existe un lien hiérarchique et vos subordonnés n’oseront rien vous dire alors qu’ils n’en pensent pas moins, ce qui peut alourdir l’ambiance au quotidien", met en garde le communicant qui évoque une "forme de prise d’otage des salariés".
Préparer l’après
Certains peuvent se sentir intouchables : certes ils prennent des positions politiques, mais ces dernières sont partagées par leur manager, leurs collègues et leur patron. Dans l’immédiat, pas de risque de sanctions disciplinaires. Pour autant, faut-il continuer ?
"De plus en plus de managers et de recruteurs regardent les réseaux sociaux de potentielles recrues, il vaut mieux rester le plus neutre possible, on a tout à y gagner"
Une carrière n’est jamais linéaire et être trop politisé peut rebuter certains employeurs : "De plus en plus de managers et de recruteurs regardent les réseaux sociaux de potentielles recrues, il vaut mieux rester le plus neutre possible, on a tout à y gagner" conseille Frédéric Fougerat.
Un avis partagé par l’avocate en droit du travail qui observe également que les employeurs ont tendance à suivre sur les réseaux l’activité de leurs salariés. Il n’y a donc pas de raison qu’ils ne le fassent pas dans une procédure d’embauche. D’après elle, "dans un monde où tout est digitalisé, chacun doit être prudent sur les traces laissées sur internet". Un salarié cherchant à lisser son profil pour attirer un chasseur de têtes ou un recruteur est donc "encouragé à vérifier qu’il n’a pas publié dans le passé de contenu pouvant prêter à discussion", glisse l’avocate. Partager cet article sur LinkedIn ne devrait toutefois pas poser de problèmes juridiques à l’internaute…
Lucas Jakubowicz